Interventions

Motions de censure

Retraites : André Chassaigne défend la motion de censure de gauche

J’ai l’honneur d’avoir été désigné par la présidente Valérie Rabault et par le président Jean-Luc Mélenchon pour présenter, au nom de nos trois groupes, la présente motion de censure, qui vise à empêcher l’adoption sans vote, par le truchement du funeste article 49, alinéa 3, de la Constitution, de votre non moins funeste réforme des retraites, monsieur le Premier ministre.

Le recours à cette arme parachève la chronique du fiasco annoncé de cette réforme : un mouvement social inédit depuis le début de la Ve République ; un rejet profond et massif des citoyens ; des partenaires sociaux méprisés ; une dénonciation par le Conseil d’État de l’incohérence et de l’insécurité juridique du texte ; une étude d’impact trompeuse et insincère.

Votre amateurisme et votre impréparation aboutissent à un désastre démocratique. La mise à mort de nos débats souligne votre profond mépris du Parlement. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.)

En effet, elle est la négation même de notre rôle de législateur et constitue une nouvelle étape de la dérive autoritaire du régime. Les pères de la Constitution de 1958, conscients de cette possible dérive, ont souhaité réserver le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution aux seuls cas exceptionnels.

Quel est donc le cas exceptionnel justifiant à vos yeux le fait que notre assemblée soit privée de débat ?
Il en est un dont se sont fait l’écho, dès le premier jour d’examen du texte, les cacatoès de la majorité… (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Chers collègues de la majorité, j’avoue que vos gargouillis et vos cris me font plaisir aux oreilles !
Le cas exceptionnel, pour vous, est le simple fait que les oppositions proposent, contredisent et interrogent, dans le plus strict respect de notre règlement. Les digéreurs de la parole élyséenne rêvent d’un hémicycle occupé par eux seuls, au sein duquel ils se livreraient, l’échine courbée, à leurs petits arrangements entre amis.

De fait, il vous est insupportable que nous fassions respirer la démocratie. Tout, depuis le début de l’examen du texte, prouve que vous n’avez jamais voulu débattre et que vous souhaitez imposer, coûte que coûte, votre réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Rappelons quelques étapes de la discussion parlementaire. Évoquons tout d’abord le choix de la procédure accélérée, sans autre motif que la volonté d’achever la première lecture du texte avant le premier tour des élections municipales.

Monsieur le Premier ministre, pour une réforme que vous avez vous-même décrite comme « une des réformes les plus ambitieuses et les plus complexes […] de ces dernières années », vous avez décidé d’un calendrier intenable, prévoyant des délais tout simplement scandaleux pour examiner soixante-dix articles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SOC.)

Dans ces conditions, la commission spéciale a fatalement échoué, dix jours après avoir entamé ses travaux, et nous avons été obligés, en séance publique, de débattre du texte initial. Quant au temps alloué aux débats dans notre hémicycle, vous n’aviez initialement prévu que deux semaines, sachant qu’elles ne suffiraient pas pour comprendre, décrypter et mesurer les conséquences de chacun des soixante-dix articles.

Cinq présidents de groupe vous ont demandé de laisser au débat le temps nécessaire. Fin de non-recevoir !

Nous avons multiplié les demandes de retrait du texte, pour que vous puissiez nous présenter une copie digne du respect que vous devez à nos concitoyens, ainsi qu’à leur avenir, et non un simple brouillon. Fin de non-recevoir !

Nous avons soumis au vote de l’Assemblée une motion référendaire, signée par soixante de ses membres, pour sortir de la crise par le haut, par le peuple, en organisant un référendum. Fin de non-recevoir !

Nous avons alors décidé d’utiliser toutes les possibilités de prise de parole pour obtenir des réponses aux questions que se posent la majorité des Français et les organisations syndicales ainsi que la plus haute juridiction administrative de notre pays. Fin de non-recevoir ultime, avec le recours à l’article 49, alinéa 3 !

Pris au piège, vous avez imaginé, avant de porter ce coup fatal, toutes les parades possibles pour échapper au débat. La plus fameuse, et la moins glorieuse, fut de faire tomber des milliers d’amendements déposés par l’opposition, dans le mépris le plus total de la Constitution, (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) vous obstinant pendant près de deux jours, au point de bloquer nos débats, avant de renoncer, penauds, à ce coup de force !

À qui la faute ? À celui qui piétine le droit ou à celui qui se bat pour qu’il soit respecté ?

La mascarade a alors commencé, prenant d’emblée son tour le plus pathétique. Une fois que nous avons pu engager le débat, après avoir arraché le respect de nos droits, les petits soldats d’En Marche et leurs supplétifs du MODEM sont entrés en scène. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Dès qu’un député de l’opposition prenait la parole pour formuler des propositions, tenter d’obtenir des réponses sur des points essentiels ou ouvrir un débat de qualité, vos serviteurs déversaient leurs cris d’orfraie pour masquer les non-réponses et fustiger un excès de parole de l’opposition – parole trop gênante, car dévoilant les multiples entourloupes de votre réforme !

Ainsi, la valeur du point sera indexée sur le revenu d’activité moyen, indicateur inconnu à ce jour mais lourd de menaces pour les pensions des futurs retraités ; les retraités agricoles – ceux d’aujourd’hui et la plupart de ceux de demain – seront exclus du bénéfice du minimum de pension à 85 % du SMIC ; la réforme des pensions de réversion fera 65 % de perdants. Citons également l’absence de garantie en matière de taux de remplacement des pensions et le maintien de façade à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite.

Par conséquent, monsieur le Premier ministre, vous ne pourrez pas convaincre les Français de l’utilité, en l’espèce, de l’article 49, alinéa 3, qui marque celui qui l’utilise du sceau de la faiblesse et de l’autoritarisme, l’un allant souvent avec l’autre.

Les Français, eux, souhaitaient que le débat se poursuive, pour comprendre les tenants et les aboutissants de la réforme. Ils attendaient de leurs représentants qu’ils corrigent un texte mal écrit, inachevé et bourré d’ordonnances, engageant leur avenir pour des décennies.

Nous voulions également poursuivre le débat.

Nous en avions le temps. Deux à trois petites semaines supplémentaires y auraient suffi, au rythme atteint ces derniers jours. (Rires sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Mais l’exécutif ne le voulait pas – surtout pas !

Au demeurant, chers collègues de la majorité, c’est lorsque les débats devenaient de plus en plus risqués pour vous que le Président de la République a décidé d’abréger votre souffrance.

Il est vrai qu’il devenait cruel de poursuivre les débats alors même que nous allions aborder le cœur du projet de loi : la valeur du point et l’âge d’équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Votre majorité n’en pouvait plus de justifier l’ampleur des régressions sociales projetées : le recul de l’âge de départ par l’instauration d’un âge d’équilibre à 65 ans ; un système de retraite à points induisant une baisse générale des pensions et rendant chacun comptable de son seul sort ; une machine à reproduire les inégalités vécues pendant la carrière professionnelle, au détriment des femmes en premier lieu ; l’affaiblissement des mécanismes de solidarité, tels que les pensions de réversion, les retraites anticipées pour carrière longue et la prise en compte des périodes de chômage non indemnisé ; l’affaiblissement des dispositifs de reconnaissance de la pénibilité ; l’ouverture d’espaces de capitalisation pour les hauts salaires.

C’est parce que ces débats menaçaient de faire craquer le vernis de votre communication, auraient mis à jour l’ampleur de l’arnaque, que vous avez décidé de mettre fin à ce naufrage programmé en actionnant l’article 49, alinéa 3, sous le prétexte de sauver la démocratie parlementaire menacée !

Une démocratie qui aurait été menacée par un sabotage orchestré par les oppositions ! Ah, monsieur le Premier ministre, qu’en termes galants ces choses-là sont mises !

Emporté par le cynisme de votre logorrhée, vous perdez de vue que l’immense majorité du peuple est imperméable à vos grands airs indignés, parce que vos leçons éculées de morale républicaine n’occulteront jamais la réalité de votre réforme et ne désarmeront pas les opposants à votre projet de régression sociale ; parce que la vérité, c’est que vous êtes incapable de répondre aux questions que se posent les citoyens, relayées par les oppositions parlementaires parce que vos envolées pour faire croire que votre projet de loi est la semence d’un nouveau pacte social n’occulteront jamais ce qu’il est réellement : un simple débris, celui des avancées sociales d’un gouvernement issu du Conseil national de la Résistance dans lequel siégeaient communistes et gaullistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

« Notre ambition est désormais, par le nouveau système, de mettre toute la vie de l’individu en sécurité sociale », disait Ambroise Croizat. Cette ambition, vous dites en porter la flamme, mais vous n’en gardez que les cendres. Avec votre réforme, vous créez le contraire : l’insécurité sociale, c’est-à-dire l’angoisse du lendemain.
Aussi, chers collègues de la majorité, je voudrais m’adresser plus particulièrement à celles et ceux parmi vous qui vivent dans l’oubli de leur métamorphose, dans l’oubli de leurs engagements passés et des combats que nous avons pu partager contre les puissances de l’argent. (MM. Jean-Paul Dufrègne et Sébastien Jumel applaudissent.)

Je sais que vous vous reconnaîtrez et je vous appelle à ne plus être les dupes de bonne foi d’une telle hypocrisie collective. Je vous appelle à voter aujourd’hui en écoutant votre conscience. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

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