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Motions de censure

Motion de censure

Il y a quatre mois, monsieur le Premier ministre, vous avez eu recours à l’article 49, alinéa 3 de notre Constitution pour imposer à la représentation nationale le bien mal nommé projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Vous vouliez faire taire toute contestation et ne pas prendre le risque d’un rejet du texte. Les voix manquaient à gauche et vous ne disposiez pas de la majorité nécessaire pour faire adopter ce projet de loi qui, sous son apparence fourre-tout, s’attaque à notre modèle social et aux valeurs de la gauche.
Aujourd’hui, vous usez à nouveau de cette arme constitutionnelle pour passer en force en privant la représentation nationale de tout débat. Vous y ajoutez la procédure du vote bloqué pour faire adopter sans discussion des dispositions nouvelles. Dans quelques instants, si la motion de censure ne recueille pas la majorité requise, ce texte sera donc considéré comme adopté en nouvelle lecture. C’est l’annonce que fera le président de l’Assemblée nationale, à l’issue du vote.
M. François Loncle. Et ce sera très bien !
M. André Chassaigne. Monsieur le Premier le ministre, nous ne pouvons nous y résoudre.
Nous aurions voulu débattre avec vous de l’ensemble des dispositions de ce texte, dans l’hémicycle et non dans le conclave d’une commission.
Nous aurions voulu que vous nous expliquiez publiquement pourquoi vous avez fait le choix d’accentuer encore le saisissant virage libéral imposé par ce projet de loi.
Nous aurions voulu que l’ensemble des députés puissent s’exprimer sur le fameux amendement gouvernemental, déposé il y a quelques jours, qui prévoit désormais de plafonner les indemnités en cas de licenciement abusif.
Nous aurions voulu que vous tentiez de nous expliquer en quoi cette disposition n’est pas une attaque en règle du CDI et une mesure de régression sociale majeure.
M. Marc Dolez et M. Jean-Jacques Candelier. Très juste.
M. André Chassaigne. Vous avez préféré traiter par le mépris – le mot n’est pas trop fort – le peuple et ses représentants. Vous avez préféré étouffer notre démocratie au prétexte que notre Constitution vous en donnait le droit. Vous avez préféré faire le choix de la brutalité, certes permise par les institutions présidentialistes, les institutions d’une Cinquième République à bout de souffle.
M. Marc Dolez. Très bien.
M. Jacques Myard. Oh !
M. André Chassaigne. C’est pourquoi, dès l’annonce de cette dérobade constitutionnelle, nous avons élaboré notre propre motion de censure. Une motion de censure de gauche. Le seuil minimum de signataires n’ayant pu être atteint, nous n’avons pu la soumettre au vote d’aujourd’hui.
Nous souhaitons, néanmoins, vous en rappeler l’esprit et la lettre. Elle se résumait à quelques lignes, tant s’imposent l’urgence et la nécessité de nommer un nouveau gouvernement qui puisse réunir l’ensemble des forces de gauche pour conduire une politique de progrès social et de refondation démocratique.
M. Jean-Jacques Candelier. Très bien.
M. André Chassaigne. Une motion que nous aurions souhaité voir adopter aujourd’hui, pour rejeter le projet de loi Macron, mais aussi pour permettre la mise en place d’un gouvernement qui œuvre au changement promis en 2012, qui incarne une alternative à la politique de Sarkozy et qui mène la guerre contre la finance.
Je donne lecture du texte de notre motion de censure :
« Après avoir privé de vote les parlementaires en première lecture, le Gouvernement décide de passer une nouvelle fois en force sans même, cette fois-ci, laisser aux représentants du peuple la possibilité de s’exprimer dans l’hémicycle.
Nos concitoyens seront donc privés de la possibilité de s’emparer du débat public. Cette brutalité ne peut rester sans réponse. Il est temps que le Gouvernement accepte un débat de fond sur sa politique économique et sociale.
Le chômage atteint un niveau insupportable. Les inégalités ne cessent de se creuser, comme l’a souligné l’OCDE. La pauvreté, notamment celle qui frappe les enfants, nous alerte sur la dégradation continue des conditions de vie dans notre pays. Dans ce contexte, le Gouvernement doit faire en sorte que le Parlement joue pleinement son rôle d’assemblée délibérative pour répondre aux attentes de nos concitoyens.
Pour ces raisons, l’Assemblée nationale censure le Gouvernement en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. ».
Tel est le texte de notre motion de censure.
Nous avons échoué aujourd’hui non pas parce qu’il n’existe pas d’alternative à gauche, mais parce que votre méthode de gouvernement l’empêche de s’exprimer.
D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle vous muselez notre Assemblée : vous craignez que l’alternative de gauche à votre politique n’éclate au grand jour. La vérité, c’est que ceux qui s’opposaient au détricotage de notre modèle social, ceux qui refusaient les atteintes au droit environnemental, ceux qui ne pouvaient se résoudre aux coups portés aux droits des salariés, étaient suffisamment nombreux pour empêcher le passage de ce texte.
Quelle majorité de gauche peut en effet se rassembler sur un texte qui accumule les mesures de régression sociale… ?
M. Henri Guaino. Voilà !
M. André Chassaigne. …qui ne répond en effet en rien aux urgences de notre pays, qui favorise une mutation idéologique profonde vers la société de marché ?
Un texte dont l’ultralibéralisme est le fil conducteur.
M. Bernard Deflesselles. Oh là là !
M. André Chassaigne. Abandon du ferroviaire au profit de sociétés d’autocars, remise en cause du service public de la justice,…
M. Marc Dolez. Hélas !
M. André Chassaigne. …privatisation de la gestion d’aéroports rentables et de l’industrie de défense,…
M. Jean-Jacques Candelier. Dommage !
M. André Chassaigne. …allégement fiscal au profit des dirigeants du CAC 40,…
M. Bernard Deflesselles. Quel réquisitoire !
M. André Chassaigne. …extension du travail du dimanche et de nuit, recul des droits des salariés et des obligations patronales, déconstruction du droit de l’environnement par ordonnance et limitation du recours en démolition en cas de permis illégal.
Sans compter les mesures régressives nouvelles imposées par le Gouvernement à l’occasion de la deuxième lecture, en particulier le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif – je dis bien « pour licenciement abusif » – qui n’aura pas d’impact sur le plan de la lutte contre le chômage, mais qui constitue ni plus ni moins un encouragement pour les employeurs à licencier abusivement.
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. Jean-Jacques Candelier. Demande du MEDEF !
M. André Chassaigne. Ce texte, conçu pour satisfaire la Commission européenne, accentue un saisissant virage libéral. Il sera économiquement inefficace, socialement injuste, écologiquement contre-productif.
M. Jean-Jacques Candelier. Comme tout le reste !
M. André Chassaigne. Il est en fait calibré pour répondre aux exigences de Bruxelles. Son objectif est d’envoyer à nos partenaires européens le signal que notre pays se réforme, c’est-à-dire, selon votre définition, que notre pays ouvre un peu plus ses portes aux marchés financiers et aux investisseurs avides de profits et de rentes confortables.
Depuis la ratification du traité budgétaire européen, véritable péché originel, le Gouvernement assume pleinement sa position, celle du tournant libéral que la droite appelle de ses vœux.
La droite est constante (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Elle n’hésite pas, comme en février dernier, à se livrer à son traditionnel numéro de claquettes, sans craindre le ridicule, en affichant une opposition de façade au projet de loi, projet qu’elle souhaite voir adopter avec la même impatience que M. Gattaz. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Nous sommes constants, nous aussi, mais dans la dignité et le respect du peuple.
Mme Marie-Louise Fort. Facile !
M. André Chassaigne. C’est pourquoi nous ne pouvons que répéter les mots que nous avions prononcés ici même, et dans les mêmes circonstances, il y a quatre mois de cela.
Pour des députés de la gauche progressiste,…
M. Yves Albarello. Ils ne sont pas nombreux !
M. André Chassaigne. …le rejet du projet de loi Macron, qui passe par le vote d’une motion de censure, n’est pas un ralliement à la motion présentée par la droite ! (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains.) Chacun sait bien que la droite manœuvre, sans craindre de mettre à jour ses incohérences et contradictions, puisqu’elle vote contre la politique qu’elle-même préconise !
Mesdames et messieurs les députés de droite, vous savez que votre censure est l’expression d’une simple hypocrisie politicienne…
M. Guénhaël Huet. Oh ! C’est vous les hypocrites !
M. André Chassaigne. … pour occulter le bilan désastreux de vos années de pouvoir. Personne n’est dupe du programme destructeur qui est le vôtre et qui enfoncerait encore un peu plus notre pays dans la crise. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Yves Albarello. Démagogue !
M. André Chassaigne. Le seul reproche que vous avez à faire au Gouvernement, c’est d’avoir adhéré à votre propre programme économique…
M. Guénhaël Huet. Non, c’est le chômage !
M. André Chassaigne. …et de l’appliquer sans vous reconnaître les droits d’auteur. Votre souhait de censurer le Gouvernement ne s’explique que parce que vous n’exercez pas le pouvoir. Votre démarche ne s’explique donc que par des considérations de pouvoir personnel, qui ne servent nullement l’intérêt général, et encore moins l’intérêt du peuple.
Pour les députés du Front de gauche, et je dirais plus largement de la gauche progressiste, il n’y a pas, en effet, de fatalité au triomphe de la logique libérale de mise en concurrence des territoires et des peuples. Il ne peut y avoir de résignation face aux pressions et humiliations que les institutions et gouvernements européens infligent aux Grecs et aux autres peuples d’Europe.
M. Bernard Deflesselles. Quel numéro d’équilibriste !
M. André Chassaigne. Nous sommes nombreux à croire à la nécessité de réformes, mais des réformes s’attaquant véritablement aux inégalités économiques et sociales, répondant à la crise écologique,…
M. Bernard Deflesselles. C’est du trapèze volant !
M. André Chassaigne. … protégeant et développant les services publics, dynamisant l’économie sociale et solidaire, entraînant des investissements et une reprise de l’activité économique, pour créer une dynamique et permettre aux millions de chômeurs de retrouver un emploi.
Dans ce contexte, nous croyons possible de nous retrouver, dans le respect de nos sensibilités, pour jouer pleinement notre rôle, pour refuser les dérives libérales actuelles. Nous y travaillons au quotidien, sans relâche.
Nous voulons porter, ensemble, l’idée que des alternatives existent, que des politiques de progrès, de transformation écologique et de justice sociale doivent être mises en œuvre en direction de nos concitoyens.
Au nom du peuple de gauche et dans l’intérêt du pays, avec conviction et détermination, en notre âme et conscience, nous votons aujourd’hui pour rejeter votre projet de loi... (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
...rejeter le projet de loi sur lequel vous avez décidé d’engager votre responsabilité. Tel est le sens de notre vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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