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Budget : loi de finances rectificative 2009 (3)

Madame la présidente, je vous avais déjà demandé la parole, et je vais vous expliquerai pourquoi.
Je trouve tout à fait indécent et scandaleux que l’on recoure à un cavalier parlementaire pour réintroduire dans ce projet de loi, à l’article 27 sexies, la possibilité d’accorder des dérogations pour la construction de logements neufs, y compris s’agissant des aménagements spéciaux pour les handicapés, ce qui a donné lieu à une protestation largement partagée de la FNAT. En d’autres termes, on remet en cause la loi sur le handicap.
Madame la secrétaire d’État, comment peut-on accepter tant la méthode – celle du cavalier financier – que le geste ? Je voulais vous le dire ; c’est chose faite.
Nous devrons en discuter et trancher, mais je suis indigné. Alors qu’il est si difficile de progresser dans ce domaine et de défendre le droit des handicapés au logement et à des aménagements adaptés, voilà que l’on autorise des dérogations permettant de ne pas réaliser ces aménagements, y compris dans les bâtiments neufs. Sans doute partagez-vous mon sentiment. Je rappelle que c’est le Gouvernement qui a déposé l’amendement en question.
J’en viens à l’objet principal de mon intervention.
Le Gouvernement a beau se féliciter de la timide reprise de la croissance, notre pays n’est malheureusement pas sorti de la crise, loin s’en faut ; toutes les études le montrent. Le PIB de notre pays a accusé un recul sans précédent depuis l’après-guerre et le chômage poursuit sa hausse. Quatre millions de nos concitoyens sont aujourd’hui à la recherche d’un emploi et huit millions vivent sous le seuil de pauvreté, du fait notamment de la progression du nombre de travailleurs pauvres – plus de deux millions depuis 2002 –, qui représentent aujourd’hui 8 % des salariés. Où est la reconnaissance de la valeur travail dont vous nous chantez le refrain depuis deux ans ?
Nos voisins européens, nous dites-vous, sont moins bien lotis que nous. Pourtant, chez nos voisins allemands, qui avaient abordé la crise avec des finances publiques équilibrées, sans paquet fiscal, le déficit devrait se limiter l’an prochain à 5 % du PIB, malgré un plan de relance finalement plus important que le plan français. En France, en revanche, le déficit devrait atteindre 8,5 %, sans compter le coût du grand emprunt.
En outre, ce n’est pas grâce à votre politique que le PIB a moins reculé en France qu’ailleurs. Si les mesures contenues dans votre maigre plan de relance ont limité les dégâts, ceux-ci ont été aggravés par des dispositions entraînant des effets pervers. Je songe au maintien du bouclier fiscal et des niches fiscales qui bénéficient aux ménages les plus aisés, au plan de sauvetage des banques, qui n’a été assorti d’aucune mesure contraignante, ou encore au dispositif d’exonération des heures supplémentaires, dont les effets sont évidemment désastreux.
Ce qui a permis à la France de mieux s’en sortir que d’autres, c’est ce que vous-mêmes avez appelé l’« amortisseur social », c’est-à-dire notre système de protection sociale, de protection des salariés et nos services publics.
Les déficits publics abyssaux que vous avez contribué à creuser ont de leur côté réduit à la portion congrue les marges de manœuvre de l’État. Ils nous empêchent de faire face à une nouvelle crise, alors que les risques de rechute sont réels.
Tandis que notre économie est largement soutenue par la consommation des ménages, la montée du chômage va plomber un peu plus l’évolution des salaires et fragiliser les salariés qui conservent leur emploi en les poussant à épargner, quand ils le peuvent, plutôt qu’à consommer et à investir.
La situation est d’autant plus périlleuse que la spéculation financière a repris comme par le passé. Les dirigeants des banques que vous avez aidés avec l’argent des contribuables engrangent à nouveau des profits colossaux qui, loin d’être réinvestis dans l’économie réelle, favorisent la formation d’une nouvelle bulle financière qui commence à enfler.
Nous aurions pu attendre d’un gouvernement responsable qu’il prenne la mesure des enjeux et s’attache prioritairement à stimuler la création d’emplois et les investissements productifs dans la recherche et la formation. Au lieu de quoi vous nous proposez un projet de loi de finances rectificative sans ambition, un catalogue de mesures d’affichage qui ne permettront ni de redresser nos finances publiques ni de relancer l’économie en l’asseyant sur des fondements sains.
Revenons en effet sur les deux mesures emblématiques de votre projet de loi de finances rectificative : le traitement fiscal des activités illicites et les mesures visant les paradis fiscaux ; enfin, on en parle !
Sur le premier point, nous ne pouvons bien entendu qu’être d’accord : l’imposition des contribuables qui se livrent à un trafic illicite de biens liés à certains crimes et délits va évidemment dans le bon sens. Néanmoins pourquoi ne pas avoir étendu le champ de ces contrôles et sanctions aux produits d’activités délictueuses placés à l’étranger, aux détournement de fonds, comme ceux pratiqués par certains dirigeants de pays en voie de développement, connus de tous ?
Faut-il rappeler que les détournements de fonds et les transferts illicites d’argent public, y compris l’aide publique au développement, entre des comptes nationaux et des comptes personnels est considéré, depuis 1991, par le conseil économique et social des Nations unies comme une violation des droits de l’homme ? Il est donc largement temps que la France se penche sérieusement sur ce problème.
Il en va de même des délits de corruption et de trafic d’influence. Où en est aujourd’hui la lutte contre ces derniers ? Nous ne pouvons prétendre nous attaquer efficacement au traitement fiscal des activités illicites sans étudier ces questions.
Quant aux paradis fiscaux, nous restons, là aussi, sur notre faim. Les enjeux sont considérables. Les pertes de recettes fiscales engendrés par l’évasion et la dissimulation fiscale étaient estimées officiellement en 2007 entre 30 et 40 milliards d’euros, soit le tiers du montant du déficit de l’État ! Vos mesures permettront-elles de récupérer cet argent ? Non !
Cela résulte d’abord de la faiblesse de la définition du paradis fiscal que vous avez retenue. Contrairement à ce qu’a laissé entendre le chef de l’État il y a quelques mois, les paradis fiscaux n’ont pas disparu comme par enchantement au lendemain des G20 de Londres et de Pittsburgh. La « liste grise » établie par l’OCDE au printemps est très contestable et contestée : elle passe délibérément sous silence des paradis fiscaux notoires, comme – puisqu’il faut dire leur nom, ce qui semble faire peur à certains – l’État américain du Delaware, le Lichtenstein, la Suisse, Malte, les Îles Caïman, la City de Londres, l’Irlande, les Bermudes, la Belgique, Hong Kong, et j’en passe ! Ces pays, qui sont de véritables paradis fiscaux, n’ont pas adopté de lois anti-blanchiment ni entrepris de développer une vraie coopération fiscale multilatérale. On a beau jeu de parler des paradis fiscaux et d’en dresser une belle liste !
Le récent chantage des autorités suisses, qui ont menacé de ne pas ratifier de convention administrative avec la France pour protester contre la récupération du fameux listing des comptes HSBC, est significatif de l’attachement de ce pays au secret bancaire et à ce qu’il implique d’opacité. La Suisse montre ainsi sa mauvaise volonté : elle souhaite continuer d’exercer un contrôle étroit sur les informations qu’elle pourrait divulguer. Il n’y aura pas de lutte efficace contre les paradis fiscaux sans un changement radical de comportement.
La lutte contre les paradis fiscaux exige la plus parfaite transparence. Elle demande aussi de renforcer les moyens des administrations fiscales. Or, là aussi, nous sommes dans le faux-semblant. Le nombre de contrôleurs du fisc en France ne cesse en effet de diminuer : 12 % de moins entre 2002 et 2008, 15 % de moins en 2011. Il y a donc un sérieux problème de cohérence entre les objectifs que vous affichez et les moyens qui vous y consacrez.
Votre plan de lutte contre les paradis fiscaux est condamné à l’échec, faute de moyens et faute de volonté. Il n’est d’ailleurs pas interdit de se demander si vous ne braquez pas le projecteur sur les paradis fiscaux pour mieux détourner l’attention de l’échec de votre politique fiscale, en particulier du gaspillage insensé que représentent les cadeaux somptuaires consentis aux plus favorisés et aux grandes entreprises ces dernières années.
Si l’on cumule les mesures prises entre 2002 et 2009, on constate que plus de 18 milliards d’euros auront bénéficié chaque année aux ménages les plus aisés, grâce à la prolifération des niches fiscales et à la baisse de la fiscalité du patrimoine.
Parmi les pays du G7, la France est celui qui compte le plus grand nombre de niches fiscales : 464 en 2009, ce qui représente une moins-value globale pour les finances publiques de 69,1 milliards d’euros, soit 3,5% du PIB.
Voilà ce que nous voulons rappeler aujourd’hui.
Nous ne pouvons nous contenter de ces faux-semblants.
J’ai pu montrer cet après-midi qui supportait réellement les taxes.
Laissez-moi au moins indiquer quelle est notre position, madame la présidente, qui n’a du reste rien d’un scoop : nous voterons, une nouvelle fois, contre votre projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Maxime
Gremetz

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