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Travail : réforme des retraites

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État chargé de la fonction publique, mes chers collègues, les manifestations que notre pays vient de connaître sont les plus importantes depuis quinze ans. Tous les sondages révèlent que 65 à 70 % des Français se déclarent opposés à votre projet de loi et au report de l’âge légal de la retraite à soixante-deux ans. En guise de réponse, vous distribuez des miettes et brandissez en étendard des avancées sur la pénibilité.
En réalité, vous ignorez celle-ci en procédant à un amalgame déplacé entre pénibilité et invalidité.
Vous proposez quelques dispositions destinées à quelques milliers de personnes pour vendre ce qui est, pour des dizaines de millions de Français, un recul de civilisation sans précédent depuis près d’un siècle. Quant à votre agitation matinale, elle est un leurre médiatique de plus pour ne surtout rien modifier sur le fond.
En fait, vous convoquez les Français pour qu’ils paient à la place des marchés financiers et des spéculateurs (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP) les conséquences désastreuses d’un système organisé autour de la préservation de quelques privilèges. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Votre projet de loi est une imposture fondée sur un « raisonnement Canada dry » : votre démonstration a la couleur de la vérité, le goût de la vérité, mais ce n’est pas la vérité.
Une seule fois, vous avez dit la vérité : lorsque vous avez déclaré qu’il y aurait de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs pour payer. Ce faisant, vous n’avez rien dit de trois données essentielles qui donnent pourtant la solution au problème du financement des retraites : l’accroissement des richesses et leur répartition, la productivité du travail et l’emploi et les salaires.
Sur ces trois questions, le débat est interdit. Et pour cause : en traiter, c’est forcément remettre en cause un système capitaliste qui, durant ces trente dernières années, n’a fait que déplacer une partie des richesses créées des revenus du travail vers ceux du capital.
Reprenant les chiffres du COR, le Premier ministre a indiqué qu’à l’horizon 2050, il faudrait 100 milliards d’euros supplémentaires pour financer les retraites, soit 2,5 milliards par an. Or, il faut expliquer à nos concitoyens que, depuis huit ans, vous avez dépensé en moyenne chaque année le double de cette somme en cadeaux fiscaux.
Par ailleurs – et les éléments que je vais citer sont tous issus des rapports du COR de 2001 et de 2010 –, l’accroissement des richesses d’ici à 2050 sera multiplié par deux. Ainsi, c’est sur 2 000 milliards d’euros qu’il faudrait trouver 100 milliards d’euros supplémentaires, soit 5 % de l’augmentation du produit intérieur brut. Qui a décrété qu’il s’agissait d’une mission impossible ?
J’ajoute que, toujours selon le COR, la croissance de la productivité du travail est telle que si, en 2050, il n’existe plus qu’1,2 cotisant pour un retraité – contre 1,8 actuellement –, il produira autant que 2,4 cotisants aujourd’hui. Autrement dit, l’augmentation de la productivité du travail nous placera dans une meilleure position qu’aujourd’hui pour financer nos retraites.
Enfin, l’emploi est l’autre grand oublié du projet du Gouvernement. En effet, vous n’avez prévu aucune disposition similaire à celle que nous proposons à l’article 2 de notre proposition de loi afin d’orienter en priorité, grâce à la modulation des cotisations des entreprises, l’argent vers l’emploi et les salaires plutôt que vers la rémunération du capital. Une telle mesure ne représenterait pas, comme je l’ai entendu, une charge supplémentaire pour les entreprises : ce serait un transfert de richesses du capital vers le travail. Je rappelle qu’1 million d’emplois, ce sont 15 milliards d’euros de cotisations sociales, dont 6 milliards pour les retraites.
De manière générale, la question de la répartition des richesses est fondamentale. Ce qui s’est passé ces dernières décennies constitue un extraordinaire détournement des richesses du travail vers le capital. Ainsi que l’a rappelé mon collègue Roland Muzeau, selon l’INSEE et les comptes de la nation, entre 1993 et 2009, le produit intérieur brut de la France a augmenté de 33 %, les cotisations sociales de 19 % – le retard pris est déjà considérable – et les revenus financiers et des banques de 143 %. Cherchez l’erreur !
En huit ans, la ponction des actionnaires sur les richesses créées par les entreprises est passée de 25 à 36,2 %. En 2008, les dividendes et intérêts versés aux banques par les entreprises représentent largement plus du double de ce qu’elles versent en cotisations sociales. Cet accaparement, ce siphonnage des richesses par le capital, est non seulement injuste, puisqu’il se fait au détriment d’une politique sociale en faveur de nos concitoyens, mais il est nuisible à l’économie, puisqu’il alimente le puits sans fond des marchés financiers et de la spéculation, qui nous ont menés à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Le rééquilibrage de la répartition des richesses n’est donc pas seulement utile pour développer une politique sociale, il est indispensable pour assainir l’économie et stopper la gangrène que portent les marchés financiers et les spéculateurs. Voilà pourquoi il y a urgence, notamment pour financer les retraites, à taxer les revenus financiers à même hauteur que les salaires ; à supprimer les exonérations de cotisations de sécurité sociale qui, selon la Cour des comptes, ne servent pas à l’emploi – ce sont les trois quarts de ces cotisations ; à supprimer les exonérations de plus-values de cessions de titres de participation dans les entreprises, un cadeau extraordinaire que M. le ministre a qualifié hier de « virtuel », mais qui a tout de même déjà coûté 22 milliards d’euros en trois ans !
Je rappelle, pour ceux qui pleurent sur le sort de ces pauvres riches, pourchassés si injustement par une bande de gueux, qu’en dix ans, les 500 plus grosses fortunes françaises ont vu leurs revenus passer de 6 % à 14 % du produit intérieur brut, soit un accroissement de 160 milliards d’euros. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe GDR.) Et je ne parle même pas des petites gâteries des responsables de banques qui, en pleine crise, s’offrent des stock-options – récemment, les deux dirigeants de la BNP ont reçu un million d’euros à ce titre –, ce qui constitue une véritable provocation.
Quant à l’évasion fiscale, elle coûte, bon an, mal an, 50 milliards d’euros à la France. On oblige les sportifs à chanter la Marseillaise ce qui, en soi, n’a rien de scandaleux, mais personne n’oblige les évadés fiscaux à respecter la République, leur pays et ses citoyens. Ça, en revanche, c’est scandaleux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Comment peut-on en arriver à ce que les entreprises du CAC 40, qui devraient théoriquement être assujetties à un taux facial d’impôt sur les sociétés de 33 %, ne le soient qu’à un taux effectif de 8 % – une différence qui représente 9 milliards d’euros en moins pour le budget de l’État ? Il faut trouver un autre alibi que celui de la mondialisation qui, comme par hasard, privilégie toujours les mêmes pour faire avaler la pilule de ses injustices !
La faiblesse étant humaine, je ne résiste pas à la cerise sur le gâteau, symbolisée par Mme Bettencourt (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui devrait payer 140 millions d’euros d’impôts – je ne sais pas si cela inclut la déclaration de son île au trésor – mais ne paye que 40 millions d’euros et se voit octroyer une remise de 30 millions d’euros en raison du bouclier fiscal. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe GDR.) Quel monde magnifique que ce monde, et quelle belle chose que la mondialisation ! Il devient inacceptable, et même indécent, que les plus riches, les spéculateurs, les marchés financiers, continuent de se goinfrer de milliards d’euros, fraudent le fisc, participent à l’évasion fiscale, reçoivent des cadeaux fiscaux, pendant que le Gouvernement demande au peuple de se serrer la ceinture, de payer pour les déficits dont sont responsables ces marchés financiers, de payer pour les retraites, pour la sécurité sociale, de payer en licenciements et en précarité l’engraissement d’une minorité dont l’argent est finalement plus nuisible qu’utile à la société ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le COR a mis en évidence qu’une simple augmentation de cotisation des entreprises de 0,26 % par an – ce qui est largement en dessous du taux d’inflation – rapporterait 110 milliards d’euros à l’échéance 2050, c’est-à-dire le chiffre avancé par le Premier ministre lui-même pour assurer le financement des retraites. Ce ne sont pas, monsieur Bertrand, les cotisations qui ont créé la crise, c’est l’overdose de liquidités des marchés financiers, comme le dit Patrick Artus.
Le summum de l’ignominie – ou de l’honnêteté – est atteint lorsque le ministre du budget nous explique que le projet de loi du Gouvernement sur les retraites s’inscrit dans l’engagement de la France de réduire sa dette, dans le but évident de plaire aux dirigeants européens, aux agences de notation et aux marchés financiers. Ainsi, pour faire plaisir aux marchés financiers, responsables de la crise, donc d’une grande partie des déficits des État, mais aussi responsables du déficit du régime général des retraites du secteur privé – un déficit sur lequel les mêmes marchés spéculent aujourd’hui, comme cela a été le cas en Grèce –, il est demandé instamment aux États de combler leurs dettes sous peine d’être financièrement punis. Ainsi, nous devrions sacrifier retraite, protection sociale, école et hôpital et nous coucher devant la loi, ou plutôt la dictature des marchés financiers !
Votre contre-réforme est, ni plus ni moins, une capitulation devant un monde qui ne sait que se gaver de milliards d’euros. Votre obstination à protéger ce monde, à présenter des lois iniques, m’incite à conclure mon intervention par cette phrase du prix Nobel d’économie Paul Krugman : « L’élite des responsables politiques – les banquiers centraux, les ministres des finances, les élus qui se dressent en défenseurs de la vertu budgétaire – agissent comme les prêtres d’un culte antique, exigeant que nous nous livrions à des sacrifices humains pour apaiser la colère de dieux invisibles. » Au courage dont vous vous réclamez sans cesse pour procéder à ces sacrifices humains avec votre projet de loi, nous préférons notre courage et notre proposition de loi, consistant à oser affronter la colère de ces dieux pas si invisibles : les marchés financiers et les spéculateurs, ceux-là même que l’économiste américain Galbraith appelle les « faux-monnayeurs ». (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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