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Sports : organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’Euro 2016 est un événement d’une grande portée pour notre pays. Comme toute compétition internationale se tenant sur notre sol, l’Euro 2016 peut être une chance pour le développement des pratiques et des infrastructures sportives. J’espère d’ailleurs que les très bonnes performances des handballeurs français augurent d’une possible organisation d’une prochaine coupe du monde sur notre territoire et non au Qatar.
Toutefois l’Euro 2016, comme d’autres événements sportifs, ne représentera cette chance que s’il est porté par une ambition et des moyens publics – État et collectivités territoriales – au service de l’intérêt général. Il ne sera cette chance que s’il est accessible au plus grand nombre, que s’il est accompagné et poursuivi par un effort important envers les pratiques amateurs afin qu’elles puissent accueillir les nouveaux pratiquants motivés par cet événement.
Vous avez, madame la ministre, souhaité qu’il soit procédé à une évaluation des candidatures portées par la France ces dernières années pour améliorer le rayonnement et l’efficacité de nos futures candidatures. Je m’en félicite. Cependant, dans cette évaluation, il faudra ouvrir un chapitre sur les conséquences et les engagements que la réussite de telle ou telle candidature pose en matière de financement et de responsabilité publiques !
En se portant candidat, l’État et la Fédération française de football connaissaient les conditions édictées par l’UEFA concernant le nombre de stades, leur capacité d’accueil du public ainsi que de la qualité d’accueil : loges, salons privés pour les partenaires officiels. Le chiffre de 5 000 a été cité.
Le cahier des charges était, certes, discutable, le coût des grands événements sportifs ne cessant de grimper pour les États organisateurs et l’utilisation pérenne d’équipements surdimensionnés pouvant poser des problèmes aux collectivités comme aux clubs. Néanmoins le cahier des charges était connu, qui demandait des provisions, des mobilisations budgétaires au plus haut niveau.
Non seulement cela n’a pas été fait, mais les moyens publics pour le sport ont encore été réduits dans la dernière période. Au pauvre budget du ministère des sports de 197 millions hors CNDS, s’ajoutera un financement moindre des collectivités territoriales, victimes du gel des dotations et de la suppression de la taxe professionnelle.
Résultat : des collectivités ont renoncé, d’autres cherchent des financements tous azimuts et l’État fait défaut. Il ne s’engage que pour un peu plus de 8 % par rapport au 1,8 milliard nécessaire et met à contribution le CNDS dont, vous le savez, ce n’est pas l’objectif et qui, par ailleurs, restreint les financements du sport amateur. Je rappelle l’engagement de 30 % de l’État pour la Coupe du monde l998.
Exigence de la FIFA, désengagement public, tout pousse à renforcer la tendance déjà lourde de la marchandisation du sport, notamment par le biais de partenariats public-privé. Heureusement, comme il existe encore des obstacles à cette complète marchandisation, nous arrivons à cette proposition de loi de circonstance. En effet, comment dénommer ce texte qui ne porte que sur l’organisation du championnat d’Europe de l’UEFA 2016 et qui multiplie des régimes dérogatoires au code du sport comme à celui des collectivités ?
Si j’étais certaine que cette loi n’a pas vocation à faire jurisprudence pour le financement futur des équipements sportifs, je pourrais, monsieur le rapporteur, lui trouver, sans pour autant l’approuver, l’excuse de l’impréparation et de l’urgence au regard de la date butoir de 2014. Si cette loi nous garantissait que la gestion des collectivités ne sera pas impactée à long terme par ce méli-mélo juridique, j’aurais la même attitude. Cependant tel n’est pas le cas. Le risque est grand que les collectivités soient amenées à s’endetter pour encourager des projets démesurés.
Cette proposition de loi vient après une série de cavaliers et de lois parcellaires allant tous dans le même sens : celui d’un remplacement des financements publics pour un droit effectif au sport du plus grand nombre dans toutes les pratiques et à tous les niveaux au profit d’un financement privé centré sur le retour sur investissement.
Nous avions déjà eu le cavalier introduit dans le projet de loi relatif à la modernisation des services touristiques permettant aux collectivités locales de participer au financement de stades entièrement privés comme le fameux OL Land dont a parlé mon collègue André Gerin. Nous avons maintenant cette proposition de loi qui organise la participation des collectivités territoriales au financement de stades privés pour quelques clubs, en l’occurrence ceux de Paris, de Nancy et de Lens.
Ainsi, l’article 1er donne la possibilité aux collectivités territoriales d’accorder des subventions à des clubs pour la construction d’équipements qu’elles financent déjà par d’autres voies, puisqu’elles sont parties prenantes de montages reposant sur un bail emphytéotique administratif.
Au moins, le bail emphytéotique ne permettait que le financement d’un équipement d’intérêt général. En l’occurrence, la subvention pourra en revanche être utilisée pour développer des stades galeries commerciales comme en témoigne l’article 2. Cet article fait sauter tous les verrous encadrant les subventions des collectivités aux clubs. Que disent en effet les articles du code du sport que vous entendez supprimer ?
Son article 113-1 interdit aux collectivités territoriales d’accorder des garanties d’emprunt et de cautionnement aux clubs qui réalisent plus de 75 000 euros de recettes par an, et ne les autorise à aider que les associations pour leurs projets d’équipement et d’investissement.
L’article 113-3 plafonne le montant des aides accordées par les collectivités territoriales aux sociétés sportives pour les contrats de prestation de services et pour leurs activités qui ne sont pas d’intérêt général.
L’article 112-11 interdit le versement aux sociétés sportives par les collectivités territoriales d’aides économiques, y compris des subventions, si elles ne sont pas en difficulté ou si elles ne servent pas un intérêt public.
J’ai lu ces articles, résultat du travail législatif de ministres ayant appartenu à des majorités différentes. Au moins, avaient-ils au cœur la défense du mouvement sportif et soutenaient-ils l’idée que le droit au sport ne pouvait relever d’une marchandisation à l’extrême.
Si vous faites sauter ces articles, monsieur le rapporteur, madame la ministre, c’est pour supprimer toute limite à l’utilisation de ces subventions, quitte à ce qu’elles servent à résoudre les problèmes financiers des clubs ou à nourrir les grands groupes du BTP.
Nous savons ce que les clubs entendent par « problèmes financiers ». Ces problèmes sont liés à la baisse des droits TV sur lesquels ils ont fondé leurs budgets, à la course aux salaires et aux transferts, mais également à un problème de billetterie.
Nous aurions un beau travail à mener sur ce sujet. Quels rapports nouveaux aux supporters, qui ne peuvent se résumer aux articles les concernant dans la LOPPSI !
L’Euro 2016 aurait pu permettre d’avancer sur le contrôle de gestion des clubs au plan européen. Si l’on peut se féliciter du fair-play financier initié par Michel Platini qui vient d’être réélu à la présidence de l’UEFA – à quelques pas d’ici au Grand Palais –, une initiative de l’Union européenne pour un véritable contrôle de gestion des clubs est indispensable et la France, madame la ministre, pourrait en prendre l’initiative.
Il y a quelques semaines, nous avons entendu beaucoup de discours sur le millefeuille des collectivités territoriales et la nécessité de réduire les dépenses publiques lors du débat sur la réforme des collectivités territoriales. En revanche lorsqu’il s’agit de l’Euro 2016, lorsqu’il s’agit de maximiser les profits des grands groupes privés, vous faites exception.
En supprimant l’article 1511-2 du code général des collectivités territoriales, vous éliminez le contrôle par la région du versement des aides économiques par les communes et les départements pour les sociétés sportives. En réalité, votre discours diffère lorsqu’il s’agit des hommes et des femmes qui vivent de leur travail et lorsque les intérêts de quelques financiers sont en jeu.
Enfin, parlons d’Europe.
Nous avons tous ici, à part quelques-uns peut-être, contribué à faire reconnaître l’exception sportive dès le traité de Nice. Nous avons fondé cette exigence en soulignant que le sport ne relevait pas des logiques marchandes, mais d’un droit. J’espère, madame la ministre, que la Commission européenne ne reviendra pas sur cette spécificité en prenant appui sur la loi que vous voulez nous faire adopter ce soir. Elle pourrait en effet considérer que ce régime d’aide est contraire aux règles les plus élémentaires du droit de la concurrence – que vous défendez – car vous accordez un avantage concurrentiel majeur à certaines sociétés sportives uniquement.
L’article 3 couronne cet édifice dérogatoire. À ce régime de circonstance, vous ajoutez une justice de circonstance. Vous proposez que les collectivités territoriales puissent s’accorder avec les sociétés sportives sur la composition d’un tribunal ad hoc qui démêlera leurs différends. Vous proposez qu’elles puissent fixer elles-mêmes les règles de résolution des conflits et, de surcroît, qu’elles puissent s’arranger à l’amiable.
Cela est source de bien des dangers car, pour que les stades sortent bien de terre avant 2016, il y a fort à parier que ni le club ni la collectivité territoriale ne feront appel de la décision du tribunal arbitral en cas de désaccord. L’intérêt de la puissance publique peut passer au second plan, ce que ne laisserait pas faire un tribunal administratif. C’est d’ailleurs un principe général de notre droit inscrit dans le code civil que de ne pas compromettre quand de l’argent public est en jeu.
En 2007, le rapport du conseiller d’État Labetoulle remis au garde des sceaux indiquait que si l’arbitrage venait à être autorisé pour les personnes publiques, il devrait être encadré par des règles spécifiques. L’arbitrage est très répandu dans le monde de la FIFA, dites-vous, madame la ministre. Cependant la FIFA n’est pas l’État, les responsabilités ne sont pas les mêmes.
Vous allez sans doute me dire, monsieur le rapporteur, que cette loi est inévitable car, maintenant, on ne peut plus faire autrement, d’où l’urgence. Mais enfin, mesurons les conséquences de l’adoption d’une telle loi et la jurisprudence politique qu’elle peut créer !
L’argent privé va-t-il devenir le seul recours en matière d’infrastructures sportives ? Puisque parler de la construction d’équipements, c’est parler d’avenir, quelles alternatives avons-nous ? Débattons-en donc.
Je pense qu’il faut remettre le problème à l’endroit et se poser d’abord la question de nos objectifs en matière sportive avant d’aborder celle des moyens.
Le sport et les activités physiques, parce qu’ils participent à la construction personnelle et à l’épanouissement des individus, parce qu’ils constituent des éléments d’aménagement du territoire, doivent s’appuyer sur des missions de service public. Cela signifie que l’État, le mouvement sportif, les élus locaux et nationaux doivent élaborer de concert un grand plan national d’équipements à même de répondre aux besoins des pratiquants et pratiquantes comme des publics et d’accueillir tous les niveaux de compétition. Néanmoins tout cela n’est possible que si la puissance publique crée des conditions favorables par la loi et par un budget correspondant.
Tout le monde est d’accord pour dire que la connaissance participe à l’élévation des individus et que, en conséquence, il doit exister une école nationale, publique, financée par l’impôt. II en va de même pour le sport. Nous devons donc mobiliser des moyens publics pour construire les équipements et garantir le droit à la pratique sportive pour tous et toutes, amateurs, sportifs de haut niveau ou professionnels
En 2007, un candidat à la présidentielle s’était engagé devant l’assemblée générale du Comité national olympique et sportif français à porter la part du budget consacrée au sport à 3 %. En cette matière comme en d’autres, ce candidat devenu Président n’a pas tenu ses engagements. (Approbations sur les bancs du groupe SRC.)
Pour notre part, nous prenons l’engagement de nous acheminer vers cet objectif, avec une première étape dès 2012. Mettons fin au gel des dotations pour les collectivités. Tout cela est possible si l’on met enfin en place une réforme de la fiscalité juste et efficace.
J’ai déjà parlé des cavaliers et des lois sectorielles qui ont accompagné la marchandisation d’une partie du sport tout au long de ces dernières années. Quand pourrons-nous enfin, onze ans après la loi de 2000, débattre d’une grande loi-cadre sur le sport, une grande loi qui permettra de relever les nouveaux défis et de préserver le sens et l’éthique du sport ?
C’est, je l’espère, madame la ministre, cette exigence qui s’exprimera lors du parlement du sport que vous organisez la semaine prochaine.
Pour toutes ces raisons et parce que nous estimons qu’il était possible de préparer autrement cet Euro 2012, madame la ministre, monsieur le rapporteur, les député-e-s communistes, républicains et du parti de gauche, qui regrettent que vous ayez demandé la procédure d’urgence, ne pourront que voter contre cette loi de circonstances, je dirais même d’exception, qui nous est proposée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)
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