Interventions

Discussions générales

sécurité du transport aérien

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe SRC vise deux objectifs : renforcer la sécurité du transport aérien et améliorer la transparence de l’information.
Si des progrès ont été accomplis en la matière, ces deux objectifs demeurent une préoccupation majeure, compte tenu de l’accroissement du trafic aérien et des conséquences de la libéralisation effrénée de ce secteur. Je me félicite que notre assemblée se penche sur ce sujet crucial, et je tiens à remercier notre rapporteure d’en être à l’initiative. En revanche, je déplore l’attitude de la majorité qui a rejeté en bloc les articles de ce texte d’initiative parlementaire dans le cadre de l’examen en commission.
Les récentes catastrophes aériennes du vol Rio-Paris et de celui de Yemenia Airways aux Comores ont suscité une grande émotion, à la hauteur des interrogations sur les causes de ces tragédies.
L’avion constitue un transport sûr, mais la confiance dans la technologie aéronautique n’en demeure pas moins fragile. Il faut dire que le mode de calcul des ratios de risque, favorable au transport aérien, oriente l’information à disposition des usagers et leur choix de mode de transport. Depuis près de vingt ans, le rapport entre nombre d’accidents et nombre de vols est certes stable mais, compte tenu de l’accroissement du trafic mondial dans les prochaines décennies, devons-nous pour autant nous résoudre à une hausse des catastrophes aériennes ?
Des avancées doivent voir le jour pour éviter ce scénario. Je pense aux progrès technologiques, naturellement, mais aussi au contrôle accru des autorités de régulation et à une harmonisation par le haut des normes sociales et techniques.
Plus que jamais, une intervention publique forte dans ce secteur est indispensable. Les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche sont attachés à ce principe et refusent toute nouvelle volonté de privatisation ou de démantèlement.
Le texte que nous examinons propose de faire évoluer le cadre institutionnel en créant notamment une Haute autorité de sécurité aérienne et en dotant le Bureau d’enquêtes et d’analyses du statut d’établissement public administratif.
La Direction générale de l’aviation civile et son Bureau d’enquêtes et d’analyses jouent un rôle crucial dans la sécurisation du transport aérien sur notre sol et au-delà. La DGAC assure une mission générale de régulation du secteur aérien, à travers la supervision des compagnies et des constructeurs, le contrôle du trafic et la réglementation, laquelle intègre désormais des préoccupations environnementales, même si beaucoup reste à faire. Le Bureau d’enquêtes et d’analyses, qui lui est rattaché, met en œuvre une politique de retour d’expérience pour tirer les leçons des graves défaillances aéronautiques. Chaque année, le BEA participe ainsi à près de deux cent cinquante enquêtes, dont plus de la moitié dans des pays étrangers, au titre de représentant de l’État de conception ou de l’exploitant. C’est dire l’importance de cet organisme dans le monde de l’aviation civile et la reconnaissance dont il bénéficie. Je profite d’ailleurs de cette discussion pour saluer cette expertise exceptionnelle forgée depuis cinquante ans par le BEA et ses personnels.
M. Michel Hunault. Très bien !
Mme Martine Billard. Comme l’a indiqué notre rapporteuse, les récentes tragédies aériennes ont rappelé les attentes fortes des familles et du public en matière de contrôle du secteur aérien. Elles ont démontré les atouts, mais également les limites de l’organisation actuelle.
Premier objectif de cette proposition de loi : l’amélioration de l’information communiquée à l’entourage des victimes et au public. Il s’agit là d’une mission essentielle du BEA qui doit être confortée. Après la catastrophe du vol Yemenia Airways, les familles des victimes n’ont pas pu obtenir d’informations satisfaisantes. Cette terrible incertitude s’ajoute à la douleur de la perte d’un proche.
Le présent texte facilite l’accès aux données des enquêtes menées par le BEA, et je m’en réjouis. J’ajoute que la réglementation européenne nous y invite. Les préconisations émises dans les rapports du BEA doivent également bénéficier d’une plus grande publicité.
La création d’une autorité administrative indépendante chargée de s’assurer de la qualité de notre politique de sécurité aérienne est une proposition intéressante. Cette Haute autorité de sécurité aérienne constituerait un verrou supplémentaire contre toute tentative de pression.
Sa saisine par le Gouvernement et le Parlement représente également une avancée importante, tout comme ses larges pouvoirs d’investigation et de communication des pièces. La rédaction par cette Haute autorité d’un rapport annuel sur la sécurité aérienne est une conséquence logique de ce schéma.
Pour autant, la création de cet organisme ne saurait aboutir à un démantèlement de la Direction générale de l’aviation civile et de ses missions. Leurs rôles doivent être clairement dissociés. Le maintien de la DGAC dans ses missions de contrôle est indispensable.
J’en viens au statut d’établissement public administratif dont serait doté le Bureau d’enquêtes et d’analyses. S’agissant d’un domaine aussi sensible, nous partageons le souci d’indépendance de cet organisme formulé par la rapporteure. Il est vrai que le BEA dispose d’un statut original. S’il est rattaché à la direction générale de l’aviation civile, son indépendance est garantie par la loi. D’autres pays ont fait le choix d’organismes totalement indépendants, correspondant davantage à leur tradition juridique.
Le droit européen, particulièrement la récente adoption du règlement sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l’aviation civile, incite ces organismes d’enquête à se doter de la personnalité morale. Une telle évolution présente incontestablement des avantages, notamment en termes d’autonomie financière et de possibilités de levée de fonds auprès de l’Union européenne et des États étrangers. Elle peut toutefois également ouvrir la voie à un affaiblissement de la puissance publique dans cette mission de contrôle a posteriori.
C’est ainsi que doit être comprise l’inquiétude des personnels du BEA et de leurs représentants face au projet de transformation en établissement public administratif. Eu égard aux profondes mutations subies par la DGAC à la suite de l’introduction du ciel unique européen, je partage cette inquiétude. Des réformes douloureuses et néfastes se sont succédé pour répondre aux dogmes libéraux européens, opérant une séparation de l’ensemble des activités pour mieux les mettre à terme en concurrence.
Pour des motifs comptables et budgétaires, la Cour des comptes a préconisé cette évolution statutaire de l’ensemble de la DGAC. Ce scénario figurait parmi les options envisagées par le rapport parlementaire prévu à la loi de finances 2009. Mais après s’être dits favorable à de telles évolutions, le Gouvernement et sa majorité parlementaire ont fait machine arrière. Pour quelle raison ? Le coût de fonctionnement de ces nouveaux organismes. Rien n’échappe à l’austérité budgétaire chère au Président Sarkozy, pas même la sécurité des passagers !
Au-delà des questions statutaires se pose la question de l’effort financier que la nation est prête à assumer pour améliorer la sécurité aérienne, et de la volonté politique qui est à l’œuvre.
En trois ans, cinq cents emplois de la DGAC seront supprimés et les coûts de fonctionnement seront abaissés de 10 % afin de dégager des marges de manœuvre financière pour les programmes du ciel unique européen. Cette administration du budget annexe souffre d’un déficit structurel. Comment ne pas voir là un manque de volonté politique ?
Le Bureau d’enquêtes et d’analyses ne dispose pas de moyens suffisants pour mener à bien ses investigations. Cette situation a un impact sur le délai des enquêtes menées. Son budget peut varier considérablement d’une année sur l’autre – l’accident Rio-Paris l’a démontré –, ce qui appelle de nouvelles ressources.
Pour les députés de notre sensibilité, l’amélioration de la sécurité aérienne nécessite de s’affranchir de la pression du marché. Les dépenses de sécurité ne peuvent être considérées comme un coût.
Si la plupart des grandes compagnies ont intégré cette analyse, l’ascension des compagnies du Golfe soulève des inquiétudes tout comme le renforcement des compagnies low cost. À cela s’ajoutent les pratiques hors-la-loi, qui ne sont pas rares pour contourner les législations les plus protectrices.
Mme Odile Saugues, rapporteure. Il existe des voyous !
Mme Martine Billard. Cela nous paraît d’autant plus préoccupant que près des deux tiers des accidents proviennent directement ou indirectement d’erreurs humaines et que, selon les dires mêmes de la DGAC, les efforts d’harmonisation sociale se heurtent à la pression économique.
Les opérations de fusion entre compagnies se font au détriment de l’emploi. Air France-KLM a ainsi réduit de 10 % ses effectifs en trois ans. La sous-traitance d’activités stratégiques s’accroît sans apporter de parfaites garanties en matière de sécurité. La guerre des prix ne va-t-elle pas entraîner l’ensemble des compagnies vers une régression des règles de sécurité ?
Sur un autre plan, les évolutions européennes instaurant le ciel unique européen sont également préjudiciables. Sous le motif légitime d’harmoniser les règles et les procédures de contrôle, c’est la voie ouverte à toujours plus de dérégulation.
Cette volonté de favoriser la concurrence dans les activités de navigation et de contrôle aérien ne sera pas sans conséquences à terme sur l’évolution de la sécurité aérienne. C’est ce qui explique l’importance de renforcer la transparence de l’information en matière de sécurité aérienne.
En conséquence, nous voterons la proposition de loi du groupe SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Martine
Billard

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