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Discussions générales

Répression de la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Éric Raoult. J’applaudis, en mémoire de Guy Ducoloné.
M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, le droit français sanctionne la contestation des crimes contre l’humanité depuis la loi Gayssot du 13 juillet 1990. Ainsi, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifiée, punit-elle ceux qui auront contesté l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par le statut du tribunal militaire international et qui ont été commis par les membres d’une organisation déclarée criminelle ou par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Concrètement, seule la Shoah est aujourd’hui concernée par cette pénalisation du négationnisme. Or la France a reconnu depuis, dans une loi de la République adoptée à l’unanimité en janvier 2001, l’existence d’un autre génocide, celui des Arméniens en 1915.
Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !
M. Jean-Paul Lecoq. Malgré la portée symbolique évidente de cette loi, la rédaction de la loi sur la liberté de la presse est telle qu’elle ne permet pas de réprimer la contestation ou la minimisation outrancière de ce génocide, qui peut donc demeurer impunément démenti ou contesté.
Cette proposition de loi permet de réprimer la contestation ou la minimisation outrancière des génocides reconnus comme tels par la loi française. Pour ce qui nous concerne, s’il convient d’être vigilant car ce n’est pas à la représentation nationale d’écrire l’histoire, nous ne pouvons qu’approuver la pénalisation du négationnisme, qui doit être sanctionnée avec la plus grande fermeté.
Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !
M. Jean-Paul Lecoq. En effet, comme le dit si justement Yves Ternon dans La problématique du négationnisme, « la négation d’un génocide est une composante du crime ».
M. François Rochebloine. Absolument !
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très juste !
M. Jean-Paul Lecoq. « Elle est tissée avec le crime. C’est une stratégie de destruction de la vérité et de la mémoire. »
M. Bernard Deflesselles. Très bien !
M. Jean-Paul Lecoq. « La négation est à la fois un instrument du meurtre – elle fait disparaître le cadavre – et une réaction de défense contre une accusation de meurtre. »
Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !
M. Jean-Paul Lecoq. La proposition de loi qui nous occupe ce matin peut être un levier dans le combat pour l’émancipation humaine et les valeurs universelles qui fonde mon, notre engagement communiste. Elle ouvre également la porte pour le renforcement du rôle de la France dans la défense des droits de l’homme et du droit des peuples à la justice.
C’est la lecture que nous faisons de cette proposition de loi qui, il est vrai, ne concerne aujourd’hui que le génocide arménien, puisqu’il est le seul reconnu légalement par la France, mais qui, demain, est susceptible de concerner d’autres génocides.
Nous préférions la rédaction initiale, qui était plus large, celle de Mme la rapporteure, à celle de M. Warsmann, car elle permettait de pénaliser l’apologie, la négation ou la banalisation grossière des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre reconnus par les instances internationales et qui auraient fait l’objet d’une reconnaissance non pas seulement par la loi mais aussi par une convention internationale, par une décision prise par une instance communautaire ou internationale, ou qualifiés comme tels par une juridiction française. Cette écriture, moins étroite dans son interprétation, aurait plus facilement permis de mener un combat pour la reconnaissance de notre passé, si douloureux soit-il.
À cet égard, le Premier ministre turc n’a pas tort lorsqu’il nous invite à regarder du côté de notre propre histoire, du côté de l’Algérie et du côté du Rwanda par exemple.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Vous aviez bien commencé, mais ça finit mal !
M. Richard Mallié. Vous ne pouvez pas vous en empêcher !
M. Jean-Paul Lecoq. Il est en effet du devoir de notre pays, si facilement donneur de leçons, d’accomplir son propre devoir de mémoire, même s’il est parfois honteux. Marc Ferro le dit sans ambages : si pénible soit-il, l’événement doit être reconnu, car le silence est à la fois la première forme de la contre-histoire et la source première des haines que nourrit la complicité de l’oubli avec le pouvoir.
La France doit oser, si elle souhaite gagner en crédibilité sur la scène internationale, se souvenir par exemple de ses tristes périodes coloniales et des faits qu’elle a occultés durant de trop nombreuses années. C’est toute son histoire qu’elle a le devoir de se remémorer et de reconnaître.
M. Richard Mallié. S’il vous plaît, ne mélangez pas les torchons et les serviettes !
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Pas d’amalgame !
M. Jean-Paul Lecoq. À ce titre, je vous rappelle que notre groupe a déposé en novembre dernier une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de la République française dans le massacre du 17 octobre 1961, jour où au moins deux cents travailleurs algériens qui manifestaient pacifiquement à Paris ont été victimes de la répression d’une extrême violence des forces de l’ordre, alors dirigées par le préfet de police Maurice Papon.
M. Éric Raoult. Vous gâchez toute votre intervention !
M. Jean-Paul Lecoq. La République a reconnu sa responsabilité dans la chasse aux juifs sous Vichy ; elle a reconnu sa responsabilité vis-à-vis de l’esclavage : elle doit la reconnaître également dans le massacre du 17 octobre.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Ça suffit ! C’est une honte !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est outrancier !
M. Jean-Paul Lecoq. Benjamin Stora nous enseigne que l’oubli est aussi organisé par les États. Une forme d’oubli qui instaure des amnésies, des silences consciemment entretenus par l’État, silences partagé avec la société qui, de gré ou de force, les intériorise. Cet oubli, peu ou prou, est aussi une forme de négation, un mensonge par omission pourrait-on dire.
Par ailleurs, si notre mémoire semble bien sélective pour l’histoire de notre pays, elle l’est aussi à l’échelle internationale. Il est nécessaire de reconnaître le génocide arménien, au même titre que la Shoah, et de punir sa négation, mais qu’en est-il par exemple de la reconnaissance du génocide des Indiens d’Amérique ou encore des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale ?
M. Jean-Christophe Lagarde. Et le génocide soviétique ? Il n’y a que Staline que vous épargnez !
M. Dominique Dord. Et le goulag ?
M. Jean-Paul Lecoq. D’octobre 1939, avec les premières déportations des Tziganes d’Autriche puis la création d’un camp d’internement de Tziganes à Leopoldkrom près de Salzbourg, au 27 février 1945, avec l’évacuation de mille femmes tziganes du camp de Ravensbrück, entre 500 000 et 750 000 Tziganes sont morts assassinés, le plus souvent gazés, par l’Allemagne hitlérienne.
M. Jean-Christophe Lagarde. Et les Arméniens sous Staline ?
Plusieurs députés du groupe UMP. Et les Polonais ? Et les Ukrainiens ?
M. Jean-Paul Lecoq. 30 000 Tziganes français ont été internés dans des camps en France. Des dates dramatiques marquent les douleurs de cette communauté, dates oubliées, voire volontairement effacées de l’histoire. La France doit aussi ouvrir les yeux sur ce génocide. Sans oublier ses propres responsabilités historiques, notamment les ordres du maréchal Pétain relatifs à l’internement des Tziganes dans des camps de concentration.
C’est dans ce but que nous avons déposé en avril dernier une proposition de loi tendant à reconnaître le génocide tsigane – mais toutes les lois n’empruntent pas le même chemin, à la même vitesse. De même, pour ne pas tomber dans l’indignation sélective, reconnaissons aussi le génocide au Rwanda.
Mme Boyer, députée de la majorité, a pu obtenir l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour, alors même qu’à quelques mois des élections il est particulièrement chargé. Nous n’osons imaginer qu’il s’agisse là d’une démarche électoraliste en direction de la communauté arménienne de France.
M. Dominique Dord. C’est une promesse à tenir !
M. Jean-Paul Lecoq. Il serait en effet insupportable que l’histoire de ce peuple puisse être instrumentalisée par le Président-candidat de la République.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Que faites-vous de la séparation des pouvoirs ?
M. Jean-Paul Lecoq. Pour ce qui nous concerne, ce qui nous guide aujourd’hui c’est la lutte contre l’oubli et la reconnaissance de la responsabilité des auteurs des crimes les plus odieux. De tous les crimes, y compris ceux dont la France a à assumer la paternité. Si telle n’était pas la motivation des auteurs de ce texte et du Gouvernement, il leur faudrait alors assumer une telle posture. Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche voteront donc pour cette proposition de loi qui pénalise la négation des génocides et qui appréhende plus globalement qu’aujourd’hui la pénalisation de l’apologie du racisme et des génocides. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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