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Discussions générales

Rénovation du réseau express régional d’Île-de-France

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête devait initialement se focaliser sur les dysfonctionnements constatés sur la ligne A du RER, mais son objet a été étendu à l’ensemble du réseau express régional d’Ile-de-France, ce qui est une bonne chose, les dysfonctionnements constatés sur la ligne A n’ayant rien à envier à ceux subis sur les autres lignes du RER, et notamment sur la ligne B, probablement la plus catastrophique.
Mon intervention portera néanmoins principalement sur la ligne A, celle que je connais mieux et la plus importante avec plus d’un million de voyageurs par jour. Son trafic s’est considérablement dégradé, héritage de décennies de manque d’investissements.
Le livre blanc rédigé par les élus des communes concernées pointe notamment les retards quotidiens, les rames surchargées, l’absence ou l’insuffisance des moyens de substitution en cas d’incident, le matériel obsolète, les arrêts trop peu nombreux dans certaines gares comme Nanterre-Ville, ou encore les temps d’attentes subis par les usagers à Nanterre-Préfecture du fait des changements de conducteurs.
Je voudrais saluer ici ces centaines de milliers de citoyens qui voyagent quotidiennement dans ces conditions inhumaines et qui ont le sentiment d’être méprisés, ainsi que les salariés, notamment les conducteurs qui, sur certaines rames, ont la responsabilité de plus de 2 500 passagers et font face à des conditions de travail très difficiles.
J’invite les futurs membres de cette commission d’enquête, si le principe en est voté, à tenter de prendre le RER à Châtelet entre huit heures trente et neuf heures afin qu’ils apprécient concrètement les conditions endurées par les usagers de cette ligne.
Si la situation du RER A s’est brusquement dégradée ces dernières années, les causes en sont profondes et ne datent pas d’hier. C’est à partir de 1992, à la suite de l’ouverture du parc Eurodisney à Marne-la-Vallée, que la ligne A a connu un développement exponentiel.
M. Henri Plagnol. C’est tout à fait vrai !
Mme Jacqueline Fraysse. L’immobilier s’est développé très fortement à l’Est de la région, tandis que les emplois étaient à l’Ouest, à la Défense notamment. Ce développement déséquilibré s’est poursuivi jusqu’aujourd’hui,…
M. Henri Plagnol. Hélas !
Mme Jacqueline Fraysse. …au point d’aboutir à une ligne constamment au bord de la rupture, avec un train toutes les deux minutes et une marge de tolérance, dans le tronçon central, qui ne dépasse pas cinq secondes par station, le tout avec un matériel vieillissant et des infrastructures très dégradées.
Car, pendant que l’usage de la ligne A se développait, les moyens qui y étaient affectés ne suivaient pas. Les seuls travaux réalisés sur cette ligne se sont limités à la prolonger jusqu’à Marne-la-Vallée. Quant à la SNCF, elle concentrait ses efforts sur le TGV, délaissant les réseaux de proximité, RER et TER.
Ce petit rappel historique permet de montrer que le syndicat des transports d’Ile-de-France, autorité régulatrice, est loin de porter seul la responsabilité de la situation dégradée du RER. Au contraire, depuis que la région en a pris les commandes à la place de l’État, en 2005, le STIF a engagé des mesures qui, espérons-le, devraient améliorer la situation.
Dès 2008, il a demandé à la RATP, qui gère l’essentiel de la ligne, d’élaborer un programme d’amélioration, avec des mesures d’exploitation, de maintenance et d’investissement. C’est ainsi qu’il a pris la décision de renouveler les 130 rames de la ligne à partir de cet automne, afin de n’avoir plus, d’ici à 2017, que des rames à deux niveaux qui permettront d’augmenter la capacité d’accueil de 30 %.
Le STIF a par ailleurs mis sur pied un comité de ligne, lieu d’échanges entre les différents acteurs concernés, et demandé à la SNCF, à la RATP et à RFF d’accroître leurs budgets de maintenance et d’investissement et d’engager un schéma directeur de la ligne A afin de coordonner leurs actions.
Si ces mesures sont indiscutablement intéressantes, elles ne vont cependant pas résoudre tous les problèmes du jour au lendemain. M. le rapporteur met en garde contre « un réseau surdimensionné ». Je crois pouvoir lui dire que le nombre actuel de voyageurs et les perspectives d’évolution de la Défense permettent d’emblée d’écarter cette hypothèse. Je crains plutôt le contraire…
En effet, ces dysfonctionnements ont d’autres causes qui ne dépendent pas du STIF. Je pense notamment aux prix des logements, qui ont explosé ces vingt dernières années, repoussant de plus en plus loin de Paris les ménages modestes et les classes moyennes.
Le STIF n’est pas davantage responsable des décisions prises en matière d’aménagement du territoire car, malgré les lois de décentralisation, la France reste un pays très centralisé autour de Paris et de l’Ile-de-France qui ne représente que 2 % du territoire national, mais concentre 18 % de la population et 29 % du PIB.
Au sein même de la région Ile-de-France, le développement économique se révèle très inégal, les emplois, je l’ai déjà dit, étant plutôt localisés à l’Ouest. Le schéma directeur régional d’Ile-de-France s’est d’ailleurs fixé pour objectif de rééquilibrer le développement économique à l’Est de la région afin de réduire la pression foncière et de limiter le nombre de déplacements.
Le quartier d’affaires de la Défense est à ce titre symptomatique de ce déséquilibre puisqu’il concentre sur un territoire somme toute réduit très peu de logements, mais 150 000 salariés dont 90 % viennent travailler en utilisant les transports en commun.
Et cela va se poursuivre, car le modèle de développement de la Défense est lui-même exponentiel. En effet, l’aménagement en est confié à un établissement public – l’EPADESA – qui, pour assurer son équilibre financier, doit construire toujours plus de bureaux,
M. Patrick Ollier, ministre. Il s’en occupe justement !
Mme Jacqueline Fraysse. …ce que n’a pas manqué de dénoncer dernièrement encore le maire de Nanterre.
M. Patrick Ollier, ministre. J’étais précisément avec lui !
Mme Jacqueline Fraysse. Ainsi, pour éponger son déficit actuel, l’EPADESA doit construire entre 500 000 et un million de mètres carrés de bureaux en plus d’ici à 2020, soit entre 35 000 et 65 000 emplois supplémentaires sur la dalle de la Défense !
Quant au logement de ces salariés – sans parler des équipements publics –, personne ne s’en préoccupe et, pire, la ville de Nanterre a dû se battre pour imposer la présence de logements – en particulier de logements accessibles – dans le projet d’aménagement Seine-Arche, entièrement situé sur son territoire.
C’est pourquoi, dans ce contexte, la question se pose de l’opportunité d’une commission d’enquête sur le RER. Si l’action de la région sur cette question des transports en Île-de-France, depuis 2005 qu’elle est majoritaire au STIF, demeure perfectible, elle aura au moins rompu avec l’immobilisme qui avait prévalu jusque-là.
On peut donc s’interroger sur cette proposition, qui arrive au moment où les choses commencent à bouger, mais aussi à quelques mois de l’élection présidentielle et au lendemain de l’inauguration par le Président de la République de la première nouvelle rame du RER financée par le STIF. Tout cela n’est, bien entendu, pas dénué d’arrière-pensées politiques : comment comprendre autrement ce qui pousse nos collègues du Vaucluse, des Pyrénées-Orientales, des Ardennes et d’ailleurs à se passionner subitement pour les problèmes de transports des Franciliens et à cosigner cette proposition de notre collègue Pierre Morange ?
Si, a priori, cette proposition de création d’une commission d’enquête sur le réseau express régional d’Île-de-France peut être intéressante, nous mettons en garde contre son instrumentalisation pour d’autres objectifs, comme ce fut le cas, par exemple, de la mission d’information sur les fraudes sociales, dont le rapport final, focalisé sur les fraudes aux prestations, a outrageusement contredit le contenu de la quasi-totalité des auditions qui insistaient, au contraire, sur les fraudes aux prélèvements.
Après cette expérience, je suis particulièrement interrogative, même si je veux m’efforcer de croire qu’il s’agit là d’une démarche constructive. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte.

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Jacqueline
Fraysse

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