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Pouvoirs publics : élection des députés (répartition des sièges et délimitation des circonscriptions)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la farce du découpage n’est pas terminée. L’apprenti dépasserait-il le maître ? Nous nous trouvons dans une situation inédite sous la Ve République. Nous sommes saisis d’une nouvelle répartition des sièges de députés et d’un redécoupage de leurs circonscriptions qui nous rappellent étrangement l’opération effectuée en 1986. Avec qui ? Souvenez-vous ! Cherchez des noms ! Je vous répondrai.
Le rejet du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 29 juillet 2009 par le Sénat en a surpris plus d’un. Une erreur de bouton ! Bizarre, bizarre !
Néanmoins le Gouvernement et la majorité veulent absolument passer en force pour le faire adopter. On aurait pu espérer que le vote des sénateurs mette un terme à ce texte partisan. Pas du tout ! L’UMP s’arc-boute sur ses certitudes et n’entend surtout pas abandonner ce projet qui lui octroie un privilège électoral.
Tout a déjà été dit sur le fond et la forme de la réforme.
On nous explique que les conditions posées par la nouvelle Constitution sont respectées, c’est-à-dire la consultation d’une commission spécialement constituée ainsi que du Conseil d’État. On nous explique que le texte répond aux conditions posées par la loi d’habilitation du 13 janvier 2009. On nous explique que les circonscriptions englobent les cantons en entier sauf exceptions, que la population d’une circonscription ne s’écarte pas de plus de 20 % de la moyenne départementale, que le redécoupage tient compte de la population au 1er janvier 2006.
En résumé, tout irait bien dans le meilleur des mondes, selon l’UMP.
Or la nouvelle Constitution a été votée par l’UMP. La loi d’habilitation a été votée par l’UMP. Les membres de la commission consultative ont été nommés par l’UMP.
Vous avez entièrement rédigé le tableau des circonscriptions, monsieur Marleix, en concertation, il est vrai, avec les députés UMP. Vous êtes aussi secrétaire national de l’UMP chargé des élections, si je ne m’abuse. Ne trouvez-vous pas qu’il y a un mélange des genres ?
Nous ne sommes pas naïfs. Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on se retrouve avec un redécoupage pour l’UMP car fait par l’UMP. Tout cela est connu. Il ne s’agit pas de révélations.
Le seul hic dans la mécanique UMP est donc le vote négatif du Sénat. J’ai lu attentivement le compte rendu des débats qui s’y sont déroulés. J’ai eu l’impression que la droite avait décidé de passer en force, au mépris des règles de la Haute assemblée. On a assisté à une tentative de coup de force, prolongement naturel de la fermeture totale de la majorité sur ce texte.
Un tel sujet devrait pourtant être consensuel et d’ordre technique. Vous en avez fait un texte politique, hautement symbolique de votre conception de la démocratie et de l’État. Même les recommandations du Conseil d’État, conseiller juridique du Gouvernement, ont été écartées, au motif qu’elles étaient trop perfectionnistes. Cette attitude de mépris concerne d’ailleurs toute la représentation nationale, qui est simplement priée d’entériner l’ordonnance du Gouvernement. Seul le Gouvernement et son chef suprême, Nicolas Sarkozy ont raison.
Qui peut encore sincèrement évoquer le renforcement des pouvoirs du Parlement ? Dans l’État sarkozyste, la loi est la volonté d’un seul au bénéfice d’un camp !
Tout cela, malheureusement, n’est pas nouveau. Malgré tout, nous avons encore la possibilité de le dénoncer dans cet hémicycle : il nous reste encore un peu de temps de parole du temps programmé. Il reste environ cinq heures au groupe GDR.
Nous débattons, car c’est la République qui l’exige et parce que c’est la démocratie qui est en jeu.
Ce projet de loi, je le répète, favorise outrageusement les députés UMP. Après le bouclier fiscal pour les plus riches, il s’agit d’un bouclier électoral. Le mobile du rééquilibrage des populations des circonscriptions était louable. Le crime est désormais connu de tous.
Quels seront les effets de ce redécoupage ? Pour le savoir il suffit d’appliquer aux nouvelles circonscriptions les votes exprimés en 2007. Les résultats sont là : l’UMP gagnerait vingt sièges par le simple effet du redécoupage. Elle raflerait d’ailleurs la mise, seule, n’en déplaise au Nouveau Centre. La gauche compterait quatorze députés de moins : onze chez les socialistes et trois chez les députés du groupe GDR.
Sur les trente-trois circonscriptions qui seraient créées, neuf donneraient un député de gauche et vingt-quatre un député de droite. Sur les trente-trois circonscriptions qui seraient supprimées, vingt-trois concernent la gauche et dix seulement la droite, alors qu’elle détient plus de sièges.
Les députés non concernés par le redécoupage sont soixante-treize au groupe SRC, soit 35 % du groupe. Ils sont neuf au groupe GDR, soit 35 % du groupe. Mais ils sont cent quarante au groupe UMP, soit 45 % de l’effectif de ce groupe.
Le pourcentage des députés « protégés » bondit de dix points quand il s’agit de l’UMP. Le fameux charcutage que nous connaissons touche, on le voit, surtout la gauche. C’est une vérité incontestable.
Au rythme de ce processus, nous pourrions arriver à une situation dans laquelle les décideurs politiques élus par nos concitoyens seraient minoritaires en nombre de voix recueillies. C’est ce qui s’était passé aux États-Unis lors de la première élection de Georges Bush. Bien que minoritaire dans les urnes, celui-ci avait néanmoins été déclaré Président, du fait du système électoral.
Aussi étrange que cela paraisse, on peut imaginer une telle situation en France, la majorité des électeurs ne déterminant pas la politique menée.
Nul besoin ici d’invoquer la thèse marxiste de l’« État bourgeois », thèse selon laquelle, comme vous le savez seul le patronat tire les ficelles !
J’ai entendu tout à l’heure que, avec le redécoupage, il faudrait exactement 51,4 % des voix aux législatives pour que la gauche parvienne à obtenir une majorité.
De plus, avec la nouvelle carte électorale, une circonscription des Hautes-Alpes pourra compter 60 000 habitants, alors qu’une circonscription de Seine-Maritime en comptera 146 000 : un Normand pèsera donc deux fois moins qu’un Haut-Alpin.
Je ne connais pas la situation pour le Cantal, monsieur le secrétaire d’État.
En tout cas, on voit bien que nous sommes loin de l’égalité des citoyens devant le scrutin universel.
Les voix des citoyens seront toujours inégales, en contradiction avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et malgré tous les combats révolutionnaires du peuple français.
Je veux également insister sur un autre point à propos duquel nous nous distinguons quelque peu de nos collègues du groupe socialiste.
Il faut bien comprendre que les inégalités électorales ne feront que perdurer. Notre assemblée souffre d’un manque criant de représentativité. Grâce au scrutin uninominal, l’UMP et le PS raflent 90 % des sièges, alors qu’ils sont loin de représenter 90 % des voix de nos concitoyens au premier tour.
Notre loi électorale continuera donc à instaurer la bipolarisation. Celle-ci gomme la diversité politique de nos concitoyens et étouffe les plus petits partis. Il n’est donc pas farfelu de réfléchir à l’introduction d’une représentation proportionnelle, qui, seule, reflète la diversité.
À titre personnel, je dois avouer que je suis très attaché au lien direct qu’entretiennent les électeurs avec leurs élus.
Aussi nous faudrait-il réfléchir à un système qui respecte le lien territorial et garantisse en même temps la juste représentation des opinions politiques. Ce sont des questions complexes. De nombreuses configurations sont possibles.
Monsieur Marleix, vous qui voulez mettre en place un système mixte au niveau territorial, pourquoi refusez-vous cette idée au niveau national ? Chiche !
Nous ne tomberons certes pas d’accord aujourd’hui sur la meilleure règle électorale. Je me devais néanmoins d’évoquer cette question tant la négation de la diversité est pour beaucoup dans la crise de la politique. Je me devais aussi de signaler que la réforme de la carte électorale et des sièges de députés n’est certes pas bonne, mais qu’elle ne constitue pas non plus une révolution.
Elle est à resituer dans le contexte d’un État UMP qui contrôle tout, qui verrouille tout et qui s’attaque maintenant à la démocratie locale.
En plus de la casse des acquis sociaux et du pouvoir d’achat pour satisfaire les appétits du grand patronat, le Gouvernement en vient à détruire l’organisation territoriale de la France, des communes et des départements.
Toute résistance à la politique élyséenne est insupportable, qu’elle provienne des territoires ou du Conseil constitutionnel. Le tripatouillage des circonscriptions n’est qu’un exemple de plus d’une politique qui vise à assurer la mainmise totale de l’UMP sur la France, une tentative de mainmise sur tous les pouvoirs, qui se poursuit à travers le fricotage actuel du mode d’élection des futurs conseillers territoriaux pour lesquels il est prévu une élection à un seul tour. Quand bien même l’UMP n’obtiendrait pas la majorité absolue des voix, elle voudrait s’octroyer un maximum de sièges. Tout se tient dans les projets du Gouvernement.
Chers collègues, nous nous opposons fermement à ce projet de loi de ratification, replâtrage partisan d’un système inique qui favorise à outrance l’UMP. En revanche, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche sont disponibles pour revivifier notre démocratie à bout de souffle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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