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PnR Européenne faire respecter le droit internatinal dans le secours des migrants en mer Méditerranée

« En nous approchant davantage, nous commençons à discerner les corps. Derrière la première rangée d’hommes, se dessine une femme à moitié dénudée […], elle surplombe d’autres corps écrasés sous son poids. Le tout forme un tas étonnamment bien rangé. Impossible de les compter précisément. Leurs membres ne respectent plus aucune géométrie connue et je ne discerne pas bien le plancher sur lequel repose cet amas de chair. Mais des mains et des pieds, il y en a beaucoup. Je vois des seins, des bouches ouvertes, des yeux vidés. Leur peau est griffée et leurs vêtements arrachés, comme si la vie leur avait été dérobée après une lutte acharnée. »

Ces mots sont ceux du marin Antoine Laurent dans Journal de bord de l’Aquarius. Je vous invite tous, chers collègues, à lire cet ouvrage qui, loin des fantasmes aussi abjects que hors-sol, donne à voir les visages, les mots de celles et ceux qui traversent la mer Méditerranée.

Depuis 2014, plus de 28 000 personnes sont mortes en Méditerranée, le chiffre étant même bien supérieur puisque ne sont comptabilisés que les décès connus. Ce drame humanitaire mobilise les ONG depuis plusieurs années. Essentiellement financées par des dons privés et quelques collectivités locales, elles se trouvent bien seules, face à la démission des États, pour réaliser des missions de sauvetage.

D’autant que ces ONG sont criminalisées et entravées dans leur devoir d’assistance par certains pays européens – logique d’ailleurs reprise par cette proposition de résolution, qui met ONG et passeurs sur le même plan. Ce raisonnement repose évidemment sur des mythes, à commencer par celui de l’appel de l’air, selon lequel sauver des gens aurait pour conséquence de les faire venir plus nombreux. Mais comment peut-on penser ainsi ? S’il faut essayer de convaincre, sachez, chers collègues, que, même pendant le grand confinement mondial, quand il n’y avait pas de sauveteurs, des gens ont continué de chercher à traverser la Méditerranée.

En réalité, les ONG ne font que combler l’absence criminelle de l’Union européenne dans ce domaine.
Je l’affirme, elles agissent dans le strict respect du droit maritime international. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) établit en effet l’obligation de prêter assistance, obligation renforcée par la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (convention Solas) et la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes. Ainsi, l’obligation de secourir s’applique à toute personne se trouvant en situation de détresse en mer, indépendamment de sa nationalité ou de son statut juridique, ou encore des circonstances dans lesquelles elle est retrouvée.

Face à ce drame humain, la proposition de résolution plaide pour le transfert de missions de sauvetage à Frontex, alors que l’objectif de l’agence est tout autre, en l’occurrence le contrôle des frontières européennes.
Fusionner la gestion des frontières et l’assistance aux personnes en détresse nous semble totalement contradictoire. À l’inverse de ce que vous proposez et compte tenu du drame qui s’y déroule, la Méditerranée devrait plutôt être considérée comme un espace humanitaire – espace au cœur duquel une flotte européenne devrait être chargée de sauver les personnes en détresse.

Je rappelle que, depuis la fin de l’opération Mare Nostrum, le 31 octobre 2014, aucune action n’a été menée par les États dans le domaine de la recherche et du sauvetage en Méditerranée centrale.

Par ailleurs, la proposition de résolution survole la question des zones SAR (Search and Rescue), pourtant centrale en matière de sauvetage en mer. En effet, le redécoupage de ces zones en 2018 en a attribué une à la Libye. Or cet État failli n’a ni les moyens ni les compétences pour superviser des opérations de sauvetage dans une zone aussi élargie que la Méditerranée centrale, dans laquelle le plus grand nombre de passages sont enregistrés.

Chers collègues, si vous voulez trouver des passeurs, regardez plutôt du côté des garde-côtes libyens. C’est un État dont les ports ne peuvent être considérés comme sûrs selon les critères du Comité de la sécurité maritime. De nombreux actes de traite d’êtres humains et de torture ont été largement documentés par des chercheurs et les quelques ONG encore présentes sur place. Renvoyer des exilés en détresse en Libye est contraire au droit international. Pourtant, et la proposition de résolution que nous examinons demeure bien silencieuse à ce sujet, l’Union européenne valide ces manquements au droit international, au nom de l’externalisation des frontières.

Résoudre la crise de l’accueil en Europe et mettre fin à cette hécatombe en mer Méditerranée nécessitent, à notre sens, une politique européenne ambitieuse, fondée sur le strict respect du droit international, ainsi qu’une solidarité entre États européens afin de ne pas en laisser l’entière gestion à la Grèce ou à l’Italie, par exemple, comme nous le faisons depuis des années. Cela nécessite aussi, bien sûr, une révision de l’injuste règlement Dublin III.

De nombreuses raisons de rejeter cette proposition de résolution ont été évoquées, et je ne doute pas qu’il en existe d’autres pour lesquelles nous le ferons, avec détermination.

(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et LIOT.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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