Interventions

Discussions générales

MRC : PLFR pour 2011

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, je me suis livré à un petit travail d’archéologie en allant déterrer les cahiers de doléances de ma bonne ville de Montreuil. Voici ce qu’en 1788, les concitoyens montreuillois du tiers état demandaient en premier au roi de France : « la suppression de tous les privilèges d’exemption d’impôts. » Vous le voyez, nous sommes en plein dans notre sujet. Plus de deux siècles plus tard, force est de constater que les mêmes privilèges sont de retour, et qu’une classe dominante, plus forte et plus riche que jamais, règne sur notre société.
Madame la ministre, votre gouvernement, sous l’inspiration du Président de la République, a réhabilité ces privilégiés, en leur octroyant de multiples cadeaux fiscaux, qui rongent les finances publiques et amputent les comptes de notre pays de plus de 150 milliards selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires.
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas vrai ? Démontrez-le moi. Il ne suffit pas d’affirmer !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Que faites-vous de la défiscalisation des salaires des apprentis ?
M. le président. Je vous en prie, monsieur Brard, ne vous laissez pas interrompre, poursuivez votre propos.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, pour une fois que l’on peut dialoguer avec un ministre ! La plupart du temps, ils restent muets.
À chaque fois que j’ai demandé à M. Baroin s’il était vrai – ce sera la vingt-cinquième fois ce soir – que Mme Bettencourt payait cette année 42 millions d’impôts et qu’elle n’en paierait plus que de 10 millions l’année prochaine, il est resté coi. Tandis que, avec Mme Pécresse, on peut engager le dialogue.
M. Dominique Baert. Vous n’avez toujours pas eu la réponse pour autant.
M. Jean-Pierre Brard. Non, en effet, mais les débats ne sont pas terminés. Ils se poursuivront jusqu’au printemps.
Madame la ministre, le règlement de l’Assemblée nationale a été modifié pour que je ne puisse plus présenter de graphique et d’objet. Mais il ne m’est pas interdit de faire un geste d’amitié à votre égard, comme je l’avais fait avec Mme Lagarde en lui offrant le livre II du Capital du célèbre Karl Marx.
Madame la ministre, je vous ai préparé un petit cadeau, ce n’est donc pas un objet. Regardez cette image.
M. le président. Monsieur Brard, je vous demande de bien vouloir replier ce document.
M. Jean-Pierre Brard. Ici, c’est 1789 : vous voyez le tiers état qui supporte le poids du clergé et de l’aristocratie. Là, vous pouvez voir les travailleurs d’aujourd’hui qui supportent le poids des spéculateurs et de Mamie Liliane !
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de bien vouloir replier ce document, et de poursuivre votre propos.
M. Jean-Pierre Brard. Si vous voulez le regarder, monsieur le président ? (Rires.)
M. le président. Non merci.
M. Jean-Pierre Brard. Je vous le remettrai, madame la ministre, quand je descendrai de la tribune. Mme Lagarde m’avait demandé une dédicace, encore que dédicacer un ouvrage de Karl Marx soit quasiment un sacrilège. Si vous le voulez, je pourrai vous dédicacer ce cadeau, puisque j’ai fait référence au cahier de doléances de Montreuil.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ce sera pour ma permanence !
M. Philippe Vitel. Mais Mme la ministre ne vous a rien demandé !
M. Jean-Pierre Brard. Certes, mais nous nous connaissons depuis longtemps et nous sommes souvent dans l’implicite, elle et moi.
Vos cadeaux les plus emblématiques sont le bouclier fiscal, qui continue de s’appliquer pendant deux ans, et la réforme de l’ISF de juin dernier, qui coûte deux milliards d’euros par an à l’État.
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est faux !
M. Jean-Pierre Brard. Mais si ! Démontrez le contraire ! Les affirmations relèvent de la méthode Coué. C’est comme les gens qui vont à confesse et s’accusent de péchés. Il ne suffit pas d’affirmer ou d’infirmer, il faut démontrer.
Je suis rationnel, je ne suis ni dans la croyance, ni dans la foi, même si, pour vous faire plaisir, j’aurais envie de vous croire, madame la ministre. Mais comment vous croire ? Lorsque nous allons dans nos cités HLM, nous sommes confrontés à la réalité, qui contredit vos propos. Parfois, je me demande dans quel monde vous vivez et qui vous fréquentez – je ne parle évidemment pas de votre vie privée, mais de la sphère publique. Je suis sûr que nous ne fréquentons pas les mêmes personnes. En tout cas, nos sympathies ne vont pas dans la même direction.
Quand je parle de privilèges, je pense à la niche Copé, qui coûte 5 milliards d’euros par an, à la niche Dutreil, à la baisse de la TVA dans la restauration, à la défiscalisation des heures supplémentaires, qui ont déjà été évoquées.
Comme au XVIIIe siècle, où la Couronne de France croulait sous les dettes à cause des privilèges fiscaux consentis à la noblesse et au clergé, ce sont les privilèges que je viens de citer qui ont conduit la France dans la situation que nous connaissons : une situation de marasme économique profond. Ce sont les petites gens, comme au XVIIIe siècle, qui croulent sous le poids des privilèges. Ce ne sont sûrement pas notre système social, ni nos retraites, ni nos fonctionnaires, que vous accablez de tous les maux, qui en sont les responsables. D’ailleurs, ils n’auront même plus le droit d’être malades, si ce n’est à leurs frais, avec la nouvelle mesure que vous venez de prendre.
Non, madame la ministre, ce qui est en cause, c’est votre politique, votre idéologie, le système qui guide chacune de vos actions. J’en veux pour preuve les déclarations de M. le Premier ministre, le 5 novembre dernier, à Morzine. Il n’hésite pas à montrer du doigt les petites gens, mais refuse catégoriquement de désigner les vrais responsables de la crise économique.
Écoutez bien les propos de M. Fillon, mes chers collègues de l’UMP, vous qui êtes idolâtres, mais surtout du Président de la République, et moins du Premier ministre : « Je crois qu’il n’est pas utile de s’en prendre aux agences de notation, aux banquiers, aux spéculateurs et à je ne sais quel bouc émissaire ». Il fallait oser dire une chose pareille ! Avec un tel discours, la mécanique infernale se poursuit dans toute l’Europe et on dédouane ceux qui avaient été montrés du doigt par le Président de la République comme étant les coupables de la situation que nous connaissons. On voit l’intérêt du double discours que vous tenez.
Madame la ministre, contrairement à ce que vous cherchez à faire croire aux Français, de plateaux de télé en émissions de radio, de l’argent, la France en génère beaucoup. Le peuple n’est pas dupe, il sait pertinemment que vous refusez d’aller chercher l’argent là où il coule à flots, c’est-à-dire chez les gens que vous fréquentez : les nantis, les repus, les privilégiés, les profiteurs.
Le déficit de la France atteint officiellement cette année 95,3 milliards d’euros. C’est ce que vous avez dit cet après-midi. On verra si cela se vérifie. Mais si une politique au service de l’intérêt général avait été menée ces dernières années, la France ne serait pas en situation de déficit. Il convient de dire la vérité. Vous essayez d’endormir nos concitoyens – « Dors, je le veux ! » –, en leur présentant la situation économique comme le produit d’une irrésistible fatalité. En fait, elle est le résultat de votre politique et de celle de vos congénères européens, vous épaulant les uns les autres. Parfois même, vous allez chercher l’oncle Sam, pour une conférence de presse commune. On a vu les échanges entre Nicolas et Barack : « Je te passe le céleri, tu me passes la rhubarbe », tout cela pour préparer les prochaines échéances électorales. Lorsque j’emploie le mot « congénères », il s’agit bien de congénères au sens étymologique.
Il faut dire la vérité. Madame la ministre, écoutez ces quelques chiffres. Ils contredisent vos discours, qui cherchent à faire prendre des vessies pour des lanternes.
Selon la Cour des comptes, la politique de l’UMP est responsable pour les deux tiers du déficit de notre pays. D’après l’inspection générale des finances, la suppression des niches fiscales jugées inefficaces ou peu efficaces, qui profitent aux grandes fortunes et aux grandes entreprises, pourrait rapporter plus de 60 milliards d’euros. Vous refusez de mener avec l’énergie nécessaire la lutte contre la fraude fiscale – vous avez donné des chiffres, qui sont en progression, mais l’instituteur que je suis pourrait mettre sur votre livret : « Peut mieux faire ! » Car, de la fraude, il y en a encore. Si vous voulez bien prendre le risque d’avoir des courbatures, vous allez rester longtemps baissée vers le sol pour ramasser tout ce que les fraudeurs ont dissimulé. Nous ne pouvons que vous encourager à continuer.
D’après le syndicat CGT des finances publiques – vous savez que ce sont des gens qui sont reconnus pour leur sérieux –, …
M. Jean-François Mancel. C’est une plaisanterie !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Mancel, que vous ne soyez pas d’accord avec des honnêtes gens, c’est une chose, mais vous ne pouvez pas contester le sérieux d’une personnalité comme Jean-Christophe Le Duigou, dont on connaît la valeur des analyses.
M. Patrick Lemasle. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Brard. La fraude représente chaque année une perte de recettes de 50 milliards d’euros pour l’État et les organismes sociaux, selon les chiffres du syndicat CGT des finances publiques. Et 85 % de ces 50 milliards sont directement imputables à la fraude des grandes entreprises. Et vous, vous faites la chasse à la fraude aux allocations sociales. C’est comme sous l’Ancien Régime : pendant que le seigneur chassait à travers les cultures de ses paysans, il faisait pendre à son gibet le paysan braconnier qui tuait un lapin pour nourrir sa famille. Contrairement à la déclaration de Nicolas Sarkozy en marge du G20 de Pittsburgh fin 2009, les paradis fiscaux et le secret bancaire, ça existe toujours. Vous leur avez donné ici même, en septembre dernier, en signant dix conventions d’échanges d’informations fiscales avec notamment le Belize et les Îles Cook, dans un silence médiatique lourd de sens, un blanc-seing pour continuer en toute impunité leurs exactions fiscales.
En conséquence, 20 milliards de dollars sont soustraits chaque année, au bas mot, aux finances publiques françaises. D’ailleurs, M. le Président de la République pourrait en parler à son ami Barack, parce que, aux États-Unis, il existe un paradis fiscal : l’État du Delaware. Savez-vous, madame la ministre, que l’on peut y constituer une société sans avoir à se déplacer ? On peut tenir une assemblée générale sans réunir les membres du conseil d’administration. Il suffit de le faire par téléphone. Je pensais que, étant donné les relations amicales, fraternelles, qui existent entre le Président de la République et le Président des États-Unis, on allait enfin s’attaquer à des choses sérieuses et faire prévaloir des règles d’éthique, de morale et d’honnêteté sur la propagande politicienne télévisée.
Par pédagogie politique, pour les citoyens qui nous regardent depuis les balcons de cet hémicycle – ils ne sont pas très nombreux –, mais aussi et surtout grâce à cette formidable tribune qu’est internet, additionnons tout ce qui est soustrait : 60 milliards plus 50 milliards plus 20 milliards plus les 30 milliards, au bas mot, de recettes engendrées par la taxe sur les transactions financières qu’il faut mettre en place et à laquelle le Président de la République a donné son agrément, mais sans passer à l’acte. Nous dépassons les 160 milliards d’euros de recettes supplémentaires chaque année ! Le déficit « abracadabrantesque » fait « pschitt », pour reprendre des expressions utilisées lors du dernier septennat.
Le mensonge fait partie de la politique gouvernementale, madame la ministre. Il en est même un des piliers. Je vais vous citer un texte : « Un système de mensonges ressemble plus à la vérité qu’un mensonge isolé ; plus on voit de choses à contredire à la fois, moins on en contredit ». Qui formulait cette sage réflexion ? C’était Denis Diderot. Vous voyez que la comparaison entre l’Ancien Régime et votre régime crève les yeux. Ce n’est évidemment pas à votre avantage, car cela traduit une régression par rapport à ce que notre peuple a conquis au cours de son histoire.
Le Président de la République a menti aux Français en leur promettant une République irréprochable. Il leur a menti en leur promettant du pouvoir d’achat. Vous ne dites pas la vérité lorsque vous dites que la droite n’a pas augmenté les impôts. Le Premier ministre trompe les Français lorsqu’il nous explique qu’il n’y a pas d’autres choix que la rigueur. Et vous abusez les Français lorsque vous dites à la représentation nationale que vous lui présentez un budget sincère, alors qu’il est fondé sur une perspective de croissance dont vous savez bien qu’elle est fallacieuse, comme cela a été rappelé tout à l’heure.
En fait, mes chers collègues, la vérité est toute autre. Nicolas Sarkozy mange dans la main des marchés financiers, et c’est pour cela que François Fillon plonge la France dans l’austérité, ou plus précisément dans le tourment de la rigueur, c’est-à-dire, concrètement, pour nos concitoyens, dans des fins de mois impossibles pour la France du travail, celle qui se lève tôt et qui travaille dur.
Votre politique est viscéralement inégalitaire. J’ai d’ailleurs remarqué, madame la ministre, que le mot d’égalité, vous ne le prononcez pas. Vous y avez substitué « l’équité ». Mais l’égalité et l’équité, ce n’est pas du tout la même chose. Je vous renvoie au Petit Robert, ou à n’importe quelle encyclopédie, pour parfaire votre maîtrise du vocabulaire, pour que l’on ne se trompe pas de mot. Ou, plus exactement, parce que vous avez une parfaite maîtrise de la langue, madame la ministre, vous substituez subrepticement un concept à un autre, pour embobiner les Français. C’est notre rôle de démasquer ce qu’il y a derrière ces mots, illégitimement employés.
Dans vos plans d’austérité, puisque maintenant les coups de matraque budgétaires se multiplient, comme en Grèce ou en Italie, on constate encore une fois que ce sont les peuples qui paient la facture de la gabegie des exonérations fiscales et sociales, ainsi que des petits et des gros cadeaux fiscaux que vous avez accordés aux nantis et aux privilégiés.
Ainsi, sur les 18 milliards de vos plans d’austérité pour 2012, ce sont 13 milliards qui vont directement frapper les Français les plus en difficulté ou les familles moyennes : taxe sur les sodas, augmentation des complémentaires de santé, hausse généralisée de la TVA.
À cet égard, madame la ministre, vous maîtrisez si bien ce que l’on appelle à l’Élysée les « éléments de langage » que vous mériteriez que l’on vous décerne un billet d’honneur, comme cela se faisait autrefois dans les écoles, à la fin de l’année scolaire. Vous ne vous en sortez pas si mal. Il faut en effet avoir une sacrée audace pour prétendre que vous instituez un taux de TVA réduit de 7 % tout en oubliant de préciser qu’il se substitue au taux de 5,5 % ! Vous avez un vrai talent, madame la ministre. Je pense que, dans une vie future, on pourra vous voir faire des tours de magie, et vous y excellerez !
La politique que vous menez n’est plus supportable. La coupe est pleine. Non content de promettre de la sueur et des larmes, le Gouvernement met les Français à genoux financièrement. Soyons concrets. Ces Français ont des visages ; ce sont des enfants à qui il faut donner à manger chaque jour du mois et qui sont, pour une part importante d’entre eux, vous le savez fort bien, privés de vacances. Regardez le succès des sorties à la mer organisées par le Secours populaire ou le Secours catholique. Cela devrait suffire pour votre édification, madame la ministre, et pour mesurer à quel point votre politique est injuste. Ces enfants ne mériteraient-ils pas eux aussi quelques fantaisies ? Alors que le jour de Noël approche, est-il normal que les parents soient obligés, comme cela sera le cas samedi prochain à Montreuil, d’aller à la brocante des jouets du Secours populaire pour offrir quelques jouets à leurs enfants ? Nous en sommes là, aujourd’hui.
Vous ne cessez de faire des comparaisons avec l’Allemagne. Soit, comparons-nous à l’Allemagne et mesurons la longueur des files d’attente devant les soupes populaires à Berlin. L’Allemagne, ultime référence à vos yeux, s’enfonce dans la pauvreté et la misère. Or lorsque l’on voit ce qui se passe à Berlin ou sur les rivages de la Baltique, on n’a vraiment pas envie de prendre la politique allemande comme modèle !
Sans les aborder toutes, je m’attarderai sur quelques-unes de vos mesures.
La revalorisation des prestations familiales et des aides au logement au taux de la croissance prévisionnelle ne servira pas à protéger les allocataires, mais à faire des économies de bouts de chandelle sur tous ceux qui ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois, même en percevant ces allocations. L’économie est de 500 millions d’euros par an, soit dix fois moins que ce que l’on pourrait économiser chaque année en supprimant la niche Copé. Il n’est pas acceptable que vous réduisiez ces aides qui bénéficient aux familles modestes.
S’agissant de l’augmentation de la TVA, vous avez dissimulé la réalité en faisant semblant d’instituer un nouveau taux réduit de TVA alors que, en fait, vous augmentez ce taux.
Par ailleurs, comment pouvez-vous frapper la culture ? Comment un gouvernement peut-il avoir pour grand projet de réserver la culture à une élite financière ?
La vente des produits de luxe, madame la ministre, ne s’est jamais aussi bien portée en France et dans le monde. N’aurait-il pas mieux valu augmenter la TVA sur les sacs Vuitton, les Rolex, les Patek Philippe, les Ferrari, et frapper ainsi tous les produits de luxe ? On m’a dit que l’on pouvait acheter une Rolex pour 90 000 euros ou une Patek pour 80 000 euros. Mes chers collègues, avez-vous une idée de ce que cela représente ?
M. Philippe Vitel et Mme Fabienne Labrette-Ménager. On n’en a pas !
M. Jean-Pierre Brard. C’est tout à votre honneur, chers collègues ! Mais alors, pourquoi défendez-vous ceux qui en ont ? C’est la question que l’on peut vous poser.
M. Philippe Vitel. Et la liberté ?
M. Jean-Pierre Brard. Non ! La liberté des exploiteurs, la liberté du renard dans le poulailler, ce n’est pas la liberté ! Ce qui affranchit, comme le disait un héros de la Révolution, ce n’est pas la liberté, c’est la règle ! Et la règle fiscale juste est une bonne règle. Pour vous, la liberté, c’est le maintien des paradis fiscaux, par exemple, ou votre manque de détermination dans la chasse aux fraudeurs.
M. Philippe Vitel. On peut être riche sans être fraudeur !
M. Jean-Pierre Brard. Parce que vous connaissez des riches qui ne fraudent pas, monsieur Vitel ? Je parie que vous pensez à Mamie Liliane ! (Sourires.) Donnez des noms de riches qui sont honnêtes. Vous en connaissez, vous, des riches vraiment honnêtes ? Quand je parle de riches, je veux dire des vrais de vrais, ceux que vous soutenez. Je ne parle pas des gens qui gagnent 5 000 ou 6 000 euros par mois, ce qui n’est déjà pas si mal. Je pense à ceux que vous soutenez,…
M. Philippe Vitel. Et Mme Sinclair ? Et M. Fabius ?
M. Jean-Pierre Brard. …parce qu’ils sont des « chefs d’entreprise », dites-vous. Mais si les chefs d’entreprise gagnent tant pour eux-mêmes, c’est qu’ils ne distribuent pas assez en salaires et qu’ils n’investissent pas suffisamment pour qu’il y ait moins de misère dans notre pays, et ailleurs – car ce qui est vrai chez nous est vrai partout. Il faut une autre conception de la répartition des richesses produites.
M. Philippe Vitel. La vôtre n’est pas la bonne.
M. Jean-Pierre Brard. La justice, elle passe par là. L’égalité, elle passe par là. Vous, vous tondez les pauvres parce qu’ils sont plus nombreux et vous remplissez les coffres déjà bien remplis des riches. Vous ne pouvez le contester, toutes les études publiées montrent que les riches sont plus riches et les pauvres, plus pauvres. C’est comme le fameux âne dont le propriétaire avait décidé qu’il allait l’habituer à renoncer à se nourrir chaque jour. Au bout de cent sept jours, alors qu’il commençait à s’habituer, le pauvre âne est mort de faim.
M. Marc Goua. Eh oui.
M. Jean-Pierre Brard. Les Français n’ont pas envie que vous les destiniez à ce triste sort.
Madame la ministre, il est choquant de constater qu’en France, sur la dernière année, près d’une personne sur trois a dû renoncer à se soigner en raison de difficultés financières. La politique que vous menez est très cohérente. Qui est votre maître à penser ? C’est quelqu’un qui fut un adepte du Petit Livre rouge, cher à Mao Tsé-Toung : un certain Denis Kessler, qui s’est ensuite reconverti dans le business en devenant numéro 2 du MEDEF.
M. Philippe Vitel. Un homme remarquable.
M. Jean-Pierre Brard. Un homme remarquable ? Je ne suis pas sûr que vous serez encore de cet avis lorsque j’aurai fini de lire ma citation. Monsieur Vitel, vous qui êtes solidaire de l’ancien maoïste, je vous lis ce que M. Kessler a déclaré dans le journal Challenges d’octobre 2007. Dans son édito intitulé « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! » il écrivait :
« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. [...] Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la sécurité sociale, paritarisme...
« À y regarder de plus près, on constate – et c’est là une sorte d’hommage de cet ancien maoïste à Nicolas Sarkozy et à vous-même, madame la ministre – qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Oui, madame la ministre, vous faites une sorte de révolution blanche, vous êtes en plein révisionnisme.
M. Charles de Courson. Vous vous y connaissez en la matière !
M. Jean-Pierre Brard. Et moi, je revendique mon gaullisme face à ceux qui le trahissent ! Nous étions unis dans les combats de la Résistance et c’est de ces combats que sont sortis les progrès sociaux extraordinaires qui ont fait de la France un phare attirant l’attention des peuples de la planète.
M. Robert Lecou. Très bien.
M. Jean-Pierre Brard. Je reconnais que ce que je viens de dire est très bien. (Sourires.) Vous devriez y adhérer d’une façon qui ne soit pas platonique, mon cher collègue. Mais il est vrai que, dans vos circonscriptions, vous ne pouvez pas reconnaître le reniement, le renoncement, la capitulation, l’aplatissement devant les intérêts du grand capital, que vous servez même si vous n’avez pas de Rolex ou de Patek.
M. Christian Jacob. On pourrait vous en offrir une ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Pour être à l’heure aux rendez-vous qui vous sont fixés par vos donneurs d’ordre, une simple montre est aussi utile qu’une montre de luxe.
Nicolas Sarkozy a instrumentalisé la thématique du Conseil national de la Résistance, lors d’un séjour à Bordeaux le 15 novembre dernier. Il a osé dire : « Ceux qui ont trahi l’héritage du CNR, ce sont ceux qui, pendant des décennies, ont bien soigneusement dissimulé aux Français qu’ils finançaient leur système de protection sociale à coup de déficits. [...] Là est la trahison de l’esprit et de la lettre de notre modèle social ».
Lorsqu’on met en relation les propos de Denis Kessler et de Nicolas Sarkozy – j’allais dire Denis Sarkozy, mais il est vrai qu’ils sont interchangeables – et qu’on les confronte à la situation vécue par les Français, je ne m’interroge pas quant à savoir qui est le traître, puisque le Président de la République a parlé de trahison. C’est vous, monsieur Sarkozy, qui ne dites pas la vérité. C’est vous qui trahissez le système créé par Ambroise Croizat et Pierre Laroque. Vous trahissez le programme du Conseil national de la Résistance et vous trahissez ce que défendait alors le Général de Gaulle, dont vous vous revendiquez pourtant.
Mes chers collègues, entre Nicolas Sarkozy et Charles de Gaulle, il faut choisir. Où est la France, où est l’intérêt du peuple français ? Il est du côté de Charles de Gaulle. Il n’est évidemment pas du côté de Nicolas Sarkozy.
M. Robert Lecou. Extraordinaire !
M. Christian Jacob. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
M. Charles de Courson. Ce n’est pas ce que vous disiez en 1945 !
M. Jean-Pierre Brard. Mon cher collègue, oui, c’est extraordinaire, car dans notre pays, lorsque le danger menaçait, nous avons toujours su, sur les choses essentielles, nous retrouver au-delà de nos différences.
M. Charles de Courson. À partir de 1942 ! Petit rappel historique.
M. Jean-Pierre Brard. Non, monsieur de Courson. Il y a des députés du Nord et du Pas-de-Calais présents dans cet hémicycle. Demandez-leur quand les premiers résistants communistes sont tombés sous les balles nazies. Pas en 1942, pas en 1941, mais dès que les nazis sont entrés en France.
M. Charles de Courson. Ceux-là se sont engagés en violation des ordres du parti communiste.
M. Jean-Claude Sandrier. Non ! Cessez de nous insulter, monsieur de Courson !
M. Charles de Courson. Je rappelle la vérité, c’est tout.
M. Jean-Pierre Brard. Prétendre le contraire, c’est les faire mourir une deuxième fois. Cela, c’est inacceptable.
Je sens, monsieur le président, que vous allez bientôt me dire que mon temps de parole est sur le point d’être épuisé. (« Il l’est déjà ! » sur les bancs du groupe UMP.) Je terminerai par une citation du Général de Gaulle : « Il n’y a de réussite qu’à partir de la vérité ». On comprend mieux, à partir de cette pensée simple et profonde du Général de Gaulle, pourquoi tout ce que l’UMP entreprend depuis cinq ans se transforme en fiasco pour la majorité des Français.
Germaine Tillion, femme héroïque, disait que « l’asservissement ne dégrade pas seulement l’être qui en est victime, mais celui qui en bénéficie. »
M. Jean Ueberschlag. C’est le dictionnaire des citations, ce soir !
M. Jean-Pierre Brard. Non, mon cher collègue, ce sont des références historiques qui cadrent notre pensée politique…
M. le président. Il faudrait penser à conclure, cher collègue.
M. Jean-Pierre Brard. …et qui rappellent quels sont les piliers de notre système politique et social, sur lequel nous vivons encore. Il est hérité du programme du Conseil national de la Résistance, que cela vous plaise ou non !
Les relaps, les renégats, au sens biblique du terme, ce sont ceux qui trahissent et qui ne veulent pas assumer l’héritage dont ils devraient être fiers.
Cet héritage, vous le foulez au pied ; nous le défendons car nous considérons qu’il fait partie de notre patrimoine commun. Il s’agit en quelque sorte des bijoux de notre famille nationale. Et c’est en les protégeant que nous ferons redémarrer notre pays, que vous êtes en train de mettre à genou en soumettant les Français à des conditions de vie insupportables.
M. Jean Ueberschlag. M. Brard est maintenant le gardien de nos bijoux de famille !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, mes chers collègues, j’aurai l’occasion, dans la suite de la discussion, de revenir sur ces réseaux d’intérêts. Mais d’ores et déjà, demandons-nous ce qu’ont en commun Mario Draghi, Mario Monti et Lucas Papademos : ils ont tous trois servi Goldman Sachs ! Pensez-vous que ce sont encore les gouvernements qui dirigent l’Europe aujourd’hui ? Non, ce sont ceux qui tiennent la finance entre leurs mains.
M. Guénhaël Huet. C’est toujours mieux que Staline !
M. Jean-Pierre Brard. Adopter notre motion de procédure, mes chers collègues, c’est montrer la nécessité de remettre toute cette réflexion sur le métier et de rompre avec la situation actuelle. Cela implique de faire appel aux ressources profondes du peuple français pour ouvrir des perspectives fondées sur une vision renouvelée de l’avenir de nos peuples – j’emploie le pluriel car nous ne sommes pas les seuls concernés.
Enfin, pour revenir à vos références, monsieur Huet, je peux vous dire que je n’ai jamais été stalinien : je n’ai d’ailleurs aucun mérite car j’étais trop jeune.
M. Charles de Courson. Vous l’avez échappé belle !
M. Christian Jacob. Il ne faut pas renier le communisme, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Mais vous, vous auriez pu l’être. Du reste, sortir Staline de la naphtaline quand on n’a pas d’arguments à opposer aux miens dénote une pensée un peu courte, si vous me permettez cette remarque.
Pour finir, madame la ministre, je vais vous remettre mon petit cadeau avec cette image qui met en regard les privilégiés d’hier et ceux d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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Jean-Pierre
Brard

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