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Justice : garde à vue

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre système judiciaire est en lambeaux, nos codes et nos pratiques, en décomposition. Les moyens de la justice sont notoirement insuffisants et les effectifs de police et de gendarmerie fondent comme neige au soleil, sous les coups de boutoir de la RGPP. Les personnels de justice et les forces de sécurité travaillent dans des conditions indignes. La colère gronde.
L’exécutif bafoue l’indépendance de la justice et l’instrumentalise à des fins nauséabondes. Dans son livre édifiant intitulé Le Justicier, enquête sur un Président au-dessus des lois, une journaliste d’investigation décrit les rapports entre le chef de l’État et la justice. Dès son arrivée au ministère de l’intérieur, Nicolas Sarkozy s’est employé à reprendre en main l’institution judiciaire afin de servir des objectifs autant publics que privés. Depuis qu’il est aux manettes, il fait légiférer la majorité sur tout, à tout va, place ses hommes aux postes stratégiques de la magistrature et de la police. N’est-ce pas pour empêcher que la vérité éclate dans les affaires Karachi ou Bettencourt que le Président voulait supprimer le juge d’instruction ? On peut légitimement s’interroger.
Les libertés reculent gravement dans notre pays.
Les locaux de garde à vue sont dans un état de délabrement avancé, l’état des prisons est une honte pour la République, de l’aveu même du chef de l’État, et je pourrais longuement évoquer les pratiques indignes et inadmissibles qui ont cours dans les centres de rétention administrative, mais notre collègue Patrick Braouezec le ferait mieux que moi.
À peine créé, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté va être supprimé, englouti dans un Défenseur des droits aux moyens dont on ne sait pas grand-chose.
Oui, le climat est particulièrement lourd et malsain.
Dans ce contexte inédit, le discours de rentrée de la Cour de cassation prononcé par le procureur général Jean-Louis Nadal a représenté une véritable bouffée d’air frais. Les avocats, les magistrats et les personnels pénitentiaires ne baissent pas la tête. Ils peuvent compter sur le soutien des forces progressistes de notre pays, de cette France, patrie des droits de l’homme, devenue la risée du monde, faute de dirigeants à la hauteur.
Voilà, brièvement résumé, le contexte matériel et moral dans lequel nous examinons ce projet de loi relatif à la garde à vue.
Il y a urgence à opérer une véritable refonte.
Le précédent ministre de la justice espérait bien enterrer cette réforme afin de poursuivre la politique sécuritaire du chiffre et de l’abus de droit permanent. Fort heureusement, la décision du Conseil constitutionnel et les différents arrêts de la Cour de cassation ont porté un coup fatal à cet entêtement. La garde à vue française ne respecte pas le minimum de droits conféré à la défense et le minimum de dignité dû à la personne humaine. La procédure a été détournée de son objectif premier par l’offensive ultra-répressive de la droite.
Il faut donc se réjouir de la refonte des dispositions régissant la garde à vue et, plus largement, de la procédure pénale. Contrairement au Gouvernement, nous avons le cœur à l’ouvrage.
Nous veillerons à ce que ce projet de loi ne soit pas un simple texte de replâtrage, qui exposerait la France à de nouvelles condamnations, émanant notamment de la Cour européenne des droits de l’homme. Il faut impérativement renforcer les droits fondamentaux des personnes placées en garde à vue.
Alors que, depuis quelque temps, différentes juridictions se sont chargées de traduire en acte un arrêt de la Cour européenne en refusant de verser au dossier des procès-verbaux rédigés en l’absence d’avocat, les statistiques officielles des gardes à vue sont particulièrement inquiétantes. Les placements en garde en vue explosent : pour l’année 2009, leur nombre s’est élevé à 800 000, dont une bonne part relèvent de détentions arbitraires. Souvenons-nous de cette jeune fille de quatorze ans placée en garde à vue pendant neuf heures, menottes aux poignets. La garde à vue, c’est l’humiliation, le mépris, le harcèlement. La présomption d’innocence n’existe pas : le personne est coupable dès la première minute et elle devrait parfois avouer n’importe quoi.
Je le dis comme je le pense, il est urgent de limiter les abus de garde à vue comme les abus en garde à vue. Parce qu’elle constitue une privation de liberté et souvent une souffrance morale et physique, la garde à vue implique nécessairement des garanties fortes tenant aux droits de la défense.
Aujourd’hui, le suspect peut toujours être interrogé sans l’assistance d’un avocat. L’avocat ne peut ni assister aux différents actes, tels que les interrogatoires et les confrontations, ni prendre connaissance du dossier de la procédure. Cette situation n’est pas acceptable au regard des droits de la défense, consacrés au plan constitutionnel et international.
La Cour européenne des droits de l’homme a récemment réaffirmé l’exigence d’un accès au dossier et le droit d’être assisté par un avocat pendant les interrogatoires, pour que le droit à un procès équitable soit « concret et effectif ». Notre législation doit se conformer aux principes du procès équitable énoncés par les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Mettons au plus vite notre droit en conformité avec les exigences de défense de l’accusé, de présomption d’innocence et de respect des droits fondamentaux des personnes gardées à vue. Réparons ce qui peut encore l’être, même s’il faut regretter que nous soyons amenés à légiférer au fil de l’eau et au gré des circonstances.
Si gouverner, c’est prévoir, alors il manque certainement un pilote dans l’avion !
Toutefois, chers collègues, ne boudons pas notre plaisir. Ce projet de loi contient quelques avancées, contraintes et forcées, certes, mais bien réelles tout de même.
En particulier, le texte amendé en commission des lois doit être défendu sur certains points.
Ainsi, il faut se réjouir de la suppression de l’audition libre comme il faut se réjouir de la disposition selon laquelle c’est sous le contrôle d’un juge du siège, et non plus du procureur de la République, que devra s’exécuter la garde à vue.
Ce sont deux exemples, mais je cite également la création, contre l’avis du rapporteur et du Gouvernement, d’un procès-verbal unique de déroulement de la garde à vue.
Je profite de cette occasion pour indiquer qu’une réforme du statut du parquet s’impose afin qu’il soit totalement indépendant du pouvoir exécutif et qu’il puisse ainsi être qualifié d’autorité judiciaire, selon les standards internationaux.
Les procureurs devraient, tout comme les juges, être nommés par le Conseil supérieur de la magistrature. Ce sera un nouveau chantier à engager très vite. Tout est lié.
En ce qui concerne ce projet de loi, nous défendrons dans le débat nos propositions, dans un esprit d’ouverture, pour faire avancer le droit et contribuer à rétablir l’honneur, quelque peu perdu, de notre République. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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