Interventions

Discussions générales

Justice : Défenseur des droits

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat relatif à la mise en place du Défenseur des droits mérite une attention toute particulière.
Il concerne en effet le statut de l’individu et les rapports de nos concitoyens avec les institutions de la République, et ce, dans un contexte marqué précisément par un sentiment de défiance des premiers à l’endroit des secondes. La tension perceptible en particulier autour de la police et de la justice est inacceptable pour la sérénité d’une société qui se veut démocratique. Il fallait donc rétablir un climat de confiance.
C’est dans cette perspective que, lors de la discussion de l’article 71-1 de la Constitution, qui consacre l’existence d’un Défenseur des droits, nous avions manifesté notre adhésion à l’objectif affiché de renforcer la protection des droits et des libertés dans notre pays.
Toutefois, déjà à l’époque, les probables modalités de mise en œuvre de la nouvelle institution n’étaient pas de nature à garantir l’ambition affichée. Permettez-moi de rappeler nos réserves sur le flou qui entourait le champ de compétence et l’étendue des pouvoirs du Défenseur des droits.
Nous avions également dénoncé les modalités de nomination de cette nouvelle institution, prévues au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution. Ce mode de désignation laisse en réalité tout pouvoir au Président de la République puisque seule une majorité des trois-cinquièmes dans chaque commission peut repousser ses propositions. Aussi ce mode de désignation ne permet-il pas de garantir une réelle indépendance. Ce choix de nomination du Défenseur des droits par l’exécutif est tout à fait significatif et nourrit nos doutes sur la volonté réelle du Gouvernement de garantir le respect des droits.
Malheureusement, le projet de loi organique vient confirmer et conforter les craintes et critiques que nous exprimions à l’époque et que je viens de rappeler.
Je le répète, si la constitutionnalisation d’une autorité chargée de la défense des droits constitue a priori une avancée, le « regroupement-absorption » d’autorités dans une structure unique n’est pas en soi une garantie de renforcement de l’État de droit. Derrière la volonté de simplification et de rationalisation, il y a un risque réel d’affaiblissement du dispositif de défense des droits des citoyens. Réunir sous une même autorité des compétences extrêmement diverses comporte un risque patent de confusion des genres.
À cet égard, nous partageons les inquiétudes de plusieurs associations et des autorités telles que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui pointent le risque de dilution des mandats spécifiques attribués jusqu’alors à des institutions spécialisées dans une seule institution polyvalente. Dans la pratique, on peut craindre que la « fusion » prévue des mécanismes existants ne se traduise par une action moins efficace et/ou par moins d’action que celle résultant des travaux de chacun des mécanismes actuels qui ont acquis une expertise et une expérience dans des domaines parfois très complexes et spécialisés.
Ce risque est d’autant plus prégnant que les missions du futur Défenseur des droits n’en finissent pas de s’élargir : il devait déjà remplacer le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de la déontologie de la sécurité, puis la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Et voilà que, conformément au texte adopté par la commission des lois de notre assemblée, il remplira également le rôle de Contrôleur des lieux de privation de liberté, contrôleur général des prisons.
Comment une autorité unique serait-elle en mesure de répondre aux milliers de dossiers auxquels les autorités administratives indépendantes concernées ont à répondre chaque année ?
Le ton a été donné par le Gouvernement : loin de renforcer les droits et libertés, il s’agit tout simplement pour lui de reprendre la main, de diluer pour mieux régner. Peu importent les contestations ; suivant une attitude autoritaire, le Gouvernement a choisi d’ignorer les autorités existantes en les mettant devant le fait accompli.
Certes, aucune des autorités administratives indépendantes existantes n’est parfaite, car la perfection n’existe pas ; cependant, elles ont su apporter la preuve de leur utilité et ont acquis une véritable reconnaissance, sur le plan national comme sur le plan international.
La Défenseure des enfants procède de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. Sa mission est très large : protéger et défendre l’intérêt supérieur des enfants, y compris au regard des législations internationales, mais aussi promouvoir leurs droits. La dilution des droits des enfants dans le champ de compétences du Défenseur des droits consacre un véritable recul par rapport aux préconisations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui invite les États parties à « se doter d’institutions nationales indépendantes pour protéger et promouvoir les droits de l’enfant consacrés par la CIDE ».
Vous avez fait référence à l’Espagne. Dans ce pays, le Défenseur du peuple n’a pas exclu les Défenseurs des enfants, qui sont apparus par la suite : les deux institutions coexistent. De même en Suède.
Il s’agit également d’un recul par rapport aux dispositions de la Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant, qui stipulent que les États signataires doivent encourager la promotion et l’exercice des droits de l’enfant par l’intermédiaire d’organes chargés de « faire des propositions pour renforcer le dispositif législatif relatif à l’exercice des droits de l’enfant, formuler des avis sur les projets de législations relatifs à l’exercice des droits des enfants, rechercher l’opinion des enfants et leur fournir toute information appropriée ».
Il s’agit enfin d’un recul au vu des préconisations du rapport du Comité des droits de l’enfant de l’ONU du 22 juin 2009 qui invite la France à « continuer à renforcer le rôle de la Défenseure des enfants, (…) et à lui allouer des ressources financières et humaines suffisantes ».
Au regard de ces différentes recommandations internationales, il paraît inconcevable que la France se distingue et veuille fondre son institution de Défenseur des enfants dans celle de Défenseur des droits.
S’agissant de la CNDS, son rôle fondamental face aux institutions sensibles que sont la police, les forces armées et l’administration pénitentiaire est indéniable. Le nombre de ses saisines n’a cessé d’augmenter depuis sa création le 6 juin 2000 : dix-neuf en 2001 ; cent cinquante-deux en 2008 ; deux cent vingt-huit en 2009. Ses avis rendus sur le recours à la force lors de rassemblement sur la voie publique, sur l’usage quasi-systématique en garde à vue de la fouille à nu ou encore sur les conditions matérielles indignes de rétention sur l’île de Mayotte, pour ne prendre que ces quelques exemples, témoignent de l’importance de disposer d’une autorité de contrôle de la déontologie de la sécurité lorsque sont en jeu la dignité et l’intégrité physique de la personne face aux forces de l’ordre.
En outre, je rappellerai que l’existence et la qualité de l’action de la CNDS ont été saluées par les institutions, notamment le commissaire européen aux droits de l’homme, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et les ONG attachées à la défense des droits de l’homme, dont plusieurs ont exprimé le souhait de voir ses compétences et ses moyens élargis.
Aussi, la dilution de cette autorité dans une autorité généraliste, dont les pouvoirs d’enquête sur les lieux de privation de liberté sont restreints, n’est pas acceptable.
S’agissant de la HALDE, elle a su démontrer son utilité depuis sa création en 2005. La très forte augmentation du nombre de réclamations qui lui sont adressées, ainsi que ses actions auprès des tribunaux comme des entreprises ou des administrations témoignent de sa réussite. Elle a acquis une notoriété dans la population mais aussi au niveau international. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU, le 27 août 2010, souligne l’importance du rôle joué par la HALDE dans la lutte contre les discriminations, notamment la discrimination raciale.
La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, dans son rapport adopté le 29 avril 2010, souligne : « Il convient de veiller tout particulièrement à ce que cette institution soit régulièrement consultée et que se développe une véritable coopération avec les autorités en prenant notamment en compte ses avis et recommandations dans les domaines d’expertise qui sont les siens ».
Enfin, la suppression du Contrôleur des prisons vient parachever cet inacceptable recul de l’état de droit. Cette fonction de Contrôleur général des lieux de privation de liberté répond pourtant à une exigence internationale et européenne car il est essentiel de contrôler les prisons, les centres de rétention et les hôpitaux psychiatriques.
Nous avons déposé plusieurs amendements manifestant notre opposition à la disparition du Défenseur des enfants, de la CNDS, de la HALDE et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous défendrons également des amendements de repli afin de renforcer certaines dispositions.
Quoi qu’il en soit, nous sommes pleinement conscients que la seule façon de sortir des contradictions de ce texte est de renoncer à la dilution des différentes missions en une seule autorité. Il faut au contraire renforcer les autorités administratives indépendantes déjà existantes qui ont fait leur preuve et qui sont montrées en exemple à l’échelle internationale pour l’amélioration de l’État de droit en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

Imprimer cet article

Michel
Vaxès

Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Lois

A la Une

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques