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Finances : garantir la souveraineté du peuple en matière budgétaire

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’intérêt de la proposition de modification constitutionnelle que vient de présenter Martine Billard au nom du groupe GDR est de permettre au peuple de France de garder, par l’intermédiaire de ses représentants élus au suffrage universel, la maîtrise des choix budgétaires nationaux. Ce texte est une alternative à la proposition des dirigeants européens qui envisagent – au prétexte de créer les conditions d’une sortie de crise – ce qu’ils appellent un « paquet législatif », censé permettre une meilleure coordination des politiques économiques européennes dans la zone euro.
Dans le cadre d’un approfondissement de la construction européenne, l’idée d’une coordination n’est pas du tout infondée. En revanche, les mesures élaborées par le groupe de travail que préside M. Herman Van Rompuy au Conseil européen ne sont pas acceptables : non seulement elles ne respectent pas la souveraineté des peuples européens mais elle s’inscrivent dans une logique qui va à l’encontre de leurs intérêts. Ce que vous entendez par « coordination des politiques économiques » ressemble davantage à un transfert des pouvoirs économiques et budgétaires des parlements nationaux, et donc des citoyens, vers la Commission européenne, qui est – faut-il le rappeler ? – l’institution la moins démocratique de l’Union.
Le rapport du groupe de travail préconise en effet trois mesures en la matière.
Il propose tout d’abord la mise en place, dès le mois de janvier 2011, du semestre européen, c’est-à-dire d’une co-élaboration des budgets nationaux par les gouvernements et la Commission européenne, avant – vous l’avez confirmé, monsieur le secrétaire d’État – leur présentation devant les parlements nationaux. La Commission pourrait non seulement émettre des recommandations mais également prendre des sanctions à l’encontre d’un État qui ne serait pas « dans la ligne ».
II s’agit également d’élargir la surveillance de la commission aux équilibres macroéconomiques des pays. Dans le cas d’un « déséquilibre excessif », le Conseil européen pourrait adresser des injonctions à l’État concerné ou le sanctionner.
Enfin, il est question de renforcer les pouvoirs de la Commission européenne, qui serait donc encore plus indépendante des États et du pouvoir politique.
C’est donc encore et toujours la méthode autoritaire que vous employez, comme vous l’avez déjà fait pour organiser le passage en force du traité de Lisbonne devant le Parlement, alors que le traité constitutionnel européen avait été rejeté par référendum en 2005. Coopération et incitation ne font pas partie de votre vocabulaire : vous ne parlez que de surveillance, de contrôle et de sanctions à propos de choix qui déterminent pourtant l’avenir des citoyens européens, des États et de l’Union.
Ce déni de démocratie, vous le justifiez aujourd’hui par la nécessité de prendre des mesures pour sortir de la crise économique mais, la crise, nous n’en sortons pas ! Au contraire, nous nous y enfonçons chaque jour un peu plus car vous persistez à défendre votre modèle économique, quoi qu’il en coûte aux peuples européens.
Croyez-vous que les citoyens européens, les salariés, les familles, les jeunes, les femmes, les chômeurs, les précaires, autrement dit les premières victimes de la crise, sont prêts à se laisser déposséder de leur souveraineté au profit de ceux qui, par leur action au service des puissances financières et de la haute bourgeoisie, ont conduit à cette débâcle ?
Si les États européens sont aujourd’hui à ce point en déficit et endettés, c’est effectivement avant tout lié à votre choix de ne pas augmenter leurs recettes et, même, de les diminuer. Cramponnés à vos dogmes et stimulés par votre proximité avec l’oligarchie financière des patrons du CAC40, vous refusez de revoir le système fiscal – vous l’avez encore montré ce matin – pour une répartition équitable des richesses produites. Vous n’avez cessé de réduire les recettes de l’État par les baisses de l’impôt sur les sociétés, du taux applicable aux plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu et des droits de succession, par les innombrables niches fiscales, par les exonérations de cotisations sociales et par le bouclier fiscal.
Notre collègue Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, l’a très bien expliqué dans son dernier rapport : « L’accumulation des baisses d’impôts depuis 2000 semble avoir conduit à un accroissement du déficit structurel car, si le taux de prélèvements obligatoires apparaît en baisse tendancielle sur la décennie, le taux de dépenses publiques, en revanche, reste stable. » Et que proposez-vous pour combler le déficit public ? L’emprunt sur les marchés financiers plutôt que d’autres politiques monétaires, certes moins génératrices de profits pour les banques mais qui auraient été plus efficaces.
En réalité, le déficit et les dettes souveraines, vous les entretenez parce qu’ils vous sont utiles, à la fois pour justifier une politique antisociale et pour continuer à enrichir les plus riches.
Ainsi, au cœur de la crise, alors que les fonds publics étaient sollicités, ce qui invitait la décision politique à reprendre sa place, vous avez choisi de soumettre un peu plus les États et les peuples à la domination des marchés, en injectant de l’argent public dans les banques, sans aucune contrepartie, et en empruntant à nouveau sur les marchés financiers, sans hésiter à endetter encore plus l’État et la protection sociale.
Non seulement ces mesures ont relancé la spéculation financière et procuré des profits faramineux aux banques mais elles ont aussi permis aux mêmes de lancer des attaques spéculatives sur les dettes souveraines, à tel point qu’il a fallu créer un fonds de stabilité européen pour soutenir la zone euro au bord de l’implosion, à tel point qu’aujourd’hui il vous faut lancer un plan de soutien à l’Irlande de 85 milliards d’euros. Las, à peine celui-ci est-il annoncé que l’agence de notation Moody’s déclare vouloir baisser la note de l’Irlande de plusieurs crans encore. Voilà le cercle vicieux dans lequel vous nous enfermez !
Avec les mesures économiques adoptées le week-end dernier, sur proposition du couple franco-allemand et sans consultation aucune des parlements nationaux et européen, il faudrait encore donner des garanties aux marchés en renforçant le pacte de stabilité par de nouvelles sanctions et en proposant non pas d’empêcher l’apparition de nouvelles crises mais de les gérer. Vous nous invitez donc, en somme, à nous habituer à la crise et à sa gestion au détriment des peuples, mais jusqu’où allez-vous pousser les politiques d’austérité qui tuent déjà l’emploi et jettent les populations les plus fragiles dans la misère ? Jusqu’à quand allez-vous laisser les marchés dicter leur loi ? Que ferez-vous lorsqu’il n’y aura plus rien à raboter ?
Aujourd’hui, et pour la quatrième fois, c’est le tour de l’Irlande. Le Gouvernement a dû faire appel au fonds de stabilisation européen abondé par la BCE, les États et le FMI. Ce que vous appelez une aide va se traduire, pour les Irlandais, par la suppression de 25 000 emplois publics, une augmentation de la TVA, une nouvelle taxe foncière et une réduction du salaire minimum, des allocations familiales, des indemnités pour les demandeurs d’emploi et des pensions de retraite. Dans le même temps, l’impôt sur les bénéfices des sociétés, lui, ne bougera pas. Merci pour elles !
La Grèce, l’Irlande, et l’on parle de l’Espagne et du Portugal… à qui le tour ? Nous sommes tous concernés.
En France, la réforme des retraites est un bel exemple de gage donné aux marchés au détriment des citoyens, qui devront travailler plus longtemps pour des pensions plus modestes, et vous annoncez déjà un gel des salaires et des dotations aux collectivités locales ainsi que la poursuite des suppressions de postes dans les services publics et du désengagement de l’État dans le logement. De ce point de vue, M. Fillon a été clair et déterminé ; le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne nous promet pas des lendemains qui chantent !
En agissant ainsi, vous vous livrez à la plus sombre des spéculations. Vous pariez sur l’exclusion des citoyens de la décision politique par la résignation et la répression autoritaire, pour mieux sacrifier leurs droits et leur dignité. Mais, les mêmes recettes produisant les mêmes effets, vous produirez les mêmes révoltes dans tous les pays.
Plus de trois millions de personnes dans la rue en France contre la réforme des retraites, des grèves inédites en Grèce, en Espagne et au Portugal, l’Irlande qui se soulève : autant de saines révoltes qui mettent en échec vos prétentions autoritaires !
La réalité est que votre système est à bout de souffle. Il est dépassé. Rendez-vous compte qu’à l’heure où les conquêtes scientifiques et techniques ouvrent des perspectives formidables pour l’humanité, à l’heure où la création de richesses n’a jamais été aussi importante, vous n’avez rien d’autre à proposer aux peuples que le chômage endémique, la remise en cause du code du travail et des droits fondamentaux au logement ou à la santé, sans parler du sacrifice de la planète aux sacro-saintes exigences de la rentabilité financière ! C’est évident, nous ne partageons pas les mêmes conceptions. Il est urgent de se mobiliser pour un nouveau modèle économique, social et environnemental dont le moteur serait la réponse aux besoins humains.
Avec un tel objectif, l’Union européenne serait un beau projet, centré sur le partage des savoirs et des cultures, fondé sur des règles de coopération mutuellement avantageuses pour les Vingt-sept et sur un socle commun de droits et de devoirs ; la Communauté européenne pourrait être enthousiasmante car source de progrès pour chacun et pour tous.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est pour servir cette ambition, pour laisser la possibilité aux Français, mais également aux autres peuples européens, de faire ces choix alternatifs que nous vous invitons à adopter cette proposition de loi constitutionnelle.
 

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Jacqueline
Fraysse

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