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Economie : protection des consommateurs en matière de vente à distance

Disons-le sans ambages : cette proposition de loi visant à renforcer la protection des consommateurs en matière de vente à distance déposée par nos collègues de la majorité n’est rien d’autre qu’un texte d’affichage, à quelques semaines des élections régionales, dont le caractère démagogique n’a échappé à personne.
Entendons-nous bien : il n’est pas ici question de minimiser l’émoi qu’ont suscité la faillite récente de la CAMIF, et ses conséquences pour des milliers de consommateurs, que tout le monde sur ces bancs a en tête. Nous ne nions pas non plus l’évidence du développement exponentiel de la vente à distance ces dernières années, et les problèmes juridiques que cette évolution génère inévitablement. L’intention de nos collègues transcrite dans le titre de la proposition est donc louable et leur initiative intéressante à cet égard.
Cependant, il n’en reste pas moins que les solutions préconisées manquent crucialement d’ambition, pour ne pas dire de fond. On attendait un feu d’artifice, mais les fusées ne partent pas. S’il fallait s’en convaincre, il suffirait de reprendre la proposition initiale. Celle-ci tenait en trois petits articles.
Le premier d’entre eux, qui constitue le cœur du dispositif, et notamment son alinéa 3, concentrait sur lui toutes les critiques eu égard à la lourdeur de la procédure envisagée. Elle articulait, d’une part, l’extension des pouvoirs de l’autorité compétente en matière de concurrence et de consommation, en la chargeant de recueillir les informations nécessaires à l’appréciation de la bonne exécution, par un professionnel, des obligations découlant d’un contrat conclu à distance ; et, d’autre part, la saisine du ministre en charge de la consommation en cas d’incapacité manifeste du professionnel à remplir ses obligations afin que ce dernier, sur la base des investigations précitées, prenne, au terme d’une procédure contradictoire, un arrêté interdisant au professionnel concerné toute nouvelle prise de commande ou de paiement. Procédure assortie d’une amende en cas de non-respect de l’injonction. Qu’en termes élégants ces choses étaient dites !
En l’état, la lourdeur et la solennité de la procédure faisaient de cette proposition initiale une loi inapplicable. Seul l’article 3, conservé en commission, écartant l’action directe d’un voiturier à l’encontre du destinataire dans le cadre d’un contrat à distance revêtait un intérêt indéniable, et contribuera effectivement à renforcer la protection du consommateur en matière de vente à distance.
Je dois néanmoins, au nom de mon groupe, concéder que les travaux de la commission des affaires économiques ont fait évoluer le texte initial de manière positive.
La procédure de l’article 1er sera mise en œuvre par la DGCCRF, qui pourra obliger le professionnel à informer le consommateur de la mesure administrative qui le vise. En outre, l’obligation d’information à destination des consommateurs se trouve opportunément renforcée. Quant à la conclusion des contrats procédant d’un démarchage téléphonique, elle est précisément encadrée. Autant de dispositions qui tendent à améliorer la protection des consommateurs, dont nous ne doutons pas qu’elles feront l’objet d’un large consensus sur l’ensemble de ces bancs.
En dépit de ces nouveautés votre texte n’est toujours pas satisfaisant, loin s’en faut !
Notons en premier lieu la contradiction entre les nouvelles missions assignées à la DGCCRF et son démantèlement progressif par le Gouvernement. Pouvez-vous à cet égard nous assurer que cette direction aura les moyens effectifs de faire appliquer cette nouvelle législation de manière exhaustive ? Le rapport précise qu’en 2007 le centre de surveillance du commerce électronique rattaché à la DGCCRF a effectué un peu plus de 6 000 contrôles. Si l’on soustrait de ce chiffre les doubles contrôles résultant des 887 rappels de réglementation, on arrive donc à un peu plus de 5 000 contrôles, soit environ 8 % des sites contrôlés. Au regard du dynamisme du secteur de la vente en ligne et de la prolifération des sites, c’est assez peu.
Sur la forme, l’article 1er, toujours dans son alinéa 3, nous laisse dubitatifs pour ne pas dire inquiets : il y est prévu que : « s’il apparaît [...] qu’un professionnel [...] est dans l’incapacité manifeste de respecter ses obligations, générant ou susceptible de générer un préjudice financier pour un grand nombre de consommateurs, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut interdire au professionnel toute prise de paiement ».
Cette rédaction hasardeuse appelle plusieurs remarques.
Premièrement, la sanction a priori qui ne serait pas adossée à la constatation d’un préjudice subi nous semble être dommageable pour le professionnel. Son manquement à ses obligations contractuelles peut en effet résulter d’un facteur qu’il ne maîtrise pas, ou être temporaire.
Nous souhaitons par ailleurs que le rapporteur nous précise ce qu’il entend par « grand nombre de consommateurs ». Prise a contrario, cette formulation donne un blanc-seing aux professionnels ne respectant pas leurs obligations contractuelles, tant que le préjudice financier généré ne concerne qu’un nombre restreint de consommateurs. Or ce nombre est apprécié empiriquement à l’aune de critères qui nous échappent, à moins que le Conseil d’État ne précise cette notion dans le décret d’application des procédures de l’article 1er auquel renvoie le dixième alinéa de cet article.
En outre, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation ne sera pas obligée de prononcer une interdiction de prise de paiement à l’encontre d’un professionnel, quand bien même un nombre moins élevé qu’un « grand nombre de consommateurs » subirait un préjudice financier de son fait. Peut-être serait-il opportun que le décret précise qu’en cas d’infraction ne pouvant faire l’objet, à raison de son importance, d’une simple notification d’information parlementaire ou d’un rappel de réglementation, l’autorité administrative sera tenue de prononcer l’interdiction de prise de paiement.
Enfin, dans la même logique, l’alinéa 7 de l’article 1er ne ménage que la possibilité pour l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation d’enjoindre le professionnel à communiquer sur la mesure administrative dont il fait l’objet. La disposition se trouve ainsi amputée de sa force dissuasive, et, partant, de son efficience.
Si le droit est un tâtonnement perpétuel, fruit de la tension entre l’aspiration au définitif et la nécessaire adaptation à des conditions exogènes sans cesse renouvelées, la loi que nous avons la lourde responsabilité d’élaborer et de voter ne saurait souffrir autant d’approximations sans faire courir un réel danger à ceux qui doivent en bénéficier.
J’en viens donc au fond de cette proposition.
Ces approximations sont in fine révélatrices des intentions qui vous animent : sous couvert de l’intention louable, et porteuse politiquement, de protéger les consommateurs, vous entendez surtout préserver les entreprises d’une nouvelle réglementation trop contraignante et rassurer les professionnels afin ne pas décourager les initiatives.
Ainsi vous arguez du fait que les très petites entreprises manquent de moyens techniques et juridiques pour se conformer aux réglementations en matière de vente à distance. Cette attention est louable, et aucun des parlementaires sur ces bancs ne souhaite brider un secteur économique en pleine expansion.
Mais ce n’est pas l’objectif affiché par le titre de votre proposition. Et ne vous en déplaise, le consommateur individuel ne dispose pas plus que les TPE des moyens pour se défendre d’un préjudice causé par un professionnel négligent, que votre texte, paradoxalement, protège.
De plus, les chiffres éclairent vos desseins d’une lumière que vous préférez voiler. Plus de 56 % des sites marchands enregistrent moins de dix transactions mensuelles, signe qu’Internet est un relais commercial et un levier économique non négligeable pour les TPE. Il n’en reste pas moins que 80 % du chiffre d’affaires du commerce électronique résulte de l’activité des cent premiers sites seulement sur plus de 60 000 sites, et ces sites sont les vitrines dématérialisées de très grandes entreprises.
Alors, de grâce, cessez de vous cacher derrière « le nécessaire équilibre entre la protection du consommateur et la liberté d’action des entreprises » pour reprendre le titre de la deuxième partie du rapport. Les approximations de l’article 1er de la proposition servent surtout à prémunir les très grandes entreprises des effets juridiques de leurs turpitudes ou de leurs faiblesses, alors même que les consommateurs sont en première ligne et que vous prétendez les défendre !
Pour conclure, ce texte est notable par ce qu’il n’est pas ! Il est stupéfiant de constater que, inspiré en partie par l’affaire de la CAMIF, il ne prévoit pas l’information du consommateur en cas de retrait, par les organismes bancaires, des garanties financières accordées à un professionnel. Les mêmes imbroglios peuvent donc se reproduire et les consommateurs en seront encore une fois pour leurs frais.
Le Gouvernement nous avait fait miroiter un texte sur l’action de groupe, particulièrement pertinente dans ce secteur économique en pleine expansion. Il a été retiré de l’ordre du jour une semaine avant sa discussion ! Nous doutons de pouvoir débattre d’une telle initiative avant la fin de la législature. Ce serait pourtant l’une des meilleures formes de protection des consommateurs, mais le Président de la République et Mme Parisot y sont viscéralement hostiles, au nom de la compétitivité des entreprises : les profits des entreprises et de leurs actionnaires sont bien plus importants que la défense des consommateurs qui ne sont bons qu’à les engraisser !
Ce texte n’est donc ni plus ni moins que le cache-misère des promesses non tenues du candidat Sarkozy (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Rien n’a été mis en œuvre pour augmenter effectivement le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Il s’agit, avant une échéance électorale, de donner un os à ronger aux consommateurs, de les amadouer en présentant une proposition de loi au titre ronflant, qui ménage les professionnels et plus particulièrement les grandes entreprises et n’améliore que de façon marginale la protection des consommateurs.
Cette duperie, comme tant d’autres, ne peut, en dépit des quelques dispositions favorables aux consommateurs, que fonder le vote de défiance des députes du groupe GDR sur l’ensemble du texte.
 

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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