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Débat sur la traçabilité alimentaire

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, je souhaite, en l’absence de mon collègue André Chassaigne, vous parler agriculture et agroalimentaire.
« La vache est un vieux bœuf qui a la viande un peu dure », écrivait Alexandre Vialatte. (Sourires.) Nos compatriotes ont récemment appris qu’elle pouvait également être faite de cheval !
Ils ont en outre constaté que l’origine des ingrédients contenus dans la plupart des produits transformés était tout simplement inconnue.
Enfin, ils ont découvert les circuits de commercialisation de la viande et la multiplication des intermédiaires, avec l’exemple particulier du « minerai » de bœuf, composé des parties les moins nobles et utilisé le plus souvent haché. Au-delà de la supercherie commerciale, bien peu font référence aux origines plus lointaines de cette situation.
Nous récoltons en réalité les fruits avariés de nombreuses années de renoncement politique, au niveau national comme européen, entraînant l’abandon de la régulation du secteur agricole, la déréglementation des échanges commerciaux liés à l’agroalimentaire et à la distribution, ainsi que la baisse des budgets et des moyens humains affectés à la sécurité sanitaire de l’alimentation et à la répression des fraudes.
Pour guérir cette fièvre de cheval, il conviendrait de ne pas s’arrêter aux apparences et de débusquer, derrière ce mur de viande, ses causes structurelles.
En vérité, nous sommes ici au cœur d’un système politique et économique devenu jungle, dont le maître mot est la compétitivité, et son corollaire la concurrence libre et non faussée.
Au fil des rounds de négociations, du GATT à l’OMC, le secteur agricole a été progressivement utilisé comme monnaie d’échange entre États ou groupes régionaux pour lever les réticences à l’ouverture des échanges de biens manufacturés ou de services.
Les agents économiques, confortés par la déréglementation financière et la dérégulation des marchés, voient désormais dans ce secteur un potentiel de profit considérable. Le marché des matières premières agricoles est ainsi passé de 15 milliards de dollars en 2003 à 200 milliards en 2008. Avec les marchés à terme, un quintal de blé, de maïs ou de soja peut s’échanger plusieurs dizaines de fois sans avoir quitté son lieu de stockage, voire avant même d’avoir été produit.
Dans le même temps, la recherche des coûts de production les plus faibles par la grande distribution et les centrales d’achats est devenue le fil directeur de la stratégie commerciale visant à accroître les marges.
Les secteurs en croissance des produits transformés et surgelés, soumis à des réglementations moins contraignantes que les denrées fraîches, constituent également des cibles privilégiées.
Les conséquences de ces stratégies passent souvent inaperçues pour les consommateurs, qui ne constatent pas de baisse de prix sur ces produits, notamment parce que les étiquettes d’emballage n’imposent pas d’inscription concernant l’origine de chaque ingrédient.
C’est malheureusement ce système qui continue de définir aujourd’hui les logiques commerciales de l’agroalimentaire, fondées sur la recherche des prix les plus bas pour fournir le secteur des produits transformés, avec une multiplication des opérateurs qui facilite les fraudes, ainsi que l’a rappelé ma collègue Annick Girardin. Négociants, abattoirs, traders, sociétés commerciales, usines de transformation, marques généralistes de grande distribution : la filière agroalimentaire s’enrichit sans cesse de nouveaux intermédiaires entre l’étable et la table, entre la terre et notre assiette.
La viande de cheval n’aura servi que de révélateur d’un système de plus en plus complexe d’achat et de revente, avec la « profitabilité » pour seule logique.
Je reprendrai les mots d’un de mes collègues député européen : « En fait, quand on a acheté une boîte Findus, on a alimenté un fond financier d’investissement privé, Lion Capital, et derrière Comigel qui fournit Findus se cache un autre fond d’investissement, Céréa Capital. Que leur importe de préparer des lasagnes industrielles à base de mélange de déchets de muscles de cheval, de vaches, de mulets ou d’ânes, mélangés à de la mauvaise graisse et du collagène ! Et personne ne parle de l’endroit d’où vient le blé qui a servi à faire les parts de lasagne : du Mali, des plaines d’Ukraine ou du Kansas ! »
Nous pouvons d’ailleurs faire quasiment la même analyse avec des distances de transport encore plus longues pour la filière des légumes, victime des mêmes agissements et des mêmes dérives.
Voilà aujourd’hui la réalité de filières alimentaires laissées par choix politique aux mains de la finance.
Mes chers collègues, si la traçabilité, qui a fait, et c’est heureux, un bond en avant suite à l’affaire de la « vache folle », peut permettre d’identifier tous ces intermédiaires, elle ne lève pas l’opacité sur l’origine et la qualité des productions en cause. Elle autorise manifestement les supercheries commerciales les plus flagrantes et ne remet pas en cause les fondements du système. Le pire serait de s’en remettre à la simple poursuite d’un feuilleton judiciaire ou aux bonnes volontés des sociétés avec le renforcement des autocontrôles sur leurs pratiques.
Nous avons donc besoin de tracer de nouvelles pistes pour agir globalement sur le secteur agroalimentaire, mais aussi, en amont, sur notre modèle agricole.
Nous avons besoin d’adopter des mesures concrètes et efficaces tout en renforçant les moyens du contrôle public de la chaîne alimentaire, tant au niveau national qu’européen. C’est dans le domaine particulier de l’information sur la qualité des produits et de leur origine que nous pensons que notre pays peut agir le plus rapidement.
C’est l’objet de la proposition de loi que les députés du Front de gauche ont déposée avec deux exigences fondamentales sur lesquelles je voudrais insister : celle de la mention obligatoire de l’origine des ingrédients de tous produits alimentaires, qu’ils soient à l’état brut ou transformé, et celle du renforcement des moyens du contrôle sanitaire et de la répression des fraudes.
Depuis l’affaire de la vache folle, la viande bovine fraîche doit mentionner son pays d’origine. Ce n’est pas le cas pour les produits transformés à base de viande, pour lesquels existe seulement l’obligation de mentionner le type de viande utilisé. Il en est de même pour tous les autres produits alimentaires qui ne bénéficient pas de ce dispositif d’identification.
L’article 3 de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche avait pourtant introduit la possibilité de faire figurer l’indication du pays d’origine « pour les produits agricoles et alimentaires et les produits de la mer, à l’état brut ou transformé ». Mais cette disposition facultative n’a jamais trouvé de traduction réglementaire.
Alors que les producteurs de notre pays subissent aujourd’hui la concurrence effrénée des productions des pays tiers, les consommateurs doivent être informés de l’origine des produits qu’ils achètent, particulièrement pour les produits transformés. L’urgence est donc d’indiquer la provenance des produits consommés, ainsi que le lieu de l’emballage. Les producteurs et leurs organisations professionnelles y sont, bien entendu, très favorables.
Je rappelle que la mention de l’origine des produits répond aussi à un objectif du Grenelle de l’environnement, car l’importation de pays lointains a des conséquences en termes de bilan carbone et de réchauffement climatique. Parce qu’il est aussi un écocitoyen qui aime savoir s’il achète un produit local ou venu de lieux bien plus éloignés, le consommateur doit savoir d’où vient ce produit.
Pour appuyer cette exigence d’information et de traçabilité sur l’origine et la qualité des produits, notre pays doit pouvoir s’appuyer sur des moyens humains à la hauteur des besoins et des risques, dans un contexte où la dérégulation agricole favorise les importations de matières premières agricoles et alimentaires de pays ayant des niveaux d’exigence sanitaire très différents en fonction des zones de production.
Seule une capacité de contrôle et de sanction suffisante – et je note avec intérêt que vous avez souligné cet aspect, monsieur le ministre – peut prémunir contre les dérives et éviter des crises sanitaires à répétition ou l’expansion de pratiques commerciales frauduleuses. De ce point de vue, nous sommes préoccupés par la suppression de 600 postes depuis 2007 dans le service de la santé publique vétérinaire. Quant à la DGCCRF, ses effectifs, réduits de 15 % en six ans sous la majorité de droite, ce qui représente 560 emplois, ont connu une véritable saignée. Évidemment, cette baisse des effectifs porte atteinte aux contrôles qui sont indispensables.
Nous avons besoin d’envoyer un signal fort au niveau européen. Ces mesures peuvent y contribuer.
Il s’agirait d’une première évolution vers une meilleure reconnaissance des normes sanitaires et environnementales nationales et européennes et d’un levier intéressant pour la valorisation des filières. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

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Jacqueline
Fraysse

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