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Culture : indépendance des rédactions

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote récent du budget Médias a été l’occasion pour les député-e-s communistes, républicains et du parti de gauche de rappeler leur attachement à l’indépendance de la presse. Profanation de la protection des sources, nominations des dirigeants des chaînes, limogeage de journalistes trop critiques : depuis quelques mois, les exemples ne manquent pas dans l’actualité.
Dans la presse écrite, cette remise en cause généralisée de l’indépendance de la presse s’écrit sur fond de concentration du capital de la presse. Un exemple récent peut témoigner des limites toujours existantes des règles en vigueur : celui de la tentative, heureusement avortée, de rachat par le propriétaire du Figaro, quotidien national tirant à 314 000 exemplaires, du quotidien régional Le Parisien tirant lui à 305 000 exemplaires. Cela, dans un contexte politique particulier, puisque le sénateur milliardaire Serge Dassault est par ailleurs en proie à des élections compliquées à Corbeil-Essonnes.
Aussi, nous ne pouvons que saluer l’intérêt partagé du groupe SRC pour ce sujet de l’indépendance, du pluralisme et de la qualité de la presse. Cette proposition de loi apporte des avancées en matière d’information sur la détention du capital et sur les organes de direction. Tout ce qui apporte de la transparence et permet aux hommes et aux femmes de ce pays de pouvoir juger et décider en toute connaissance de cause, va dans le bon sens.
Le cœur de ce texte n’est toutefois pas là. Il réside dans l’alourdissement du poids des journalistes au sein du processus de décision. Une équipe de rédaction permanente composée de journalistes professionnels participerait à la charte éditoriale, disposerait d’un veto sur les nominations et jouerait un rôle premier en matière de déontologie. Par le biais d’une association reconnue ou d’une société des rédacteurs, les journalistes pourraient également siéger de droit, avec voix consultative, dans les conseils d’administration et de surveillance. Cela appelle plusieurs remarques.
Tout d’abord, et c’est essentiel, l’équipe rédactionnelle ne peut ni ne doit se substituer aux représentants du personnel. « En cas de changements importants dans la composition du capital ou de l’équipe affectant de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise », pour reprendre les termes du texte, c’est aux syndicats d’user de leur droit d’alerte et de prendre, de manière globale, les mesures nécessaires. Les journalistes sont libres d’y adhérer et d’y faire valoir leurs vues.
Ensuite, pourquoi se limiter aux seuls journalistes ? Si le journal fait faillite ou licencie, ne doit-on pas aussi rendre des comptes à toutes les autres catégories de personnels ? Allons même plus loin : à l’ensemble des travailleurs dont les salaires, les conditions de travail et l’emploi pourraient être affectés, au sein de la chaîne allant de la production de l’information à la distribution du journal, en passant par son impression ?
Pourquoi, encore, se contenter d’un droit d’information et ne pas aller jusqu’à un vrai pouvoir de décision pour l’ensemble des salariés ? Siéger à titre consultatif dans un conseil d’administration, c’est important pour que les représentants des salariés soient informés. Mais leur donner le pouvoir de s’opposer aux mauvaises propositions des actionnaires et d’émettre des propositions constructives, voilà qui constituerait un vrai progrès !
Enfin, si permettre aux journalistes de participer à la définition de la ligne éditoriale constitue une avancée, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si l’on voulait vraiment rendre les médias aux hommes et aux femmes de ce pays, ne faudrait-il pas se diriger vers une véritable appropriation populaire de la presse et favoriser la participation des lecteurs ?
L’indépendance de la presse est assurément un problème déontologique, éthique. Mais on ne peut s’en tenir là : le modèle économique de la presse lui-même est en cause. Quand un journal doit adoucir le contenu des messages qu’il diffuse pour bénéficier de recettes publicitaires, adoucir sa ligne éditoriale pour éviter le départ d’un gros actionnaire, sa rédaction n’est pas indépendante. Quand un journaliste a peur que son CDD ne soit pas renouvelé, il ne peut être indépendant.
Seul un financement public, délibéré dans un cadre démocratique avec les usagers et les salariés, peut garantir l’indépendance des rédactions. Mais la politique actuelle du Gouvernement ne va pas du tout dans ce sens. Le rapport récemment livré à Bercy par Aldo Cardoso sonne le glas de la presse d’opinion, qui souffre déjà de la discrimination publicitaire : pour économiser 400 millions d’euros, ce rapport préconise de pénaliser les journaux à faible tirage en baissant leurs aides à la diffusion, et d’aider les journaux prospères, qui ne souffrent pas des discriminations publicitaires, à se moderniser sur le dos des autres.
Pour conclure, ce texte part d’une bonne intention, mais le remède apporté est nettement insuffisant. Nous devrons nous abstenir si ce texte maintient son équilibre actuel, c’est-à-dire affaiblit les syndicats pour permettre à des clubs de journalistes d’être mieux informés et de fixer des règles déontologiques. L’indépendance des rédactions ne réside fondamentalement pas dans une transparence accrue sur la propriété du capital. Elle réside dans les pouvoirs effectifs donnés aux usagers et aux salariés dans leur ensemble pour prendre des décisions, et dans la maîtrise du processus de concentration du capital en cours, et donc dans le modèle économique de la presse et des médias.
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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