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Création d’un fonds de soutien à la création artistique

Cette proposition de loi présentée par Michel Larive part d’un constat que nous ne pouvons que partager et dénoncer : celui de la précarité dans laquelle vivent nombre d’artistes auteurs dans notre pays. Elle met en lumière les difficultés sociales et financières auxquelles ils sont confrontés.
Je salue tout d’abord la volonté du groupe La France insoumise de soumettre à nos débats un texte de loi portant sur la culture, qui apparaît depuis plusieurs années comme l’angle mort de nos politiques publiques, pratiquement absente de nos débats. C’est à mon sens un symbole assez flagrant de toutes les politiques d’austérité que de voir la culture égratignée, puis rétrogradée au second plan des politiques publiques : je considère cela comme assez dramatique.
Cette proposition de loi souhaite instituer un fonds de soutien à la création artistique, en complément des dispositifs déjà existants qui peinent à apporter aux artistes un soutien suffisant. Elle propose d’aider les artistes-auteurs vivant dans la précarité en leur versant neuf mois de salaire minimum, sur une période de trois ans renouvelables. Cette aide pourrait intervenir à des moments clefs de la vie artistique : soit au début, lors de la première création, soit pendant la période de création, entre deux œuvres.
Cette proposition de loi permet donc de mettre en évidence un problème majeur affectant les politiques publiques en faveur de la création : bien qu’il existe des fonds de soutien à la création artistique, et qu’ils soient même nombreux, leur fonctionnement est foin d’être optimal. Ils font même preuve d’une certaine inefficacité, il faut le dire. Ces fonds ne touchent en définitive que très peu d’artistes et ne permettent pas de réduire les inégalités sociales devant la création : ils n’aident que très peu d’auteurs à percer.
Le mécanisme de financement du fonds proposé consiste en la création d’une taxe de 1 % sur l’utilisation commerciale lucrative des œuvres tombées dans le domaine public : c’est une logique que nous partageons, même si dans l’absolu cela revient, en définitive, à compenser un certain désengagement de l’État. Nous sommes donc ouverts, je le dis tout de suite, aux propositions sur le mécanisme de financement de ce fonds.
De manière plus générale, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine avait déjà alerté, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, quant au déséquilibre budgétaire qui se creuse entre d’un côté l’éducation culturelle et l’accès à la culture et de l’autre l’aide à la création, alors qu’elles sont pourtant totalement imbriquées et liées.
Comme je l’ai indiqué précédemment, si cette proposition de loi constitue une réponse à une urgence sociale, aider les artistes en difficulté ne consiste pas simplement à aider des personnes : il s’agit de permettre de démultiplier les œuvres et de donner les moyens de devenir artiste.
Soutenir la création, c’est créer mécaniquement une diffusion plus massive de l’art et améliorer son accessibilité comme sa démocratisation : en somme, pas de politique culturelle ambitieuse sans soutien fort à la création.
Je veux à mon tour rappeler quelques chiffres illustrant la précarité dont nous venons de parler : le revenu médian des auteurs du livre s’élève, comme vous l’avez rappelé, à 1,6 fois le SMIC, et 20 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Les auteurs dans le domaine des arts graphiques et les plasticiens et plasticiennes perçoivent pour la moitié d’entre eux moins de 8 700 euros par an. Un dessinateur ou une dessinatrice de bande dessinée sur deux perçoit en outre un revenu inférieur au SMIC, et 36 % vivent sous le seuil de pauvreté. Une femme auteure sur deux se trouve dans la même situation. Je ne peux m’empêcher de penser à ce moment à Emma, bédéiste célèbre qui a, avec un humour acerbe, placé la question de la charge mentale au sein du débat public.
Ces chiffres édifiants fournis par M. le rapporteur doivent nous alerter. Nous vivons en France un terrible paradoxe : comment expliquer que l’industrie créative y soit le troisième secteur économique alors que, dans le même temps, bon nombre d’artistes ne peuvent vivre de leur art et bon nombre de citoyens n’expérimentent pas les œuvres ? Alors que ce secteur produit énormément de richesses, financières comme immatérielles, pour notre pays, comment pouvons-nous faire le choix de laisser les artistes vivre dans une telle précarité ?
Ce texte constitue à nos yeux une première réponse, car il cherche à s’attaquer à ce paradoxe. C’est pour cette raison que nous le soutenons. Au-delà de la création d’un fonds de soutien, ce texte nous fait nous interroger sur les droits et les moyens de créer accordés aux artistes dans notre société.
Faute d’aides suffisantes et efficaces, les minima sociaux représentent aujourd’hui le principal soutien à la création. Par exemple, l’aide exceptionnelle du Centre national des arts plastiques n’est que d’un montant de 1 000 euros, et, en 2017, 302 auteurs seulement ont bénéficié des aides du Centre national du livre. Seuls dix-neuf artistes plasticiens ont reçu une aide au soutien à la création du Centre national des arts plastiques en 2018.
Les minima sociaux se substituent donc à ces aides, en réalité peu nombreuses et insuffisantes, ce qui n’est évidemment pas leur vocation : il serait grand temps de mettre en œuvre des dispositifs spécifiquement dédiés aux artistes.
Afin de soutenir la création artistique, nous nous sommes saisis de cette proposition de loi et avons déposé un amendement proposant l’institution d’un droit de présentation : il s’agit d’une revendication de longue date des artistes plasticiens. Un tel droit permet à un artiste, lorsqu’il est exposé dans un but non lucratif, de laisser l’organisme qui l’expose supporter tous les frais afférents à l’installation des œuvres présentées. Il paraît quand même assez incroyable qu’un artiste qui expose à des fins non lucratives se voie contraint de payer pour exposer !
L’objectif est de ne pas faire supporter à l’artiste les frais financiers engendrés par l’exposition de ses œuvres.
Le bénéfice que représente cet amendement pour les artistes a été reconnu, puisqu’il a été adopté par la commission des affaires culturelles. Même si j’en doute, nous espérons qu’il en sera de même en séance publique.
Je me permets de revenir sur quelques arguments avancés en commission des affaires culturelles la semaine dernière. Certains de nos collègues ont notamment associé le statut d’artiste-auteur à celui d’intermittent du spectacle. Permettez-moi de tenter de clarifier les choses.
Peu d’artistes-auteurs sont intermittents du spectacle. Les artistes-auteurs n’ont pas les mêmes droits que les intermittents.
Lorsque les salariés intermittents cotisent à toutes les caisses, car ils ont une pluralité d’employeurs, cela leur permet, lors des périodes d’inactivité, d’avoir droit au chômage, ce qui est décisif et nécessaire, nous le redisons. Un artiste-auteur, lui, doit se contenter des minimas sociaux ou d’un travail alimentaire, sans aucun filet de sécurité.
Je rappelle les artistes-auteurs sont 71 % à cumuler création et emploi, le plus souvent alimentaire, sans que les droits correspondant ne puissent être cumulés. Les artistes-auteurs ne sont pas non plus couverts en cas d’arrêt maladie ni d’accident du travail : on ne peut donc pas parler d’un statut avantageux ni d’un statut assimilable à celui des intermittents du spectacle. Il y a donc plus qu’urgence à se pencher sur le sujet.
En outre, les artistes-auteurs ne bénéficient pas d’un statut particulier avec des conditions de travail réglementées, puisqu’aucune convention collective n’encadre leur profession. La création d’un échelon de négociation collective qui leur serait dédié représenterait donc une avancée majeure, que nous encourageons.
La protection sociale des artistes mérite elle aussi qu’on s’y intéresse et qu’on y apporte des améliorations. Aujourd’hui, les cotisations patronales s’élèvent à 1,1 %, dont 1 % sert à la protection sociale des artistes et 0,1 % à la formation : c’est trop peu pour assurer aux artistes une réelle protection sociale.
Je le répète, la proposition de loi de Michel Larive nous rappelle à quel point la culture est aujourd’hui un angle mort des politiques publiques. S’il existe bien le pass Culture, il manque à notre pays une vision culturelle, une véritable ambition pour la création et surtout une volonté farouche de lutter contre la marchandisation de la culture. Enfin, toute politique culturelle ambitieuse ne pourra se concrétiser sans un soutien massif à la vie associative.
Je souhaite profondément que le ministère de la culture redevienne le créateur d’une grande politique culturelle, comme nous avons su le faire dans des moments décisifs pour notre pays : je pense évidemment au Front populaire et à la Libération. Il est ensuite devenu, au fil des années, un outil de communication culturelle puis de marchandisation culturelle.
À l’heure où des périls majeurs menacent notre pays, et pas seulement lui, à l’heure où les libertés sont rabotées, voire attaquées, il est plus qu’urgent que cette politique culturelle ambitieuse devienne un moyen de les affronter. Nous devons nous emparer de ce sujet dans les mois qui viennent, tant l’accès à la culture et aux pratiques culturelles est un préalable incontournable en vue de régler une partie des maux dont souffre notre société.
Vous l’aurez compris, c’est sans réserve, mais en proposant quelques apports, que notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et SOC.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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