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Collectivités territoriales : renouvellements des conseils généraux et régionaux

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec ce texte, a priori anodin, nous abordons la première étape d’une réforme qui s’annonce pourtant essentielle tant son impact sera grand sur le fonctionnement de notre République ainsi que sur les principes fondamentaux de la décentralisation engagée depuis plusieurs décennies maintenant. Je parle de la fameuse réforme territoriale dont nos collègues sénateurs ont eu la primeur et dont ils commencent l’examen aujourd’hui.
Il s’agit donc moins de discuter des deux mini-articles qui composent ce projet de loi que de lire entre les lignes et de noter les absences du rapport qui l’accompagne, rapport que nous devons à notre collègue Perben et dont nous démonterons les arguments, tant ils ne peuvent justifier un tel chamboulement électoral.
Vous avez beau affirmer, monsieur le rapporteur, que « cet aménagement ciblé » portant sur la concomitance du calendrier électoral ne liera pas le législateur quant à l’institution ultérieure de conseillers territoriaux communs aux départements et aux régions, nous nous interrogeons sur le sens des prochaines échéances cantonales et régionales, dont le seul impératif est pourtant de répondre à la création des futurs conseillers territoriaux.
Le projet de loi qui les institue, s’il a été déposé au Sénat, n’est pas encore inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il s’agit donc pour nous de nous prononcer sur un texte dont la majeure partie n’est pas encore discutée. Le texte que nous examinons anticipe donc clairement sur la réforme territoriale, et cela au mépris du Parlement, convoqué en dernière instance pour valider les décisions gouvernementales. De nouveau, la procédure d’urgence est engagée : elle devient en quelque sorte la norme de nos travaux. Le parcours de la décision législative est certes respecté à la lettre, mais l’esprit n’y est décidément plus, comme nous l’avons encore constaté cet après-midi.
Ce projet de loi n’a de sens que s’il est accompagné des trois autres. Mais, si vous avez tenu à décliner la réforme des collectivités territoriales sous la forme d’une sorte de kit de quatre projets de loi dépendant les uns des autres, vous n’avez néanmoins de cesse de répéter que le texte que nous examinons n’est pas intrinsèquement lié à la mise en place des conseillers territoriaux et au reste de la réforme.
Ainsi, vous nous répétez qu’il s’agit avant tout de réaliser des économies, l’organisation d’élections différentes et, surtout, les élus représentant un coût trop important. Ce coût est indéniable, mais nous considérons qu’il est justifié, dans la mesure où ces élus, par leur mandat et leur implication sur le territoire qu’ils représentent, sont garants de la démocratie représentative, laquelle – vous en conviendrez, puisque c’est le sens de votre réforme – serait particulièrement fragilisée. Mais de cela, il n’est jamais question.
Penser que les électeurs seraient perdus face à un trop grand nombre d’échéances électorales, c’est nier la question de la proximité. Vouloir y remédier en cumulant les mandats, c’est nier le statut spécifique et « bénévole » de l’élu. Il est vrai que la démocratie a un coût, mais pousserez-vous votre obsession du rabotage budgétaire jusqu’à la paralyser pour faire des économies ? Tel est, en tout cas, le sens de la réforme territoriale dont ce texte est la première étape.
En outre, la création de conseillers territoriaux, qui porteront la charge de conseillers, nous entraîne vers une professionnalisation de l’élu, alors que nous n’avons eu de cesse de proposer un statut de l’élu, qui respecte sa fonction et son ancrage dans le territoire qu’il représente. La fonction d’élu local relève en effet bien souvent du bénévolat, sans que cela soit reconnu. Or, avec cette réforme, la charge de travail représentée par les mandats de conseillers généraux et régionaux sera monumentale et ne permettra plus la proximité. Bien au contraire, elle aura pour effet majeur de déterritorialiser les élus : passer de 6000 à 3000 élus, c’est, par définition, aller contre la proximité. Sachant que, par ailleurs, vous avez mis en œuvre la révision générale des politiques publiques, on comprend que l’objectif de cette réforme est moins de couper l’herbe sous le pied à l’ensemble de la représentation publique que de faire réaliser des économies aux collectivités territoriales.
Il s’agit tout simplement d’une remise en cause fondamentale de la décentralisation, pourtant bien engagée, qui a permis, ces dernières années, de faire face au désengagement de l’État. Non seulement la majorité ne s’acquitte pas des transferts financiers équivalents aux transferts de compétences, essentiels pour que ces derniers soient réalisés en bonne et due forme, mais elle réforme la taxe professionnelle. Après le débat sur le Grand Paris, qui s’assoit sur les collectivités locales pour installer un « Grand 8 » au détriment des intérêts locaux, cette réforme achève l’offensive gouvernementale contre les collectivités territoriales, derniers contre-pouvoirs locaux à la politique néolibérale du Gouvernement.
Que deviendront nos territoires, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, sans les politiques volontaristes des communes, de leurs communautés d’agglomération, des conseils généraux et régionaux ? Territoires où, soit dit en passant, il est difficile d’envisager l’augmentation de la taxation des ménages à revenu moyen, déjà largement taxés, et où les élus sont parvenus à créer un véritable lien avec les entreprises, sans nuire pour autant à leur capacité d’investissement et à la création d’emplois.
Mes chers collègues, j’ai bien compris l’argumentaire que le Gouvernement et sa majorité ont servi à nos collègues sénateurs lors de l’examen de ce texte devant la chambre haute. Dès que les sénateurs de l’opposition expliquaient les conséquences dramatiques de la réforme des collectivités territoriales, leurs collègues de l’UMP au grand complet leur répondaient que le projet de loi n’organise que la concomitance de deux élections et n’a aucun rapport avec la réforme des collectivités. C’est faux !
Du reste, j’en viens maintenant au point à mon sens le plus scandaleux du « kit territorial » préparé par M. Hortefeux : le mode de scrutin qui s’appliquera en mars 2014 si le présent projet de loi est voté ; nous sommes donc en plein dans le sujet. Nicolas Sarkozy a retenu le scrutin uninominal à un tour, avec une mini-dose de pseudo-proportionnelle de liste. Outre qu’il vise à asseoir l’autorité du parti majoritaire actuel au niveau local, ce mode de scrutin balaie complètement les principes du pluralisme politique, qui est pourtant un des piliers fondamentaux du paysage politique et du débat démocratique français.
Inspiré du modèle anglo-saxon, il permettrait en effet d’installer durablement le bipartisme dans notre pays. Sans vouloir défendre à tout prix le groupe auquel j’appartiens, il me semble que l’existence, la légitimité et la reconnaissance élective de différents partis sont un signe de bonne santé démocratique, de débat politique légitime. Le contraire est synonyme de régression démocratique. Notons au passage que nous n’avons pas eu recours à ce mode de scrutin depuis 1852. Celui-ci implique que le choix de la personne prime sur le programme, que seuls les grands partis seront représentés. Or le pluralisme de la représentation politique est un moteur du dynamisme démocratique de notre République. Le bipartisme ne peut être considéré comme une avancée démocratique ; au contraire, il est synonyme de régression démocratique.
Comment expliquer aux administrés la non-représentation de certains courants, quels qu’ils soient ? Aujourd’hui, selon les élections et les assemblées, entre 15 et 30 % des électeurs qui se sont déplacés pour voter ne sont pas représentés. Ce n’est pas normal ! La vie politique française ne se limite pas au bipartisme, qui, encore une fois, est synonyme de régression démocratique. L’Assemblée, presque bicolore, n’est pas le miroir de l’expression des suffrages, et encore moins celui de notre réalité et de notre diversité politiques. Il ne peut en être de même au sein de nos assemblées territoriales.
Lors du débat sur la réforme constitutionnelle, nous avions insisté sur la question de la proportionnelle, qui est loin d’être annexe. Là encore, nos propositions ont été balayées d’un revers de main. Permettez-nous donc de douter de la sincérité de votre propos quand vous affirmez que la justification essentielle de cette réforme est de réconcilier les citoyens avec le politique.
Si le seul risque qu’il comportait était celui du bipartisme, nous ne serions pas aussi révoltés contre ce mode de scrutin. Mais il y a beaucoup plus grave : le choix d’élections à un seul tour. Celles-ci permettraient en effet à l’UMP de rafler la majorité des mandats au prix d’une surreprésentation grotesque. Souvenez-vous des résultats des élections européennes de 2009 : le nombre des élus UMP est disproportionné par rapport au score de ce parti, et ce en raison des déformations du scrutin à un seul tour.
Par ailleurs, ce mode de scrutin rend quasi impossible le respect de la parité. La valeur contraignante de la loi de 1999 s’envole en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. L’exemple régional, dont la représentation est la plus égalitaire, va donc disparaître. En bref, cette loi s’assoit, là encore, sur une avancée majeure de la vie politique française de ces dernières années. Or il faut rappeler que nous sommes encore très en retard sur la question de la parité : il suffît de regarder cet hémicycle, même si, ce soir, nous ne sommes pas trop mal lotis.
Puisque nous discutons d’un projet de loi qui organise la concomitance des élections des conseillers régionaux et des conseillers généraux, je souhaiterais aborder la question tout à fait centrale du droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers non communautaires. Dans bon nombre de communes, les habitants ont été consultés sur ce sujet et, chaque fois, une majorité d’entre eux s’y est dite favorable. C’est, du reste, un sentiment partagé dans l’opinion publique. Ainsi, en 2008, plus de 50 % des Français considéraient qu’il serait juste d’accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales et un sondage récent montre que cette tendance s’est encore renforcée.
Or il semblerait que M. Sarkozy ait tout simplement décidé de revenir sur ses engagements de campagne, faute d’avoir converti sa majorité à ses vues. Mais comment peut-on encore penser qu’un immigré, d’où qu’il vienne, a plus à voir avec un pays où il ne vit plus qu’avec celui où il a choisi de s’installer, de travailler, de fonder une famille, de scolariser ses enfants, de payer ses impôts, d’agir dans la cité et de créer des richesses, participant ainsi au « rayonnement de la France », pour reprendre l’une de vos expressions favorites en matière de droits des étrangers ? En quoi ces résidents seraient-ils moins méritants que les citoyens nés ou naturalisés Français ou membres de la Communauté européenne ? Nous pensons au contraire que l’égalité des droits, notamment en ce qui concerne la participation à la vie politique de son lieu de résidence, est une condition indispensable à une véritable représentation de la souveraineté populaire dans son ensemble.
Où se situe l’anomalie : dans le traitement égalitaire des étrangers qui résident sur notre territoire depuis au moins cinq ans ou dans le choix de faire l’impasse sur une réforme qui aboutirait enfin à une réelle justice, à une véritable modernité démocratique, telle qu’elle existe dans de nombreux autres pays européens ?
Ce projet de loi aurait été l’occasion parfaite d’innover et d’ouvrir le droit de vote aux étrangers, bref de moderniser réellement les institutions. Mes chers collègues, non seulement vous nous égarez en multipliant des réformes qui ne sont pas abordées dans le bon sens et qui mettent de côté des sujets aussi importants que la parité, le pluralisme politique, le respect des engagements liés à la décentralisation et le droit de vote des étrangers, mais, surtout, vous vous attaquez à des domaines qui sont très éloignés des préoccupations des Français. La réforme des collectivités locales, le débat sur l’identité nationale ou encore les pseudo-problèmes de sécurité sont autant de sujets qui nous détournent des véritables problèmes : l’emploi, le logement, les transports, l’accès à l’enseignement
Nos concitoyens ne sont pas dupes. Ils sont tout à fait capables de comprendre que les collectivités locales sont trop souvent le dernier représentant public véritablement présent dans les territoires, en particulier dans les plus populaires d’entre eux, c’est-à-dire ceux qui ont le plus besoin d’un appui et d’une présence publics. Cette réforme territoriale et, en tout premier lieu, ce projet de loi compliquent nos institutions et éloignent un peu plus les élus de leur terrain. Force est de constater que vous mettez la charrue avant les bœufs. En effet, en voulant vous inscrire dans des logiques électoralistes et donc court termistes, vous oubliez le fond du problème : la participation des citoyens à la vie de la cité et à la vie démocratique.
En un mot et pour conclure, nous sommes, depuis la rentrée, confrontés à trois propositions – réforme du Grand Paris, suppression de la TP et réforme des collectivités locales – qui participent d’un même projet politique très bien orchestré. Ne perdons pas de vue que tout est absolument lié. La dynamique engagée par le Gouvernement va clairement dynamiter les logiques de survie des territoires les plus vulnérables. C’est pourquoi les députés de notre groupe se mobiliseront contre le projet de big bang territorial et voteront résolument contre l’ensemble de ces textes.
 

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Patrick
Braouezec

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