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CMP statut de la magistrature

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est avec un étonnement certain que notre groupe a pris connaissance de l’accord trouvé en commission mixte paritaire entre les sénateurs et les députés sur ce projet de loi organique concernant la retraite des magistrats.
M. Philippe Gosselin. Un accord de bonne administration !
M. Jean-Paul Lecoq. En effet, les sénateurs ont accepté la rédaction initiale de l’article 1er, transposant aux magistrats l’accélération de la réforme des retraites prévue dans le PLFSS.
Pour notre part, députés partie prenante du Front de gauche, nous redisons notre opposition totale à ce texte.
M. Marc Dolez. Très bien !
M. Philippe Gosselin. Le contraire nous aurait étonnés !
M. Jean-Paul Lecoq. La réforme des retraites de 2012 faisait déjà de la France l’un des pires pays de l’Europe en matière de droits à la retraite pour ses salariés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), en conjuguant recul des bornes d’âge et augmentation de la durée de cotisation. Repousser encore la limite d’âge, c’est aggraver ce mauvais coup porté à tous ceux qui travaillent.
Certes, le présent texte ne fait qu’élargir ce funeste dispositif aux magistrats, qui ne sont pas les plus à plaindre, me direz-vous, surtout dans l’actuelle situation d’explosion du chômage, mais ce projet de loi est représentatif de la politique de casse sociale du Gouvernement.
À ce titre, il semble que les sénateurs aient quelque peu mangé leur chapeau, car, chacun le sait, voter ce projet de loi organique, c’est valider tacitement la réforme des retraites de 2010 et son aggravation en 2011.
Voter ce texte, c’est accepter la logique de rigueur qui donne pourtant des résultats catastrophiques dans toute l’Europe. C’est dire amen à ceux qui travaillent au délitement des droits sociaux au seul prétexte de rassurer les marchés, fauteurs de crise. C’est s’incliner devant le rouleau compresseur de l’idéologie néolibérale, responsable de la situation de paupérisation généralisée que nous vivons aujourd’hui.
Les députés communistes, républicains et du parti de gauche ne fermeront pas les yeux sur ce texte. Nous continuons de nous opposer à la catastrophique réforme des retraites. Notre candidat porte, pour l’élection présidentielle, un programme de rétablissement du droit à la retraite à soixante ans à taux plein et sans décote pour tous.
M. Pascal Brindeau. Il n’y a que vous qui y croyiez, et encore !
M. Philippe Gosselin. Comment financerez-vous cela ?
M. Jean-Paul Lecoq. Nous ne sommes pas de ceux qui proposent d’avancer un peu l’âge de la retraite pour ceux qui ont un travail pénible à condition de retarder celui de tous les autres.
C’est donc tout naturellement que nous voterons contre ce texte.
Au-delà de la question de la limite d’âge pour les magistrats, différents cavaliers législatifs avaient été ajoutés en première lecture. Il s’agissait de faire passer en catimini et dans l’urgence un certain nombre de réformes concernant le statut des magistrats.
À notre grand étonnement, ces cavaliers ont aussi fait l’objet d’un accord en CMP. Nous regrettons que le Gouvernement use de cette façon brouillonne et irrespectueuse de légiférer. En réformant à la hussarde, on se prive d’une vraie concertation et d’une vraie réforme. L’émiettement des dispositions ne permet pas d’écrire la loi de façon satisfaisante. Notons également que ces dispositions ajoutées en catastrophe ne font l’objet d’aucune étude d’impact – mais nous y sommes habitués.
Parmi ces différentes mesures figurait l’extension à douze ans de la durée pendant laquelle un magistrat pourrait exercer la fonction de magistrat placé. Nous étions fortement opposés à cette dérive qui aurait conduit à interdire aux magistrats placés l’accès à tous les postes correspondant à leur grade. Cette disposition a disparu du texte ; c’est le seul point positif que nous pouvons relever dans la copie de la commission mixte paritaire.
Les magistrats placés constituent un contingent à la libre disposition du chef de cour. Ils ne bénéficient d’aucune garantie de pérennité dans l’exercice de leurs fonctions. Il est donc indispensable de limiter leur précarité.
Les magistrats placés doivent faire face à des vacances de postes volontairement organisées. C’est ce qui a eu lieu lors de la réforme de la carte judiciaire : des mois durant, des juridictions vouées à être supprimées ont fonctionné avec des magistrats placés.
Si cette fonction peut être nécessaire, elle doit rester exceptionnelle et constitue une atteinte au statut des magistrats. Porter de six à douze ans sa durée reviendrait à créer une véritable carrière de magistrats précaires. C’est précisément dans l’autre direction qu’il faut aller. Le syndicat de la magistrature préconise ainsi de réduire la durée de cette fonction à quatre ans, au rebours du dispositif initialement proposé.
Pour nous, bien loin de diminuer les droits des personnels de justice, la première des politiques à mener consiste à leur donner les moyens de travailler correctement.
M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !
M. Jean-Paul Lecoq. Ce dont ils ont besoin, c’est une augmentation sans précédent de leurs moyens humains et techniques pour réaliser leurs missions de service public. Or le ministère de la justice est l’un des premiers sinistrés de la révision générale des politiques publiques
M. Philippe Gosselin. C’est faux ! Le budget est en augmentation de 1 % !
M. Jean-Paul Lecoq. Alors que la droite engorge les tribunaux avec un empilement record de textes répressifs et sécuritaires, elle en supprime par dizaines et des postes par milliers ! La Conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance s’est ainsi fortement inquiétée de voir commencer l’année 2012 sous le signe de « difficultés matérielles et budgétaires » pour les acteurs de la justice.
M. François Vannson, rapporteur de la commission mixte paritaire. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Paul Lecoq. Vous dites que c’est faux, monsieur le rapporteur, mais c’est tout de même le constat du Syndicat de la magistrature. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Pascal Brindeau. Ce qu’il dit n’est pas parole d’évangile !
M. Jean-Paul Lecoq. Les syndicalistes ont, eux aussi, le droit de s’exprimer, et permettez-moi, mes chers collègues, de les écouter et de les entendre. Et faites tout de même confiance aux présidents des tribunaux de grande instance. Il me semble que vous participez tous aux séances solennelles de rentrée et, donc, que vous entendez les présidents des tribunaux de grande instance expliquer qu’il y a des déficits en matière d’effectifs. Mais soit vous ne voulez pas les écouter, soit vous n’êtes pas capables de relayer leurs problèmes à l’Assemblée nationale alors que c’est votre devoir de représentants du peuple ! (Même mouvement.)
M. François Vannson, rapporteur de la commission mixte paritaire. Ils se plaignaient même sous la gauche !
M. Jean-Paul Lecoq. Les cinq années de la présidence Sarkozy auront été celles de toutes les souffrances pour les hommes et les femmes qui travaillent pour assurer le service public de la justice. Aux dires des présidents de tribunaux, la situation est d’une gravité sans précédent. Permettez-moi de citer le président du tribunal de grande instance de Lyon, M. Paul-André Breton : « Notre travail se limite de plus en plus à la gestion d’une pénurie dramatique de moyens face à une inflation insupportable des charges dans un contexte de fréquentes improvisations juridiques. » La réforme à faire en matière de justice, ce n’est certainement pas de faire travailler plus longtemps les magistrats !
Puisque nous nous apprêtons à toucher à leur statut, pourquoi ne pas avoir enfin aligné les conditions de nomination des magistrats du parquet sur celles des magistrats du siège ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est ce que vient d’annoncer, vendredi dernier, le Président de la République.
M. Jean-Paul Lecoq. Si vous saviez, monsieur le ministre, combien nous avons eu d’annonces du Président de la République depuis cinq ans ! Il y a les annonces et il y a la réalité... Il est d’ailleurs normal qu’il annonce plein de choses positives juste avant une élection présidentielle.
M. François Vannson, rapporteur de la commission mixte paritaire. On s’écarte du sujet !
M. Jean-Paul Lecoq. Même le procureur Jean-Claude Marin demande désormais un tel alignement ! Je rappelle que, début décembre, les procureurs de la République, dans une démarche sans précédent, ont solennellement attiré l’attention du chef de l’État sur la gravité de la situation des parquets français.
M. Marc Dolez. C’est vrai ! Ils étaient 123 !
M. Jean-Paul Lecoq. Leur fronde – du jamais vu ! – porte aussi bien sur leur statut que sur les moyens qui leur sont alloués. Vous ne les avez pas, eux non plus, entendus.
Chacun le voit, la crise historique traversée par l’institution mérite d’autres réponses que celles que vous apportez en ce moment, lesquelles se résument au populisme pénal et à l’organisation de la pénurie. La liste est longue des réformes menées tambour battant contre les magistrats, contre les justiciables et contre les principes républicains. Je ne prendrai qu’un seul exemple : celui du forfait de 35 euros que chaque citoyen français devra payer pour saisir un juge en matière commerciale, rurale, immobilière ou en droit du travail. En créant ce péage, votre majorité a réussi l’exploit d’instaurer la justice payante.
M. Jean-Paul Bacquet. Ce n’est pas le forfait médical, mais le forfait judiciaire !
M. Jean-Paul Lecoq. Nous avons voté contre ce projet de loi mais, en plus, vous ne nous aviez pas dit, monsieur le ministre, que ces 35 euros sont dus à chaque acte.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est faux.
M. Jean-Paul Lecoq. Si, monsieur le garde des sceaux. Allez voir dans les tribunaux : à chaque fois que l’on est obligé de saisir un acteur de la justice, on doit désormais payer 35 euros.
M. Yves Fromion. C’est vrai !
M. Jean-Paul Lecoq. J’invite ceux qui ne veulent pas me croire à aller dans les tribunaux de leur circonscription rencontrer les juges et les autres acteurs de la justice, et ils verront que ce péage est dû à chaque fois.
Arrivé au terme d’une série interminable de textes, ce projet de loi organique d’accélération du calendrier de la réforme des retraites n’est qu’une minuscule facette de l’action dramatique de l’UMP en matière de justice. Chacun comprendra donc pourquoi les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront résolument contre ce projet de loi.
M. Marc Dolez. Très bien !

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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