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CMP : PLFR pour 2011

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.
M. Jean-Claude Sandrier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat et notre assemblée sont parvenus à un accord jeudi dernier sur un texte commun concernant la mise en place de la garantie publique apportée à la banque Dexia.
Disons-le tout net, ce texte ne nous satisfait pas.
M. Charles de Courson. Hélas !
M. Jean-Claude Sandrier. Certes, le changement de majorité au Sénat a permis d’obtenir des avancées, de mettre les dirigeants des banques face à leur responsabilité en les touchant là où cela leur fait généralement le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille.
Aux termes du texte adopté en commission, les dirigeants des banques bénéficiant directement ou indirectement de l’aide de l’État, qu’ils exercent les fonctions de président de conseil d’administration, de directeur général, de directeur général délégué, de membre du conseil d’administration ou du directoire, de président du conseil de surveillance ou de gérant, ne pourront plus percevoir de bonus ni de rémunération variable. L’attribution d’indemnités et d’avantages indexés sur la performance ainsi que de rémunérations différées telles que les retraites chapeaux seront elles aussi prohibées. Enfin, aucun dividende ne sera versé en numéraire aux actionnaires lorsque la solvabilité ou la liquidité de l’établissement de crédit auquel l’État vient en aide sera compromise ou susceptible de l’être.
Nous ne saurions naturellement sous-estimer l’importance de telles dispositions à l’heure où un doute sérieux subsiste sur la capacité des banques françaises à renforcer leurs fonds propres par leurs propres moyens, compte tenu de leur exposition à la dette souveraine des États européens soumis à la pression des marchés. Si l’État devait s’engager financièrement à leur égard, ces nouvelles règles leur seraient applicables.
Ce ne serait pas une mauvaise chose, quand on sait combien les dirigeants des banques françaises usent et abusent des rémunérations variables. En dépit des timides admonestations adressées par l’Europe et le G20, qui ont demandé à plusieurs reprises que la part variable des salaires soit maintenue dans un rapport équilibré avec la part fixe, force est de constater que les dirigeants du secteur bancaire continuent de s’octroyer en toute impunité des rémunérations exorbitantes et proprement scandaleuses.
François Pérol, dirigeant du groupe Banque populaire-Caisses d’épargne, a empoché cette année 1,6 million d’euros, deux fois son salaire fixe ; Jean-Paul Chifflet du Crédit agricole, 1,7 million d’euros, soit 20 % de plus que son fixe ; Frédéric Oudéa, à la Société générale, 4,1 millions d’euros, soit cinq fois son salaire fixe. La palme revient à Baudoin Prot, directeur général de BNP-Paribas, qui s’est vu attribuer cette année un bonus de 5 millions d’euros, portant sa rémunération totale à 6,2 millions d’euros, près de quatre siècles de SMIC.
M. Charles de Courson. C’est modeste, pour un banquier ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Sandrier. Nous saluons donc l’initiative victorieuse de la gauche sénatoriale sur ce point. Nous nous félicitons également de l’adoption de l’amendement de principe visant à consulter les élus locaux, par le biais du Comité des finances locales, en cas de relèvement éventuel du plafond de la garantie de l’État au titre des emprunts dits toxiques.
Pour le reste, nous restons sur notre faim. D’une part, en effet, le texte ne tire aucun enseignement des raisons de la faillite de Dexia. D’autre part, il ne tient, aucun compte des besoins et des attentes des collectivités locales.
Comme je l’expliquais déjà en première lecture, vous êtes coutumiers du fait. Vous aviez décidé en 2008 de ne tirer aucune leçon de la crise, de laisser le système en l’état, car vous étiez persuadés que la crise n’était qu’une péripétie, que tout finirait par s’arranger, par la grâce de quelques « stabilisateurs automatiques ».
La suite nous a prouvé le contraire, mais vous restez aujourd’hui encore persuadés qu’il est possible de sauver un système à bout de souffle en en faisant payer la facture aux peuples plutôt que de prendre le pouvoir sur les marchés financiers. Cette tentative de sauvetage d’un capitalisme financier en déroute vous conduit à improviser et à enchaîner, à chaque panique des marchés, des mesures d’urgence.
La proposition que vous nous faites en est l’illustration. Elle présente un mécanisme à bien des égards analogue au très contestable plan d’aide au secteur bancaire intervenu en 2008 : vous apportez la garantie de l’État. Vous nous expliquerez sans doute que, de la même manière que les prêts à intérêt accordés par l’État en 2008 ont permis de dégager une plus-value, la garantie de l’État ne sera accordée que moyennant rémunération. À cet égard, il faut rappeler que le rapport publié en mai 2010 par la Cour des comptes sur les concours publics aux établissements de crédit avait souligné les risques de surcoût attachés à ce type d’opération.
Ce rapport indiquait que l’aide apportée aux banques en 2008 avait, je cite, « engendré des coûts permanents ». Il y a malheureusement fort à parier que l’opération que vous nous proposez aujourd’hui se soldera de la même manière par des pertes, qui vont de la déperdition de Dexia aux conséquences de la dépréciation des titres gérés, sans oublier les intérêts relatifs à la souscription du financement de la garantie, car c’est sur les marchés, donc en empruntant à intérêt, que l’État ira chercher des ressources.
La création en France d’une nouvelle banque pour les collectivités locales, adossée à la Caisse des dépôts et consignation et à la Banque postale, aurait pu représenter une avancée, mais vous n’avez pas choisi cette voie. Le terme de nationalisation est chez vous tabou. Vous voulez que la collectivité, donc les contribuables, assume les pertes, mais vous lui refusez toute perspective de gain à moyen ou long terme, ce que seule pourrait permettre la nationalisation ou la prise de participation majoritaire de l’État.
Votre projet de loi laisse perplexe. Ainsi, le fait de garantir les titres les plus toxiques de Dexia, hérités de ses opérations les plus spéculatives et cantonnés dans une structure de défaisance, pose problème. Nous savons que les représentants du Parlement à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations ont cherché à éviter de reprendre les créances risquées, c’est-à-dire les obligations d’État grecques et italiennes, et les crédits toxiques distribués par Dexia aux collectivités locales. La Caisse des dépôts a demandé et obtenu que le plafond de garantie concernant le portefeuille de titres de dette publique locale soit supérieur au risque de dépréciation connu. C’est dire que vous ne réglez rien de la situation des collectivités locales. Ni Dexia ni la Caisse des dépôts n’auront intérêt à accorder aux collectivités un abandon de créance, un moratoire de remboursement ou un rééchelonnement de leurs emprunts.
Nous sommes dans une logique de socialisation des pertes. Il n’est question pour vous, dans ce projet, que de sauver les meubles et de faire éventuellement supporter à nos concitoyens un transfert de charge du privé vers le public. Vous vous bornez à reconnaître à l’État actionnaire le rôle d’un gestionnaire de portefeuille, sans dégager de perspectives nouvelles, et sans permettre le redressement des collectivités, dans une période où l’investissement public pourrait pourtant être un levier essentiel de la croissance.
Nous militons depuis des années, comme vous le savez, pour la création d’un grand pôle financier public, d’un outil de financement performant dont la politique de crédit cesserait d’être mue par la seule rentabilité financière.
Nous avons aujourd’hui la possibilité, autour de la Caisse des dépôts et de la Banque postale, de créer non seulement une banque qui financerait les communes et les départements mais tout un pôle bancaire susceptible de mobiliser l’épargne populaire au profit du tissu économique, de proposer des prêts à taux réduits pour les entreprises qui favorisent la création de richesses réelles, l’investissement créateur d’emplois, et d’accompagner les entreprises dans leur transition écologique. Vous aviez l’occasion d’extraire du marché financier l’ensemble du financement des collectivités locales ; vous ne l’avez pas saisie.
Dans ces circonstances, et parce que vous n’avez tiré aucune leçon de la crise de 2008, aucune leçon de l’ouverture aux marchés financiers, alors qu’actuellement les banques ne prêtent pas aux collectivités ni aux PME, qu’aucune garantie pour 2012-2013 n’est apportée aux collectivités pour financer leurs investissements, que rien n’est arrêté pour les emprunts toxiques, que la nouvelle banque créée est sous-dimensionnée face à l’ampleur de la crise et que ses critères de fonctionnement ne sont pas en conformité avec l’objectif affiché, nous ne pourrons, parce que nous sommes un groupe responsable, que rejeter ce texte.
M. Roland Muzeau. Très bien !

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Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)

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