Interventions

Budget de l’État

Budget : projet de loi de finances rectificative - Motion de renvoi en commission

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, mes chers collègues, nous avons assisté tout à l’heure à deux discours fantastiques, celui de Charles-Amédée de Courson et celui de Jérôme Chartier.
Le Nouveau Centre s’est battu, a déclaré Charles-Amédée de Courson. En l’entendant, je pensais à la chèvre de M. Seguin qui, toute une nuit, résista, se battit et, le matin venu, rendit les armes et fut dévorée par le méchant loup – en l’occurrence, l’UMP…
Quant à Jérôme Chartier, en l’écoutant, je pensais à Joinville,…
M. François Scellier. Joinville-le-Pont ? (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. …l’hagiographe de Saint Louis, qui ne trouvait évidemment que des mérites à son roi. Je voyais la ressemblance, mais j’ai trouvé la différence : si Saint Louis est resté dans l’Histoire, je ne suis pas sûr que Nicolas Sarkozy y entrera – et son hagiographe pas davantage !
À peine a-t-il été élu Président, l’une des premières mesures de Nicolas Sarkozy a été d’abaisser le bouclier fiscal pour remercier ses amis, les Bolloré, les Lagardère, les Pinault, les Bettencourt. Cette mesure injuste est la marque indélébile qui rappelle au peuple français que l’actuelle majorité ne sert pas l’intérêt du plus grand nombre mais bien celui des privilégiés.
Tout à l’heure, monsieur le ministre, j’ai été impressionné par votre plaidoyer sur le ton de l’évidence. Mais quand on manie l’évidence, c’est souvent qu’on a bien du mal à formuler des arguments. « Mais, ma bonne dame, des riches et des pauvres, il y en a toujours eu, il y en aura toujours, on n’y changera jamais rien… » C’était un peu cela, la tonalité de votre discours. Vous n’avez eu de cesse de défendre corps et âme ce dispositif – surtout depuis que vous êtes ministre, d’ailleurs ! Mais voilà qu’à l’approche de l’élection présidentielle, le locataire de l’Élysée fait désormais mine d’avoir compris ses erreurs et annonce la suppression de ce bouclier pour les riches. Mais personne n’est dupe, et les Français encore moins.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 que vous nous soumettez n’est pas le printemps fiscal que vous avez annoncé et dont nous avons pourtant impérativement besoin. C’est au contraire la continuité de votre politique de classe, pour nommer les choses par leur nom, politique qui conduit à appauvrir le plus grand nombre de nos concitoyens au profit d’un petit nombre de privilégiés.
Certes, Christine Lagarde nous a expliqué que si l’on considérait les agrégats, le pouvoir d’achat moyen des Français avait augmenté. J’ai fait le marché hier à Montreuil, monsieur le ministre, et je vous assure que je n’ai pas vu à l’étal des agrégats comestibles. Je vous imagine faisant vos courses sur le marché de votre bonne ville de Troyes, au milieu de gens modestes, pleins de bon sens. Je vois d’ici leur maire devenant totalement schizophrène et ne ressemblant plus du tout au ministre : il sait qu’on ne peut pas faire prendre aux Troyens des vessies pour des lanternes. Je suis certain que, si vous avez fait votre marché hier entre les laitues, les tomates et peut-être les concombres (Sourires), vous n’avez pas osé dire aux Troyens que leur pouvoir d’achat avait augmenté. Ce n’est donc pas la peine de nous raconter des balivernes en utilisant la langue de bois pour faire croire aux Français des choses que leur expérience du quotidien dément.
En réalité, mes chers collègues de la majorité, vous représentez des intérêts et il faut que vous assumiez ce que vous êtes : ce ne sont pas les intérêts de la nation, mais bien ceux d’une minorit. La preuve en est encore votre réforme de l’ISF, qui impactera les finances publiques de 1,8 milliard d’euros à partir de 2012. Pendant deux ans, Pierre-Alain Muet l’a souligné, les contribuables les plus riches vont bénéficier de la baisse des taux de l’ISF tout en continuant à profiter du bouclier fiscal.
Ce décalage dans le temps va permettre à certains contribuables de diviser par quatre leurs impôts pendant cette période. Au hasard, prenons l’exemple de quelqu’un de bien connu, une mère affectueuse pour sa fille (Sourires) : mamie Liliane qui, grâce au bouclier fiscal, payait 40 millions d’euros d’impôt en 2010 – parfaitement, monsieur Couanau : je sais que vous partagez mon avis. (Sourires.)
M. René Couanau. Mais je n’ai rien dit !
M. Jean-Pierre Brard. Avec le nouveau barème de l’ISF, plus la déduction des 32 millions d’euros au titre du bouclier fiscal, Mamie Liliane ne payera plus que 10 millions d’euros d’impôt en 2011 et 2012. Si vous voulez qu’on vous croie, monsieur le ministre, démontrez-nous que ce n’est pas exact. Là, vous allez être très emprunté…
M. Henri Emmanuelli. Emprunter ? On n’a plus les moyens !
M. Jean-Pierre Brard. …ou alors il vous faudra avoir recours à la science d’un de nos collègues comme Christian Eckert, qui connaît toutes les ficelles de la mathématique pour arriver à monter un raisonnement susceptible de nous convaincre.
M. Christian Eckert. Là, les ficelles sont grosses !
M. Jean-Pierre Brard. Effectivement, et la science y est pour peu de choses : nous sommes plutôt dans le domaine du magasin de farces et attrapes, pour faire croire aux gens modestes qu’ils vont être servis par votre politique.
Comment pouvez-vous justifier une telle mesure qui va ainsi bénéficier à Mme Bettencourt alors qu’il y a à peine un mois, vous nous avez soumis le projet de réforme constitutionnelle imposant le respect de l’équilibre budgétaire ? Si vous étiez cohérent avec vos intentions affichées, vous supprimeriez le bouclier fiscal sans toucher à l’ISF ; mais votre soumission aux nantis et aux possédants vous coupe totalement de la vie quotidienne des Français, dès lors que vous êtes à Paris, et vous interdit d’entendre leur souffrance et leurs fins de mois difficiles.
« Sous un bon gouvernement, la pauvreté est une honte ; sous un mauvais gouvernement, la richesse est aussi une honte. » On jurerait que Confucius pensait à votre politique lorsqu’il a écrit ces mots !
Sous le régime sarkozyste, l’injustice fiscale et l’injustice sociale sont devenues la norme, n’en déplaise à notre collègue Chartier. Les inégalités se creusent, et les services publics, notre bien commun, qui permettaient d’assurer une égalité de traitement, sont soit en cours de privatisation, soit soumis à des suppressions d’effectifs telles qu’ils ne peuvent plus accomplir sereinement leurs missions.
M. Jérôme Chartier. Comme à la mairie de Montreuil !
M. Jean-Pierre Brard. J’attends d’ailleurs le jour où le député Chartier prônera dans votre circonscription, devant ses électeurs, la réduction du nombre d’enseignants et d’infirmières à l’hôpital. Ce jour-là seulement, on pourra croire à la sincérité de ses convictions !
La situation est particulièrement dramatique dans l’éducation nationale, où la politique de non-remplacement d’un départ en retraite sur deux fait des ravages. Alors que le nombre d’élèves augmentera à la rentrée, 16 000 postes seront supprimés.
Votre gouvernement, monsieur le ministre, s’est enfin décidé à revenir sur le bouclier fiscal, mais ce projet de loi de finances rectificative s’inscrit dans la droite ligne des lois de finances précédentes, en accordant toujours plus de cadeaux aux plus riches, en poursuivant le jeu de massacre de nos services publics, autrement appelé RGPP, et en omettant intentionnellement de proposer la moindre mesure concrète favorisant le pouvoir d’achat des couches pauvres ou moyennes de notre société. Je vous suggère de répondre à ces arguments dans votre explication de vote, monsieur Chartier – avec ou sans agrégats !
Pourtant, les moyens d’augmenter les salaires et les retraites existent. Les banques françaises, qui ont versé sans sourciller 2 milliards d’euros de bonus aux traders, ou bien encore les entreprises du CAC 40, qui ont donné 40 milliards d’euros à leurs actionnaires en 2010, nous montrent le chemin des lieux où des sommes d’argent faramineuses s’accumulent.
Les salaires des patrons des entreprises du CAC 40 sont démesurés et injustifiables. La palme de l’indécence revient cette année à Michel Rollier, gérant de Michelin, qui perçoit la coquette somme de 4,5 millions d’euros. Pour récompense des licenciements, des fermetures d’usines et des délocalisations qu’ils ont causés, les principaux patrons français ont reçu une augmentation moyenne de 24 % et émargent à un salaire 200 fois supérieur à celui de leurs employés. Il est vrai que ces augmentations participent à l’évolution moyenne du pouvoir d’achat – voilà où est l’explication ! Pendant ce temps-là, le SMIC horaire n’augmentait que de 14 centimes le 1er janvier 2011 alors que le Gouvernement a toute latitude pour porter son montant à un niveau permettant de vivre décemment.
Dans ma circonscription, nos concitoyens m’interpellent – ils le font aussi certainement chez vous, monsieur le ministre, car les Troyens ne sont pas inhibés : quand ils nous croisent, ils nous parlent des loyers trop chers, des difficultés qu’ils ont à boucler leurs fins de mois, de l’augmentation des prix de l’essence ou des soucis pour payer leur facture de gaz, qui a augmenté de 21 % ces douze derniers mois, et certainement pas de la simplification du régime fiscal des pactes d’actionnaires, dits pactes Dutreil, que vous avez évoquée tout à l’heure et sur laquelle le projet de loi de finances rectificative est pourtant prolixe.
Pourquoi votre gouvernement se désintéresse-t-il des petites gens ? Pourquoi n’abordez-vous pas la question qui intéresse directement nos concitoyens, celle du pouvoir d’achat ? Je vois ma collègue Vasseur murmurer…
Mme Isabelle Vasseur. En effet !
M. Jean-Pierre Brard. Quittez ces messes basses et dites tout haut ce que vous pensez vraiment ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Charles de Courson. Allons, respectez le principe de laïcité !
Mme Isabelle Vasseur. Vous ne pensez pas ce que vous dites, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Au contraire, je le pense car je le vis avec mes concitoyens ! Et je me demande sur quelle planète vous vivez. Il n’y a pas ici que des députés du seizième arrondissement – je n’en vois que deux : Bernard Debré et Claude Goasguen. Vous devez donc bien avoir dans votre circonscription des électeurs normaux, qui tirent le diable par la queue, et j’espère que vous n’avez pas l’aplomb de leur asséner que c’est bien fait pour eux, que c’est, comme dirait une de nos ministres, parce qu’ils n’ont pas assez de talent, et qu’ils n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes !
Vous êtes bien obligée, in petto, de partager le même point de vue que moi,…
Mme Isabelle Vasseur. Certainement pas !
M. Jean-Pierre Brard. …si vous êtes sincère avec vous-même, dans vos moments d’examen de conscience.
En dix ans, le prix de la plaquette de beurre a augmenté de 50 %, celui des steaks hachés de 107 %, celui des spaghettis de 162 % (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes GDR et SRC.– Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.). Quant aux yaourts aromatisés chers aux palais de la famille Riboud, ils dépassent tous les records en ayant bondi de 187 %, alors que sur la même période, l’augmentation du salaire moyen nominal n’a été que de 20 %. Voilà la réalité, ne vous en déplaise ! (Mêmes mouvements.)
Au regard de la situation financière dans laquelle sont plongés un grand nombre de Français, on comprend mieux pourquoi la consommation des ménages chute de 1,8 % en avril, pour le deuxième mois consécutif.
La pression exercée vers le bas sur le montant des salaires, la baisse des pensions de retraite et la casse de notre service public vous sont imputables. « Les pauvres gens ne soupçonnent jamais le diable, quand même il les tiendrait à la gorge », écrivait Goethe.
M. Jérôme Chartier. Vous le connaissez, le diable, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Vos références littéraires sont un peu limitées, mon cher collègue. Je n’ai jamais mis Staline au nombre des grands auteurs ; c’est une différence de plus entre nous !
La nécessité d’une redistribution des richesses créées des plus hauts revenus vers les plus bas se fait chaque jour plus pressante, et les marges de manœuvre permettant d’y parvenir sont nombreuses ; mais votre gouvernement, monsieur le ministre, tel le docteur Faust, a monnayé son âme aux plus fortunés. Vous êtes les affidés des grands actionnaires, des créanciers, des banquiers, des spéculateurs et des nantis, (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC) et bien que vous abrogiez le bouclier fiscal, le PLFR 2011 suinte le clientélisme.
Oui, avec les griffes des privilégiés, vous vous jetez sur les pauvres gens. Le fait que vous les mimiez montre à quel point vous êtes habitué à bien jouer votre rôle, mon cher collègue !
Mme Françoise Branget. C’est un peu gros !
M. Jérôme Chartier. Quelle mesure, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Malheureusement, ce que je décris n’est pas spécifique à la France. La précarité frappe tous les peuples d’Europe : regardez la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande. De la Puerta del Sol à la Bastille, en passant par la rue grecque, des gens de tous horizons se rassemblent pour crier leur mal-être, pour crier leur désarroi de vivre dans une société inégalitaire et individualiste. Ils vous disent qu’une autre politique est possible ; et vous refusez de les entendre.
Il est nécessaire de rompre avec votre système, que, pour une fois avec justesse, le Président de la République a appelé par son nom : le système capitaliste. Pourtant, vous vous obstinez à appliquer les préceptes du libéralisme économique. Ce système, monsieur le ministre, mes chers collègues de l’UMP – « chers » dans tous les sens du terme car, décidément, vos politiques coûtent cher au pays – n’est pas acceptable, tant il est source d’instabilité et de déséquilibre. De la crise économique que nous vivons, vous n’avez tiré aucune leçon. Les banques ont été sauvées, sans contrepartie, alors que les responsables de ce désastre, ce sont elles !
M. François de Rugy. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Brard. Aujourd’hui, elles spéculent sur les dettes souveraines des États membres de l’Union européenne au détriment des peuples.
En Grèce, le FMI a imposé, à la demande de l’Europe, un plan dit d’aide parfaitement inhumain. Rendez-vous compte, mes chers collègues, ce pays est tellement à genoux qu’il n’aurait d’autre choix, si les préconisations de l’Union étaient suivies, que de vendre ses ports et ses îles. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter !
Avec quelques collègues, nous étions en Grèce il y a deux semaines.
M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Quelle chance !
M. Jean-Pierre Brard. Nos homologues grecs nous ont fait part de leurs craintes concernant le nouveau plan d’aide, qui s’annonce dramatique.
Oui, monsieur le rapporteur général, quelle chance de voir de près les méfaits de la politique à laquelle vous avez participé !
Que voulez-vous de plus des Grecs ? Qu’ils mettent en vente le Parthénon sur internet ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ils l’ont déjà fait avec lord Elgin !
M. Jean-Pierre Brard. Non, les Britanniques se sont servis.
M. Charles de Courson. Comme les Français et les Allemands !
M. Jean-Pierre Brard. Comme les Français dans une moindre mesure. Quant aux Allemands, ils ont oublié de leur payer leurs dettes de guerre, qui représentent quelque cent milliards d’euros, alors qu’ils viennent de verser à la France les derniers intérêts de la dette de 14-18.
M. Michel Piron. Et Phidias, dans tout ça ?
M. Jean-Pierre Brard. Les Allemands ont l’audace, l’arrogance de dire que la guerre, c’est une vieille histoire, alors que 30 % des Grecs ont été massacrés et le pays ravagé.
Monsieur Piron, l’histoire est ce qu’elle est…
M. Michel Piron. Mais le Parthénon, c’est Phidias !
M. Jean-Pierre Brard. Revenons plutôt à ce que je disais. Les dettes de sang, les dettes de guerre sont sacrées, et l’on ne peut faire la leçon aux Grecs en oubliant non seulement les dettes de guerre qui ne leur ont pas été payées, mais aussi ce que nous devons à la Grèce qui a tant apporté à notre civilisation.
M. Michel Piron. C’est pourquoi je cite Phidias !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Piron, je sais que vous aimez la Grèce, mais vous êtes un amoureux platonique,…
M. Michel Piron. Ce n’est pas rien, Platon !
M. Jean-Pierre Brard. …tandis que moi, je propose que nous passions aux actes. C’est une grande différence entre vous et moi !
M. Michel Piron. Ça c’est stoïcien. C’est Épictète !
M. Jean-Pierre Brard. Platon, avec votre système, vous le mettriez en vente aux enchères (Rires), et je suis sûr que vous vous arrangeriez pour en tirer un bon prix, dès lors que ce sont les Grecs qui seraient obligés de payer !
M. François de Rugy. On s’éloigne du PLFR !
M. Jean-Pierre Brard. Arrêtons-nous quelques instants, monsieur le ministre, sur un cercle vicieux qui se joue actuellement. : les agences de notation, que personne ne contrôle, ont baissé arbitrairement les notes de solvabilité de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Sur quels critères ? On peut se le demander ! Cela provoque la hausse des taux d’intérêt rendant impossible tout remboursement par les États. Les banques, aujourd’hui, refusent de prêter à la Grèce à un taux inférieur à 15 %. C’est une honte !
Il est urgent de créer une agence publique de notation européenne, avant que l’Espagne, l’Italie et la France ne soient touchées par l’action des banques et des spéculateurs.
Sur ce sujet, il a beaucoup été question de restructuration de la dette. Or, comme le disent certains de nos partenaires, ce n’est pas la dette grecque qu’il faut restructurer, mais toute la dette souveraine en Europe. Peut-être faudrait-il même écouter certaines réflexions, formulées notamment à la commission des finances…
M. Christian Ménard. On croirait entendre Nana Mouskouri ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Pierre Brard. Cher collègue, je n’ai jamais entendu Nana Mouskouri parler de restructuration de la dette. Vous, en revanche, gagneriez à mieux maîtriser les concepts de l’économie politique pour mieux participer au débat au lieu de chercher à le faire dériver vers le show-biz ! Revenons à notre sujet…
M. Michel Piron. Oui, revenons à nos métopes… et à nos triglyphes !
M. Jean-Pierre Brard. Votre gouvernement, monsieur le ministre, n’est pas capable de prendre les mesures qui s’imposent, car cela irait à l’encontre de l’intérêt de ceux qui sont vos maîtres idéologiques, les banquiers et les spéculateurs. Nous, nous proposons des mesures concrètes qui permettent d’instaurer une meilleure répartition des richesses. Lisez nos propositions de loi ! Lisez le manifeste des économistes atterrés que je vous ai récemment offert !
M. Charles de Courson. Le manifeste du parti communiste ?
M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas un livre très épais ; je vous ai privilégié par rapport à Mme Lagarde, à qui j’ai offert le livre II du Capital, dont je reconnais que la lecture est longue et difficile.
M. Dominique Baert. Vous l’avez convaincue d’avance !
M. Charles de Courson. C’est le livre IV qui est intéressant !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur de Courson, ne faites pas le savant quand vous parlez du Capital,…
M. Charles de Courson. Je l’ai lu !
M. Jean-Pierre Brard. …parce que vous, comme disait la Fontaine, c’est intérêt et principal !
Monsieur le ministre, partout en Europe, des revendications s’élèvent. Ce serait une erreur historique de ne pas les prendre en compte, et, pourtant, votre aveuglement idéologique vous empêche d’appréhender les mesures de justice sociale et fiscale qui s’imposent.
Comme le formulait Victor Hugo dans Quatre-vingt-treize, « vous voulez les misérables secourus, tandis que nous voulons la misère supprimée ». Ce clivage idéologique traverse notre hémicycle depuis la première Constituante et fait de vous, mes chers collègues de droite, les forces du conservatisme, alors que nous sommes les artisans du progrès écologique et social.
Par divers artifices constitutionnels, légaux ou réglementaires, vous tentez de vider cette assemblée de tout débat et cherchez à entraver son action.
Le projet de loi constitutionnelle sur l’équilibre des finances publiques, le pacte « euro plus » ou le traité de Lisbonne, que vous avez fait adopter en vous affranchissant de la décision souveraine du peuple français, sont des exemples de carcans ultralibéraux destinés à comprimer toute velléité d’une autre politique. Pourtant, ces revendications de justice sociale et fiscale résistent, nous en sommes les porte-voix, et leur mise en œuvre ne relève pas d’une utopie, mais d’un choix de société.
« L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie. » De qui est cette phrase, monsieur Piron ? De Wolfgang Goethe.
M. Michel Piron. Ce n’est pas rien !
M. Jean-Pierre Brard. Je suis heureux de vous l’entendre dire…
M. Michel Piron. Sans problème !
M. Jean-Pierre Brard. …mais il ne suffit pas de vous mettre à genoux devant Goethe, il s’agit de vous inspirer de sa pensée pour essayer de la mettre en œuvre car, plus de deux siècles après, elle est toujours d’actualité.
Il est important de réaffirmer qu’il est économiquement possible, en revenant sur les exonérations fiscales des entreprises, en rendant plus juste et plus progressif le barème d’imposition sur les hauts revenus, en supprimant les niches fiscales et en taxant les revenus financiers des entreprises, de développer un outil industriel français pourvoyeur d’emplois, d’augmenter le SMIC à 1 600 euros,…
M. Michel Piron. Ce n’est plus du Goethe, ça !
M. le président. Monsieur Piron, s’il vous plaît ! M. Brard n’a plus que cinq minutes pour développer ses thèses !
M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas du Goethe, monsieur Piron, mais lui avait compris le sens de la Révolution française.
M. Yves Vandewalle. C’est déjà beaucoup !
M. Jean-Pierre Brard. Rappelez-vous ses propos à Valmy. Si vous vous en rappelez, vous saisirez que Goethe, lui, avait compris ce que vous ne comprenez pas !
M. Henri Emmanuelli. À Valmy, il aurait été dans les rangs des royalistes !
M. Jean-Pierre Brard. Face à vos politiques partisanes, desservant l’intérêt du pays au profit d’intérêts catégoriels, les députés du Front de gauche opposent une haute idée de la justice fiscale et de la justice sociale. C’est le sens des amendements que nous avons déposés et que nous défendrons. Goethe – encore lui – a écrit que « les idées audacieuses sont comme les pièces qu’on déplace sur un échiquier : on risque de les perdre, mais elles peuvent aussi être une stratégie gagnante ».
Nous sommes porteurs de cette stratégie gagnante pour le pays lorsque nous proposons de plafonner les salaires dans un rapport d’une à vingt fois le SMIC, lorsque nous soumettons un nouveau barème, plus progressif, de l’impôt sur le revenu, lorsque nous portons l’interdiction des licenciements boursiers, lorsque nous dénonçons les niches fiscales de l’ISF, lorsque nous inventons une modulation du taux d’imposition des sociétés en fonction de la qualité de leur politique d’emploi, lorsque nous défendons une taxation sur la spéculation boursière ou bien encore lorsque nous demandons la création d’un pôle public du médicament pour éviter qu’une affaire honteuse comme celle du Mediator ne se reproduise.
En conclusion, mes chers collègues, je dirai que deux visions ici s’affrontent.
Il y a celle du groupe auquel j’appartiens, qui fait des propositions, quotidiennement. Nous vous démontrons – et nous avons du mérite car nous nous adressons à des gens dont le sonotone est rarement branché (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR) – qu’une autre politique est possible, qu’une autre politique est nécessaire.
De l’autre, nous avons la majorité actuelle, avec son projet de loi de finances rectificative, totalement coupée des réalités des Français et qui mène depuis 2002 une politique clientéliste et donc forcément inégalitaire.
Nicolas Sarkozy a menti aux Français lorsqu’il leur a promis – rappelez-vous, vous ne pouvez pas être amnésiques à ce point ! – qu’il serait le « Président du pouvoir d’achat ».
Mais, en réalité, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot le rappellent, il s’est illustré comme le président des riches. La vie n’a jamais été aussi dure pour nos concitoyens depuis l’après-guerre. Le Président a promis une république irréprochable. La vérité est que le quinquennat n’a été qu’une suite d’affaires révélant la collusion de nos dirigeants avec les milieux d’argent.
M. Yves Censi. Oh !
M. Jean-Pierre Brard. Je ne citerai que les plus récentes : l’affaire Bettencourt et l’affaire Tapie. Enfin, Sa Majesté s’est présentée en 2007 comme garante des principes républicains… Incontestablement, aucun président de la Ve République n’a à ce point violé la Constitution, en particulier son article 5, en prétendant diriger le Gouvernement à la place du Premier ministre, le principe de laïcité et celui de la séparation des pouvoirs, en s’arrogeant, par exemple, le droit de nommer des présidents de chaîne de télévision.
M. Patrice Verchère. Pensez-vous qu’on n’avait jamais vu ça avant ?
M. Jean-Pierre Brard. Mon cher collègue, qui a fait modifier la Constitution pour que le Président de la République ait le droit de nommer les présidents de chaîne, mais aussi de les renvoyer dans leurs foyers dès lors qu’ils indisposent les humeurs de Sa Majesté ? Ne vous rappelez-vous pas, avant même la modification constitutionnelle, dans quelles conditions le président de radio France a été renvoyé, c’est-à-dire d’une façon arbitraire ? On appelait cela autrefois les lettres de cachet. Le Président de la République actuelle – d’une façon plus moderne, il faut en convenir – a rétabli cette pratique.
M. Michel Bouvard. Les cachets et l’audiovisuel, cela va ensemble… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Vous l’aurez donc compris, mes chers collègues, ce projet de loi de finances n’est pas à la hauteur de ce qu’attendent les Français. Même si le Gouvernement se décide enfin à abroger le bouclier fiscal, nous n’oublions pas qu’il prend d’un côté – même pas 600 millions d’euros – pour, sous la table, rendre trois fois plus. Vous essayez, avec vos fariboles, de faire croire aux Français qu’enfin on s’oriente vers plus de justice fiscale. Pendant tout le débat, je vais démontrer, avec tous mes collègues de gauche,…
M. Dominique Baert. On va les harceler !
M. Jean-Pierre Brard. …que ce projet de loi de finances rectificative va vous permettre de donner encore plus à ceux qui sont déjà largement étoffés et qui utilisent leur argent pour spéculer contre l’intérêt national. Votre gouvernement persiste dans sa politique de classe destinée à servir l’avant-garde argentée de la grande bourgeoisie, au détriment de toutes les autres couches de la société, y compris les couches moyennes.
Pour faire plaisir à Michel Piron, vous me permettrez de terminer par une citation d’Aristote : « Une seule hirondelle ne fait pas le printemps, un seul acte moral ne fait pas la vertu. » C’est pourquoi je vous demande de prendre vos responsabilités et de voter notre motion de renvoi en commission. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Michel Piron. Ce n’est pas la conclusion d’Aristote, ça !
M. Richard Mallié. Il croit au Père Noël !
M. le président. Mes chers collègues, M. Brard a fini. Veuillez ne pas l’inciter à prolonger son intervention.
M. Jean-Pierre Brard. Aristote ne croyait pas au Père Noël, monsieur Mallié, mais reconnaissez que sa sagesse a franchi les millénaires, alors que certains d’entre vous y croient, mais d’une façon éphémère : vous savez bien que les électeurs sont sages et qu’ils renverront la majorité de l’UMP dans ses foyers – au moins pour qu’elle étudie les raisons de son échec pendant tout un mandat.
M. Michel Bouvard. À moins que l’éphémère ne s’applique à vos prévisions !
M. Michel Piron. Essayez de rester aristotélicien, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Rendez-vous à la sagesse d’Aristote, mes chers collègues, et votez notre motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Imprimer cet article

Jean-Pierre
Brard

Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Finances

A la Une

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques