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Société : immigration, intégration et nationalité

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis tout d’abord obligé de dénoncer les conditions dans lesquelles se sont déroulés les débats sur un texte aussi important, qui décide de la vie de tant de personnes vivant dans ce pays et qui a aussi des conséquences majeures sur l’ensemble de notre société. Le temps de parole n’était pas assez important pour un texte long de près de 107 articles, et l’opposition a été obligée de se taire à partir de l’article 49.
Est-ce ainsi que peut s’exercer la démocratie, quand la moitié des articles est expédiée par une poignée de députés, sans l’opposition, en à peine deux heures ? « Très bien ! », ai-je entendu ; voilà qui répondait par avance à ma question.
Sur le fond, au prétexte d’une mise en conformité avec trois directives européennes, ce texte soumet les étrangers et les migrants à des régimes d’exception permanents. Il renonce, ce qui est tout aussi grave, au principe d’égalité des êtres humains, inscrit dans la Constitution et dans tous les textes internationaux qui se sont efforcés d’interdire le racisme d’État : durée de rétention allongée ; droit d’asile remis en question ; instauration d’une interdiction de retour sur le territoire français ; réduction du temps d’intervention du juge, qui remet en cause le droit de se défendre ; nouveaux obstacles érigés pour que le juge ne puisse plus mettre fin à la rétention en zone d’attente ; bracelet électronique pour les parents d’enfants mineurs ; mesures d’éloignement pour les étrangers autorisés à un séjour de moins de trois mois au prétexte qu’ils « représentent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » ; modification des conditions de délivrance d’un titre de séjour à un étranger malade, ce qui remet en cause son droit aux soins ; adoption de sanctions pénales frappant les mariages estimés « gris » ; adoption de mesures illusoires à l’encontre des jeunes majeurs. N’oublions pas non plus le délit de solidarité.
Ce projet contient en lui les pourtours de la société que le Gouvernement veut nous imposer, d’où le débat sur la question de la civilisation ou sur la définition de l’intégration, qui renvoie au débat sur l’identité nationale, que vous avez voulu imposer mais qui a avorté. Méfions-nous de ces débats, car, ainsi que le précise le philosophe Adorno, « c’est l’insatiable principe d’identité qui éternise l’antagonisme en opprimant ce qui est contradictoire. Ce qui ne tolère rien qui ne soit pareil à lui-même contrecarre une réconciliation pour laquelle il se prend faussement. La violence du rendre-semblable reproduit la contradiction qu’elle élimine. »
Nous ne sommes pas dupes, et nos concitoyens non plus. Faute de pouvoir régler les problèmes auxquels notre pays est confronté, ceux pour lesquels, même si cela vous dérange, des millions manifestent aujourd’hui – emploi, logement, sécurité, éducation, santé –, vous préparez une société repliée sur elle-même, fondée sur la peur de ce qui est autre, une société aseptisée refusant de s’inscrire dans le monde qui vient, une société de classes où il n’y a plus de place pour les précaires et les plus pauvres, une société fermée à la rencontre et à l’échange des cultures. C’est un projet en rupture avec l’esprit de la Constitution et en rupture avec le pacte républicain, puisque ce gouvernement s’autorise à trier et à discriminer.
Il est urgent de refuser l’exclusion, la marginalisation et la guerre faite aux gens et de continuer à éveiller les consciences pour ne pas nous perdre en inhumanité. Il est urgent d’arrêter de légiférer pour fabriquer de nouveaux sans-papiers, car, ne l’oublions pas, beaucoup d’entre eux sont sans papiers à cause de nos lois successives.
Une autre politique de l’immigration est possible, en commençant par régulariser les travailleurs sans papiers qui occupent la Cité de l’immigration, puisque, jusqu’à présent, les engagements pris n’ont toujours pas été tenus, ensuite en signant et ratifiant la convention internationale sur les droits des migrants et de leur famille et, par-dessus tout, en la respectant.
Pour toutes ces raisons, c’est avec force et détermination que nous nous opposons à ce projet dangereux et mortifère. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Patrick
Braouezec

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