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Justice : modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous l’avons dit la semaine dernière, nous pensons que ces deux textes empruntent une voie dangereuse pour l’avenir des professions judiciaires et juridiques, notamment celui des officiers publics et ministériels investis d’une mission de service public. Leurs dispositions menacent en effet la pérennité de notre tradition juridique continentale, tradition dont nous avons pourtant de solides raisons d’être fiers. Ce projet et cette proposition de loi sont annonciateurs du pire pour les justiciables.
Ces textes confirment la volonté du Gouvernement d’inscrire ses réformes juridiques dans une nouvelle ère : celle d’une hyperconcurrencialisation des professionnels sur le « marché du droit », à l’image du système anglo-saxon. Madame la garde des sceaux, vous avez d’ailleurs été très claire dans la discussion : les cabinets anglo-saxons prennent aujourd’hui des parts de marché, vous voulez donc que nous soyons efficaces et concurrentiels. En somme, ce qui vous intéresse, c’est « la force de la France, son rayonnement et sa puissance économique », bien davantage que l’intérêt des justiciables. Mais croyez-vous que la France, dont le droit est envié et copié par la plupart des pays, notamment grâce à son fameux code Napoléon, continuera de rayonner si ce droit se réduit demain à un simple marché concurrentiel ?
Vous nous dites que les valeurs de notre droit doivent s’adapter au marché ; nous pensons, au contraire, que le marché doit s’adapter aux valeurs de notre droit. C’est là le cœur de notre désaccord, et c’est précisément pour cette raison que, selon vous, nous serions des réactionnaires. Si vouloir le mieux pour les justiciables constitue pour vous, l’empreinte du réactionnaire, alors oui, nous le sommes ! Si défendre un service public du droit est une posture réactionnaire, alors oui, nous le sommes ! Si promouvoir la concurrence entre les professions judiciaires pour satisfaire le monde de la finance est signe de modernité, alors nous revendiquons d’être résolument attachés au passé, celui des valeurs du siècle des Lumières. En réalité, pour nous, le souci du justiciable, la défense du service public, et l’exercice serein des missions dévolues aux professions juridiques et judiciaires relèvent d’un combat résolument moderne, surtout par les temps qui courent.
Je ne peux vous croire quand vous nous dîtes que vous voulez changer les piliers intangibles qui témoignent de notre exception démocratique depuis 1804 au seul prétexte qu’ils datent de 1804. Jamais vous ne remettrez en cause la Déclaration des droits de l’homme parce qu’elle date de 1789 !
Ne reprochons pas aux précurseurs d’avoir été en avance sur leur temps et d’être devenus, pour ces raisons mêmes, des modèles enviés partout dans le monde ! Remettons plutôt en cause ceux qui veulent nous faire revenir en arrière en se cachant derrière l’argument fallacieux de la modernité !
Seriez-vous de celles et ceux qui sont persuadés que modernité est synonyme de progrès ? Je vous ferai grâce de la théorie qu’expose Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur les sciences et les arts, mais je ne peux m’empêcher de rappeler l’antagonisme qu’il établit par extension entre une certaine conception du progrès et la vertu.
Pour appeler tous nos collègues au bon sens, je citerai, une fois n’est pas coutume, la maire de Lille, Martine Aubry, lors du 105e congrès des notaires. Elle s’adressait à eux en ces termes : « Vous êtes peut-être à un carrefour de votre longue histoire. Certains semblent avoir la tentation, sous prétexte d’une modernité dont on peut discuter le bien-fondé, de mettre un terme à cette belle histoire. [...] Pour évoluer, pour se moderniser et s’adapter à son temps, il n’est pas nécessaire de renverser la table et de rompre les subtils équilibres forgés au cours des siècles ». Nous partageons ce point de vue.
Vous semblez, madame la garde des sceaux, et je vous crois sincère, ne pas comprendre nos inquiétudes. Pourtant, elles sont légitimes pour qui comprend que la confiance ne s’accorde qu’à la probité. Dès lors, devient « suspectable » toute personne qui ne respecte pas les incompatibilités entre la fonction étatique et le monde de la finance. Vous proposez de transformer des officiers publics investis d’une délégation de puissance publique en marchands du droit, dépendants du monde de la finance ; pour nous, c’est inconcevable. Les notaires sont des arbitres et, à ce titre, vous ne pouvez leur demander de s’inscrire dans une logique compétitive.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe GDR votera contre ces deux textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 

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Michel
Vaxès

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