Interventions

Explications de vote et scrutins

Assemblée nationale : modification du Règlement de l’Assemblée nationale

Je me serais volontiers passé du douloureux honneur de vous livrer la dernière explication de vote relevant de feu notre actuel règlement. Nous voici en effet parvenus à l’issue de la réforme qui va conditionner notre travail parlementaire durant les deux ans et demi qui nous séparent de la fin de la mandature. Comme hier, je fais ici le vœu que, au terme de ce délai, le sort des urnes nous permette de réviser à nouveau ce règlement, puisque la réforme que vous vous apprêtez à voter dénature le travail parlementaire et la fonction de député de la République.
Pour justifier la réforme constitutionnelle et celle qui nous occupe aujourd’hui, vous n’avez cessé de vous abriter derrière l’argument fallacieux de l’augmentation des droits de l’opposition. Grands princes, vous entérinez ce qui était jusqu’alors une pratique de fait : la présidence de la commission des finances par un député de l’opposition. Vos largesses vont même jusqu’à attribuer la moitié des questions au Gouvernement aux députés membres d’un groupe d’opposition. Fort bien.
Mais, là où nos points de vue divergent, c’est sur la nature de la fonction parlementaire. En effet, celle-ci est double : si notre assemblée est évidemment une institution de contrôle du pouvoir exécutif, elle a aussi pour mission de fabriquer la loi. Et ce n’est qu’à la condition expresse du respect plein et entier de cette fonction-là que la séparation des pouvoirs restera une réalité et non un beau principe hérité de nos illustres prédécesseurs.
Nous croyons que la démocratie se définit par l’existence d’expressions politiques diverses, et c’est au nom du respect de ce pluralisme que nous avons déposé une série d’amendements. Nous avons défendu la voix des partis minoritaires, qu’ils soient dans l’opposition ou dans la majorité, en proposant la représentation de tous les groupes politiques dans les instances de l’Assemblée nationale. Nous avons défendu au nom de ce même principe la possible constitution d’un groupe politique à partir de quinze membres ; grâce aux débats qui ont pu se tenir, notre proposition a été retenue et nous nous en félicitons.
Nous avons défendu la liberté de parole de tous les députés qui, en ces temps de censure et de répression, se trouve menacée. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Dans notre hémicycle, cette dérive a pris la forme du « temps de parole programmé » : en réduisant de manière systématique à la fois le temps de parole et le nombre d’orateurs, la commission a porté atteinte au droit d’expression des élus du peuple, ce que même le Sénat, censé incarner la pondération, s’est refusé à faire. En réduisant les délais entre le dépôt et l’examen des textes de loi, la commission s’est aussi attaquée à la capacité de réaction des députés, en particulier de ceux appartenant aux oppositions. Elle a voulu renforcer le bipartisme de notre Assemblée.
Au bout du compte, il en va de la qualité de nos débats en commission comme en séance publique. Perdant leur portée universelle, ils se réduiront à des querelles de spécialistes, voire de techniciens, ce que nous n’avons pas à être.
Et nous ne sommes pas dupes, monsieur le président, malgré tous les efforts que vous avez pu faire – et, à notre tour, nous vous en remercions –, tout ceci vise à précipiter le débat parlementaire pour que la contestation citoyenne ne puisse émerger. On l’a vu dernièrement avec la loi HADOPI ou celle sur l’hôpital et, avant celles-ci, avec la loi sur le CPE : quand on permet au débat d’éclore, le risque de contestation existe, ce que vous ne pouvez tolérer. Pourtant, nous sommes là pour éclairer l’opinion et la relayer ; nous sommes là aussi pour que l’opinion publique puisse s’approprier des débats sur des lois qui vont façonner ses pratiques quotidiennes.
S’il est vrai que prendre le temps du débat revient à accepter le risque de la contradiction, cela signifie également légiférer moins mais mieux, perspective qui ne saurait évidemment satisfaire un exécutif en quête de chiffres et de lois chocs. Mais nous refusons la conception que vous vous faites du travail parlementaire au nom d’une gestion « efficace » et « rentable » de la politique.
La modification d’un règlement n’a de sens que si elle améliore le fonctionnement du corps qu’elle régit. Messieurs les députés de la majorité, nous aurions pu réformer le règlement dans un sens qui favorise le débat et la recherche du consensus. Malgré tous nos efforts, hier encore en fin d’après-midi, à propos des deux articles-clefs que sont les articles 26 et 31, ce n’est pas le choix que vous avez fait. C’est pourquoi le groupe de la gauche démocrate et républicaine votera contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
 

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Patrick
Braouezec

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