Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Débat sur le thème : « Le sans-abrisme, réceptacle des échecs des politiques publiques ? »

QUESTION

Je vous remercie pour votre intervention sur ce sujet ô combien important. Alors que le plan Grand froid a été déclenché en Île-de-France la semaine dernière, je me suis rendue dans un gymnase de ma circonscription à La Courneuve pour rencontrer ces hommes et ces femmes qui dorment dans la rue. J’ai également salué les services municipaux qui ont permis cet accueil, ainsi que les bénévoles dont l’engagement est sans faille.

Le manque de places d’hébergement d’urgence est particulièrement critique en Seine-Saint-Denis. La situation est telle qu’il n’est plus rare que des femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ne trouvent pas de place. À Saint-Denis, la maternité Angélique du Coudray de l’hôpital Delafontaine accueille des dizaines de patientes qui n’ont nulle part où dormir. Depuis juillet 2023, le centre hospitalier réserve une vingtaine de lits à ces patientes particulièrement vulnérables qui ont besoin d’une prise en charge spécifique et d’un lieu d’accueil où se sentir protégées avec leur nouveau-né. Par exemple, l’une d’elles a passé quatre-vingt-quinze jours à l’hôpital Delafontaine avant qu’une solution d’hébergement ne lui soit proposée – et encore, dans un gymnase.

Il n’est pas normal que les services de l’hôpital aient à se substituer aux missions de l’hébergement d’urgence. Il est terrible que dans notre pays, des femmes soient contraintes de vivre leur grossesse dans la rue quand on sait les violences qu’elles y subissent. Cette situation est incompréhensible au regard du nombre de logements vacants. C’est pourquoi je pense qu’il serait pertinent – comme le demande Ian Brossat à Paris – d’autoriser les communes, sous certaines conditions, à réquisitionner ces logements plutôt que d’accepter de telles situations. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous des chiffres ?

M. le président

La parole est à M. Manuel Domergue. Directeur des études de la fondation Abbé Pierre

M. Manuel Domergue

La situation des femmes enceintes ou avec des nouveau-nés nous inquiète depuis des années, notamment en Seine-Saint-Denis où se situe l’hôpital Delafontaine. Des places dédiées à ces personnes ont été ouvertes mais en nombre très insuffisant. Je ne dispose pas de chiffres à l’échelle nationale quant au nombre de femmes qui se retrouvent dans ce cas, car le suivi en est difficile.

Comme chaque année, le plan Grand froid a été déclenché, ce qui est heureux, mais il est regrettable que nous en soyons encore à dépendre d’une politique du thermomètre malgré toutes les promesses d’en sortir. Tant mieux si l’on peut ouvrir en catastrophe des gymnases et d’autres locaux mais il est désespérant d’attendre que les températures descendent sous zéro ! On parle beaucoup des personnes qui meurent de froid dans la rue car c’est extrêmement choquant. Cependant, le collectif Les morts de la rue l’a rappelé, environ 700 personnes meurent chaque année de la rue, et en toute saison. Le froid ajoute une difficulté supplémentaire, il n’est pas le facteur le plus grave.

Il est choquant de dénombrer trois millions de logements vacants, sans parler d’autres locaux vacants, alors que le manque de logements est criant. À la fondation Abbé Pierre, nous sommes favorables aux réquisitions qui peuvent constituer des solutions rapides. Cependant, il ne faut pas en faire l’alpha et l’oméga d’une politique du logement et de résorption du sans-abrisme, car la réquisition des logements est juridiquement complexe et suppose leur identification. Il faut financer, le cas échéant, des remises en état et se préparer à faire face à des contentieux. Enfin, ces solutions ne sont que provisoires : les réquisitions sont temporaires, ce ne sont pas des expropriations.

Même entre 2012 et 2014, où la volonté de procéder à des réquisitions était bien réelle, il a été très difficile d’en obtenir. En menant une politique au long cours, qui nous permettrait en particulier de mieux identifier les locaux, nous aurions peut-être davantage de chance de réussir, mais cette mesure resterait, quoi qu’il en soit, l’ultime recours. Avant de se résoudre à déclencher cette sorte d’arme atomique contre les propriétaires qui se refuseraient à mettre à disposition leur logement ou à le vendre, il faut augmenter la taxe sur les logements vacants, faciliter la mise à disposition aux associations de logements en intermédiation locative et renforcer la communication pour convaincre les propriétaires. Ce n’est qu’au cas où ceux-ci s’obstineraient dans leur refus que nous pourrions réquisitionner leur logement. N’oublions pas non plus les immeubles entiers de bureaux vides, plus faciles à repérer et à mobiliser.

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