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Transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et évolution du dialogue social (CMP)

En juillet dernier, lors de l’examen de ce projet de loi, nous avions exprimé un certain désarroi. Désarroi, d’abord, quant à la forme de ce texte et à ses conditions d’examen. Ce projet de loi transpose non pas un, mais trois accords nationaux interprofessionnels et deux compromis paritaires relatifs à l’assurance chômage. Il aurait été opportun de permettre des votes distincts sur chacun des sujets traités, en particulier sur l’ANI relatif aux transitions professionnelles, qui prévoit de nouvelles mobilisations du compte personnel de formation fort contestables. Cet accord a été intégré au texte par voie d’amendements du gouvernement en séance : cette procédure n’a pas favorisé un débat de fond sur un sujet pourtant essentiel de la vie professionnelle.
Désarroi, ensuite, sur le fond du texte. Une fois n’est pas coutume, je reprendrai à mon compte une expression utilisée par le gouvernement en décembre 2023. Invitant les organisations patronales et syndicales autour d’un « Pacte de la vie au travail », il disait que négocier sur l’emploi des travailleurs expérimentés était « à contretemps ». Cela l’est encore davantage après une réforme des retraites absolument régressive pour tous les travailleurs, et particulièrement pour les plus âgés d’entre eux.
Les travailleurs dits expérimentés sont en effet les grandes victimes de la réforme des retraites de 2023. Depuis qu’en 2010, l’âge de départ à la retraite a été repoussé de 60 à 62 ans, nous savons bien –⁠ la Cour des comptes l’a confirmé – qu’une telle mesure a notamment pour conséquence d’allonger la période entre la fin de la carrière professionnelle et le début de la retraite. En moyenne, entre 55 et 61 ans, 21 % des travailleurs –⁠ surtout des ouvriers et des employés – ne sont ni en emploi ni à la retraite. La dernière étude de l’Unedic montre combien les entreprises demeurent rétives à garder ou à embaucher des salariés expérimentés. S’y ajoutent des conditions de travail toujours plus difficiles, accentuées par les reculs successifs en matière de prévention et de santé au travail. En réalité, la précarisation des travailleurs expérimentés –⁠ comme de tous les travailleurs – relève de causes structurelles qui ne sont pas traitées dans ce projet de loi.
Pire, les quelques avancées obtenues en juillet dans cet hémicycle pour tenter de traiter ces causes structurelles ont été supprimées à l’issue de la CMP : la santé au travail et la prévention des risques professionnels ainsi que l’organisation du travail et les conditions de travail sont devenues des thèmes facultatifs de la négociation de branche sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés alors que l’Assemblée en avait fait des thèmes obligatoires.
De la même manière, le Sénat a rendu facultative la possibilité de mobiliser le Fipu dans le cadre de la négociation d’entreprise.
Dans un pays qui détient le triste record de compter près de trois morts au travail par jour en moyenne et qui a institutionnalisé la sous-évaluation chronique des accidents du travail et des maladies professionnelles, il est déplorable de faire de la prévention de l’usure professionnelle un sujet facultatif. Exclure les licenciements pour inaptitude du bonus-malus de l’assurance chômage envoie également un mauvais signal aux entreprises et aux secteurs concernés en les déresponsabilisant davantage quant aux conditions de travail.
Nous maintenons nos réserves sur le contrat de valorisation de l’expérience, défendu par la droite sénatoriale lors du débat sur les retraites en 2023 avant d’être repris par le patronat. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une nouvelle dérogation au CDI –⁠ qui est la norme en droit du travail. Ce contrat brade les compétences de ceux qui sont reconnus comme « expérimentés » au profit d’une nouvelle niche d’exonération de cotisations sociales, évaluée à 123 millions d’euros par an. Cette disposition est une véritable provocation alors que notre collègue communiste Fabien Gay vient de dénoncer le scandale des 211 milliards d’euros d’aides publiques accordées aux entreprises sans contrepartie et que ce gouvernement prévoit un gel des pensions et des prestations sociales pour l’année à venir.
En conclusion, ce projet de loi vient effectivement à contretemps et en décalage avec les réalités de discrimination, de pénibilité, de blocage des salaires et des évolutions de carrière que connaissent tous les travailleurs et pas seulement ceux dits expérimentés. Pour toutes ces raisons, les députés communistes et des territoires dits d’outre-mer s’abstiendront.

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Yannick
Monnet

Député de l' Allier (1ère circonscription)
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