C’est une opération « pousse mousse ». La mousse vise à faire croire que le Gouvernement est favorable au partage ; pas n’importe quel partage, le partage de la valeur, presque le partage des richesses, un dispositif complètement disruptif – rien à voir avec la réforme des retraites. La mousse vise à nous faire croire que les relations sociales dans le pays ont atteint le nirvana, après la signature d’un accord qu’il nous est demandé d’inscrire dans la loi.
Même si, moi aussi, j’aime beaucoup la fiction, vous aurez du mal à nous embarquer dans un tel délire, car l’histoire que le Président et ses amis continuent d’écrire, jour après jour, est celle où l’abondance est réservée à quelques-uns, celle des inégalités, des bas salaires, des lendemains incertains, des comptes de la sécurité sociale asséchés et des retraites rabotées. Tout a été fait pour organiser à chaque occasion le contournement du salaire, et même sa relégation au second plan.
Nous contestons la feuille de route que vous avez imposée, dont résulte le présent accord, qui ne fait pas l’unanimité. Quand parlerons-nous du salaire ? Il faut se battre pour vous arracher la retranscription du principe, pourtant inscrit dans l’accord, selon lequel les primes prévues « complètent la rémunération salariale et ne s’y substituent pas ». C’est pourtant déjà le cas à hauteur de 30 % et le phénomène risque de s’amplifier. Nous vivons chaque jour un peu plus sous l’empire du profit. Entre 2011 et 2021, selon les derniers rapports d’Oxfam, la part dédiée à la rémunération du travail dans la valeur ajoutée a chuté de dix points dans les cent plus grandes entreprises françaises cotées. Celles-ci ont versé à leurs actionnaires en moyenne 71 % des bénéfices réalisés chaque année. La rémunération de leurs PDG a augmenté de 66 % tandis que celle des salariés n’a crû que de 21 % et le Smic, de 14 %.
Les politiques conduites par le Président, ses gouvernements et ses majorités, ont accompagné, accrédité, accéléré ce mouvement : toujours plus pour les grands possédants, les dominants, au détriment de celles et ceux qui n’ont pour vivre que leur force de travail, alors même que c’est leur travail qui crée les richesses.
Le partage de la valeur commence par le salaire, il réside même essentiellement dans le salaire. Le salaire installe la rémunération dans la durée, garantit les droits, constitue un fil rouge tout au long de la carrière professionnelle. Ce n’est pas nous que vous devrez convaincre qu’il faut mieux partager les richesses, mais ce n’est pas à nous que vous ferez croire que vous voulez vraiment le faire avec ce texte. Pour notre part, nous proposons depuis bien longtemps, par exemple, une échelle des salaires permettant de limiter les écarts de rémunération.
Les effets positifs de cet accord seront limités. Quant aux effets négatifs, ils ne font aucun doute. Vous n’en finissez plus de priver la sécurité sociale de ressources, vous êtes allergiques à l’idée même de cotisations sociales – c’est du moins le sentiment que vous nous donnez. Pourtant, les cotisations sociales, ce n’est pas sale ; elles nous permettent de nous assurer mutuellement face aux aléas de l’existence. Vous opérez d’ailleurs un glissement : la suppression des ressources allouées à la sécurité sociale et aux retraites va de pair avec la promotion des plans de capitalisation. Nous le savions déjà, lorsque vous vous livriez à de grandes tirades selon lesquelles vous travailliez à sauver le système par répartition. La religion de la prime fait système avec la capitalisation. La valeur doit être partagée au sein de l’entreprise, bien sûr, mais aussi au sein de toute la société, grâce à l’impôt et à la justice fiscale. Vous essayez de vendre l’illusion de l’actionnariat salarié comme une libération, comme si, en distribuant quelques actions qui ne donnent aucun pouvoir réel, on abolissait le lien de subordination entre l’employeur et le salarié, la contradiction de classe. Il ne s’agit que de faire semblant, de créer la confusion.
Accordez plutôt des salaires justes et de vrais pouvoirs aux salariés ! Vous leur en avez retiré, y compris au détriment de leur santé et de leur sécurité. J’ai à ce titre une pensée mobilisée pour les salariés d’ArcelorMittal. L’inspection du travail vient de prononcer l’arrêt de l’activité pour les protéger de l’exposition grave à des émissions cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques à Fos-sur-Mer.
Cet accord, dont on a le sentiment qu’il a été signé faute de mieux, ne fait pas, comme on dit, la rue Michel. Il fait pour partie reposer le partage de la valeur sur les finances de la sécurité sociale et de l’État. Vous avez donné une mauvaise feuille de route aux organisations syndicales et patronales. La puissance publique doit prendre parti autrement dans les rapports sociaux, en faveur de celles et ceux qui les subissent. Nous n’examinons pas ce texte de manière neutre, parce qu’au stade où nous en sommes, il nous engage et que la manière dont il transcrit l’ANI n’est pas neutre non plus. Pour faire beaucoup de mousse, il n’y a pas besoin de beaucoup de savon. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES. – M. Adrien Quatennens applaudit également.)