Après le long examen dont il a fait l’objet en commission, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine considère que ce traité n’est pas ou n’est plus compatible avec les valeurs qui doivent prévaloir dans nos liens avec Djibouti.
Djibouti est officiellement devenu un État indépendant en 1977. Pourtant, il ne l’a jamais été. Son premier président, l’oncle de l’actuel, a dû son élection au soutien franc – sans jeu de mots – que notre pays lui a accordé pour avoir appelé ses compatriotes, quelques années plus tôt, à voter pour le maintien du territoire sous souveraineté française. Il a décidé ensuite, toujours avec le soutien de la France, d’interdire tous les partis d’opposition. L’actuel président, Ismaïl Omar Guelleh, est au pouvoir depuis vingt-deux ans – cela peut en faire rêver certains. En 2026, son cinquième mandat prendra fin. Selon la Constitution djiboutienne, il ne pourra pas, en raison de son âge, briguer de sixième mandat.
À moins de changer la Constitution… Il ne se dit pas que c’est un pari ; il se demande ce qu’en pense Paris ! Ce système clanique et autoritaire est perpétué grâce à des élections frauduleuses : parti unique, recensement partiel, répression des manifestations, etc.
L’accord dont nous parlons est donc la garantie de la continuité d’une relation entachée de colonialisme et de domination. Ce texte renforce l’ancrage militaire français sous couvert de surveillance et de sécurisation de la région, notamment du détroit de Bab-el-Mandeb, où le commerce maritime international demeure exposé à la piraterie. On pourrait se dire qu’il s’agit là d’une responsabilité d’autant plus honorable qu’elle est partagée avec les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Italie, qui disposent aussi de bases militaires à Djibouti. Mais cette présence étrangère – cette gérance étrangère – cache une compétition d’influence entre blocs géopolitiques rivaux et offre à l’élite corrompue de Djibouti une économie de rente, dont elle profite largement au lieu de développer des secteurs comme l’éducation, la santé ou le tourisme au bénéfice de la population.
Djibouti est donc à la solde des puissances étrangères. En somme, ce traité offre à Djibouti 85 millions d’euros annuels pendant vingt ans pour financer un régime surarmé qui réprime son peuple ; on laisse sciemment ce régime attaquer par voie aérienne sa population civile ainsi que le pays voisin, l’Éthiopie. La France ayant avec Djibouti un accord relatif à la protection de l’espace aérien du pays, nous avons nécessairement été au courant de ces infractions au droit international. Et la liste est encore longue… Bel accord en effet que celui-là !
Pendant que les Djiboutiens sont dans le besoin, la pauvreté et la faim, leur gouvernement dépense des millions de dollars pour des drones militaires utilisés pour réprimer toute contestation. Rappelons que 45 % de la population vit avec moins de 3 dollars par jour et que la moitié n’a accès ni à l’eau potable ni à l’électricité. Bel accord que celui-là !
La France des Lumières, des droits de l’homme, du droit international et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes restera, une fois encore, dans les livres d’histoire. Ceux de géographie retiendront en revanche que le French business, s’il n’a pas de couleur, a une sale odeur. Djibouti sous la dictature, c’est aussi le contrôle de la presse, la marginalisation des ethnies, des ratonnades comme celles qui ont eu lieu dans la capitale en 2021 et la destruction volontaire d’une partie de la forêt primaire du Day par le gouvernement. Autre arme de guerre utilisée : les viols et violences sexuelles perpétrés en toute impunité par l’armée djiboutienne sur les femmes de la communauté afar. Bel accord que celui-là !
Les opposants politiques, les journalistes et leurs proches sont arrêtés, torturés et laissés sans accès aux soins ni jugement. On dénombre près de quarante prisonniers. Les partis d’opposition ne demandent même pas de nouvelles élections, tant ils savent le système corrompu, la France étant l’assurance vie du pouvoir. En 1995, un magistrat français a été assassiné à Djibouti dans l’exercice de ses fonctions ; l’instruction est toujours en cours. La France regarde ailleurs. Bel accord que celui-là !
Un bel accord aurait accompagné une transition démocratique à Djibouti en s’appuyant sur une charte rédigée à cet effet et aurait garanti qu’aucune guerre civile ne contrarie le processus, mais cet accord-là est resté dans les tiroirs.
Pour toutes les raisons évoquées, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne peut soutenir ce traité : ses liens avec un régime discriminatoire et antidémocratique sont bien trop forts. Nous voterons donc contre l’autorisation de le ratifier, en attendant un accord futur qui tiendrait compte des interrogations soulevées par plusieurs d’entre nous à cette tribune. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Mme Dominique Voynet applaudit également.)
Discussions générales
Traité de coopération en matière de défense entre la France et Djibouti
Publié le 23 juin 2025
Jean-Paul
Lecoq
Député
de
Seine-Maritime (8ème circonscription)