La criminalité organisée, dans son organisation comme dans ses cibles, est un système profondément capitaliste. En effet, si la hausse record de la consommation touche de trop nombreuses victimes issues de tous les milieux sociaux, le trafic se nourrit des plus précaires et des plus exploitables. Je pense aux mères seules contraintes de devenir nourrices, aux choufs exploités, aux enfants de l’aide sociale à l’enfance, étrangers ou non, drogués pour dealer, et aux jeunes filles victimes de réseaux de prostitution. Tous ont en commun une vulnérabilité sociale et économique sur laquelle prospèrent les trafiquants de drogue. C’est la raison pour laquelle le groupe GDR partage l’une des importantes préconisations du rapport de la commission d’enquête : frapper le haut du spectre pour toucher ceux qui exploitent la misère.
Un travail d’investigation sérieux est nécessaire, ce qui obligerait à mobiliser des moyens plutôt que de s’épuiser dans des opérations de communication organisées à des fins électorales – je pense aux opérations Place nette, jugées dispendieuses et inefficaces par le rapport même.
Or la traduction législative du rapport de la commission d’enquête semble s’éloigner de cet objectif. Nous voyons, dans certains articles issus du texte du Sénat, une énième occasion de déroger au droit commun pour traiter de la petite délinquance, sans aucune preuve d’efficacité.
Je pense aux articles 8, 8 bis et 8 ter qui instaurent une législation d’exception, en prévoyant l’utilisation de moyens d’enquête intrusifs, notamment des techniques spéciales d’enquêtes, initialement réservées à la lutte contre le terrorisme.
Ces mesures gravement attentatoires aux libertés, en particulier au respect de la vie privée, comportent également un risque élevé de dérive vers une surveillance généralisée de la population. La question de leur efficacité se pose également.
Contrairement au ministre de l’intérieur, nous pensons que l’État de droit est la réponse, et non pas un obstacle.
Une partie du texte est également une attaque à peine voilée contre les droits de la défense et le principe du contradictoire.
L’article 16 instituait un dossier coffre, c’est-à-dire un dossier caché visant à empêcher les personnes poursuivies de connaître les modalités exactes de leur surveillance pendant l’enquête. Il a heureusement été supprimé en commission, tout comme les quatre-vingt-seize heures de garde à vue pour les mules, qui sont souvent des jeunes filles mineures.
Nous resterons très vigilants sur leur retour dans le texte par voie d’amendement.
Il reste néanmoins la création de quartiers de haute sécurité, pourtant supprimés en 1982, notamment pour des raisons de dignité humaine. Pour nous, ces écoles du crime sont une ligne rouge.
Si nous pensons que la lutte contre le narcotrafic ne doit pas se limiter à la répression, nous reconnaissons que des mesures fortes sont largement fondées pour toucher le haut du spectre. Nous approuvons les dispositifs suivants, qui représentent des avancées importantes, bien qu’insuffisantes : lutte contre le blanchiment, interdiction du recours aux mixeurs de cryptoactifs qui rendent intraçable l’origine des fonds, grâce aux cryptomonnaies, systématisation des enquêtes patrimoniales, instauration d’un gel judiciaire des avoirs et confiscation des biens.
Une question centrale demeure, celle des moyens. Dans le rapport sénatorial comme dans les auditions que j’ai menées, tous les acteurs déploraient le manque de moyens pour lutter contre le narcotrafic. Officiers de la police judiciaire, dockers, personnels de Tracfin, magistrats, douaniers et marins : tous demandent, d’une même voix, des moyens adéquats et plus élevés. L’efficacité de leur mission et leurs conditions de travail en dépendent. Dans le texte, certaines professions – en particulier, les dockers –, semblent mises en doute, au détriment du nécessaire accompagnement face aux risques de corruption. Sans engagement financier important de la part de l’État, les mesures positives de ce texte ne seront que des coquilles vides.
Lutter contre le trafic de drogue, c’est protéger les plus vulnérables et renforcer les services publics en soutien aux plus fragiles. C’est aussi faire un travail de dentelle avec les élus locaux, les bailleurs sociaux et les éducateurs de l’ASE, afin de soutenir les victimes du trafic et assécher les réseaux de la criminalité organisée.
C’est encore se former à la détection de victimes de traite et consacrer des moyens humains et financiers à la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
C’est enfin lancer un chantier de prévention des drogues. Nous sommes l’un des pays les plus consommateurs, ce qui doit nous interroger sur l’état de notre société.
Le trafic de drogue est un sujet sérieux. Il ne s’agit pas de savoir qui serait ferme ou laxiste. En revanche, je vois qui s’appuie sur les passions tristes pour remplir un agenda politique auquel nous ne participerons évidemment pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)