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Retour de biens culturels au Bénin et au Sénégal - Lect déf

En juin 1978, dans son appel historique pour la restitution des biens culturels, M. Amadou-Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’UNESCO – Organisation des Nations unies, prononçait ces quelques mots : « le génie d’un peuple trouve une de ses incarnations les plus nobles dans le patrimoine culturel que constitue, au fil des siècles, l’œuvre de ses architectes, de ses sculpteurs, de ses peintres, graveurs ou orfèvres, de tous les créateurs de formes qui ont su lui donner une expression tangible dans sa beauté multiple et son unicité. »

Les chercheurs estiment que 90 % du patrimoine africain se trouverait en dehors du continent. En France, près de 88 000 œuvres issues d’Afrique subsaharienne sont actuellement conservées dans les collections publiques. Les acquisitions de masse ont été l’une des dimensions de l’écrasement des peuples et de la destruction de villes, au cœur de la conquête coloniale par les sociétés européennes. Derrière cette spoliation systématique, il n’y avait pas seulement une curiosité des colonisateurs à l’égard de l’Afrique, mais la volonté de retirer à ces peuples tout ce qui pouvait faire culture. Retirer tout ce qui, pour reprendre les mots de M. Mbow, sont l’incarnation du génie d’un peuple.

À partir de là, certains Européens ont pu dire qu’il s’agissait de sociétés sans histoire. La privation de ces œuvres a constitué, pour les peuples africains, un double traumatisme. Ils ont été dépouillés de chef-d’œuvres irremplaçables mais également de tout ce qui, autour des œuvres, peut constituer la mémoire historique qui nourrit la pensée et la création, et qui permet à chaque peuple de mieux se connaître et de mieux se comprendre.

La restitution des œuvres est donc primordiale et salutaire. C’est une première étape pour établir ce que M. Felwine Sarr, co-auteur du rapport sur la restitution du patrimoine africain, appelle une nouvelle éthique relationnelle entre l’Occident et l’Afrique, basée sur le respect mutuel et la réciprocité.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine exprime, depuis de nombreuses années, sa volonté de voir les restitutions s’amplifier. Cela suppose de poursuivre le travail mené par l’UNESCO et par nos musées pour garantir la protection de ces œuvres dans le domaine public et leur accessibilité à tous les peuples qui y sont attachés. Il faut pour cela s’assurer d’une coopération, en bonne et due forme, avec les États qui prennent part à cette entreprise. Le mouvement de retour de biens doit également s’accompagner d’une lutte de grande ampleur contre le trafic international d’œuvres d’art au risque, sinon, de manquer son but.

Par ailleurs, les restitutions ne sont qu’un point de départ. Selon le philosophe Achille Mbembe, l’Europe a pris des choses à l’Afrique qu’elle ne pourra jamais restituer et pour que des liens nouveaux se tissent, elle devra honorer la vérité qui est l’institutrice de la responsabilité.

Aussi, je veux insister sur la nécessité de faire la lumière sur toutes les histoires des œuvres qui sont restituées, ainsi que celles conservées dans nos musées. Nous devons savoir – et dire – dans quelles conditions chacune a été prise, par qui, dans quel contexte et quels discours historiques ont été construits à son sujet. Cela appelle à poursuivre le travail de nombre de nos musées, à réinterroger la manière dont l’histoire y est construite et la manière dont elle est transmise, afin de nous permettre de poursuivre la décolonisation de nos pensées et de mieux nous connaître.

Bénédicte Savoy, co-auteure du rapport sur la restitution du patrimoine africain, s’exprimant en 2018 sur le nécessaire travail de vérité et sur ce qu’il produit sur nous, invitait à s’intéresser non seulement à la signification d’une œuvre, mais également au contexte dans lequel elle a été acquise : cela ne veut pas dire repentance, mais davantage de savoir de soi-même, qui est le but de l’avenir.

Je ne retirerai rien des mots de plusieurs collègues qui se sont exprimés au cours de l’examen du texte : les parlementaires doivent pouvoir, en permanence, impulser des restitutions et non y être simplement associés. C’est essentiel et il faudra s’en assurer.

Nous sommes favorables au texte et nous le voterons. Si la route de la décolonisation est encore longue, le vote de ce matin constitue un pas dans le rétablissement de relations internationales plus équilibrées. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LaREM.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)
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