Dans quelques jours, le grand débat que vous avez vous-même lancé va prendre fin. Plus de 1,2 million de contributions ont déjà été envoyées à l’Élysée. Justice sociale, justice fiscale, service public, démocratie : voilà les exigences qu’expriment fortement les Français.
C’est une véritable bombe à retardement que vous avez entre les mains. Ne pas répondre à ces demandes légitimes des Français provoquerait une crise grave, une explosion de colère encore plus forte que celle qui secoue la France aujourd’hui.
Parmi elles, le rétablissement de l’ISF est une demande très majoritaire. Ils sont 77 % de Français à demander que les plus fortunés participent à l’effort de redressement des comptes de la nation, et au financement de nos services publics. Cette demande est parfaitement légitime.
Car l’effort, aujourd’hui, vous l’avez demandé principalement aux retraités, comme s’ils n’en n’avaient pas déjà assez fournis, en travaillant quarante-trois ou quarante-quatre ans, parfois dans des conditions pénibles, pour toucher ensuite des retraites de misère. C’est pourtant à eux que vous avez demandé de faire un effort, en augmentant la CSG.
C’est pourquoi les députés communistes, démocrates et républicains vous proposent le rétablissement de l’ISF, accompagné d’une baisse de l’impôt sur le revenu des classes moyennes, et de son augmentation pour les plus hauts revenus.
La suppression de l’ISF est le symbole même d’une politique qui fait des cadeaux aux plus riches tout en exigeant des efforts de la part des plus modestes. Elle a eu, de surcroît, des conséquences terribles pour notre économie qui, elles, ne sont pas symboliques : 3,6 milliards d’euros en moins dans le budget, alors que nos hôpitaux, nos écoles, nos associations, nos PME souffrent.
D’ailleurs, la suppression de l’ISF, en plus de diminuer le budget de l’État, prive également les associations et les PME des dons et des investissements que les plus riches leur versaient afin de payer moins d’ISF !
En outre, l’ISF, contrairement à une idée largement répandue, ne provoque pas d’exil fiscal massif. Selon les derniers chiffres que le Gouvernement nous a adressés, le nombre d’exilés fiscaux était exactement de 754 en 2015, et de 622 en 2016, soit à peu près 0,2 % du total des contribuables ! On est quand même loin d’une hémorragie fiscale ! Et personne ne peut assurer qu’ils sont tous partis pour des motifs fiscaux !
Je rappelle ici que 1’ISF était payé, en 2017, par 358 198 contribuables, dont le patrimoine taxable s’élevait à 1 028,782 milliards d’euros ! Leur reprendre 3, 4 ou 5 milliards, voire 6 milliards d’euros, ça leur laisse quand même un peu de gras pour l’avenir !
À l’inverse, la suppression de l’exit tax est apparue comme un véritable permis donné à l’exil fiscal ; tout comme l’existence de paradis fiscaux en Europe, qui proposent un impôt quasi nul sur le patrimoine ou sur les dividendes. Nous vous le disons, il est urgent d’exclure ces pays, qui autorisent une concurrence déloyale en matière fiscale.
Autre théorie construite sur du sable : le fameux ruissellement !
Franchement, qui peut croire à cette fable ? Selon la plupart des experts, les effets sur la croissance de la suppression de l’ISF seront difficiles, pour ne pas dire impossibles, à mesurer.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est à qui profite cette suppression : aux contribuables les plus aisés, et plus particulièrement aux plus riches d’entre eux, bien sûr.
Dans une note de janvier 2019, l’Institut des politiques publiques nous apprend que 1 % des ménages les plus riches ont vu leur revenu disponible augmenter de 6,4 % avec la transformation de l’ISF en IFI. Et si l’on monte jusqu’aux 0,1 % des foyers les plus fortunés, la hausse bondit en moyenne à 17,5 %. Alors chiche, madame la ministre, augmentez le SMIC et les pensions de 17,5 %, et tout ira bien !
Le besoin de justice fiscale se fait entendre partout, et pas seulement chez nous. Aux États-Unis, un pays qui n’est pas à proprement parler socialiste, ça se saurait, la sénatrice Elizabeth Warren, candidate à l’investiture démocrate pour 2020, propose de créer un impôt fédéral sur la fortune. C’est une première dans ce pays, et c’est le signe d’une véritable prise de conscience collective.
Non, nous ne sommes pas seuls dans notre coin quand nous proposons de rétablir l’ISF. Nous nous inscrivons au contraire dans le puissant mouvement qui se lève pour réclamer une plus juste contribution à ceux qui sont déjà tellement favorisés. Les huit milliardaires français les plus riches détiennent autant que les 30 % les plus pauvres de notre pays. On n’a jamais connu cela en France, sauf avant la Révolution !
C’est pour cela que nous vous rappelons l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui dispose que les citoyens doivent contribuer aux dépenses d’administration « en raison de leurs facultés ».
Pourtant, depuis plus de trente ans, la progressivité de l’impôt est bien mise à mal, au nom de la mondialisation, de la liberté de circulation des capitaux et, disons-le franchement, d’un système capitaliste qui favorise le capital contre le travail.
Le dogme de la compétitivité, dans lequel prospèrent le dumping, la concurrence et l’optimisation fiscales, conduit à tirer l’impôt vers un niveau toujours plus bas pour les riches, pour le capital comme pour les grandes entreprises.
Depuis le début des années 1990, cette vision s’est traduite dans notre système d’imposition par un transfert massif des impôts des entreprises vers les ménages. Elle s’est aussi manifestée par une hausse continue de la TVA et par une explosion de la CSG, deux impôts injustes, car ils frappent de la même manière les plus riches et les plus modestes, et sont donc plus durs avec les plus modestes.
Notre pays souffre désormais d’une fiscalité désorganisée, inéquitable, injuste et donc contestée. La TVA représente ainsi 150 milliards d’euros, la CSG 100 milliards et l’impôt sur le revenu seulement 70 milliards. La progressivité de cet impôt sur le revenu ne cesse de reculer : en trente ans, le nombre de tranches est passé de quatorze à cinq, tandis que le taux supérieur chutait de 65 % à 45 %. Durant la même période, la multiplication des niches et autres dispositifs dérogatoires a par ailleurs vidé l’impôt sur le revenu d’une partie de sa substance. Au total, ces niches représentent en effet 35 milliards d’euros, soit la moitié de son rendement. Or ces réductions profitent essentiellement aux plus riches contribuables.
Face à cette destruction de la progressivité de l’impôt, que faut-il faire ?
Il faut d’abord arrêter la course folle dans laquelle nous entraîne votre Europe libérale, avec le dumping fiscal qui se traduit par une baisse continue des impôts pour les multinationales, le capital et les plus riches.
La France doit aussi agir de son côté, en prenant des initiatives au niveau national comme le prélèvement à la source sur les bénéfices des multinationales, bien plus efficace que votre taxe GAFA – la taxe sur les grandes entreprises du numérique – qui rapportera peanuts par rapport à l’étendue de la fraude fiscale des multinationales, et pas seulement celles du numérique.
Il faut aussi, dès maintenant, rendre notre système fiscal plus progressif – je dirais même plus progressiste. C’est le sens de la proposition de loi des députés communistes que nous défendons aujourd’hui. Cela passe par une augmentation du nombre de tranches, proposée à l’article 2. Le taux d’imposition de la tranche supérieure, applicable aux revenus supérieurs à 125 000 euros annuels, sera porté à 48 %. L’objectif visé est très clair : alléger la contribution à l’impôt des plus modestes comme des classes moyennes, et augmenter celle des foyers plus aisés. Avec cette nouvelle progressivité, tous ceux qui gagnent moins de 4 900 euros net mensuels paieront moins d’impôts, et ceux qui gagnent plus en paieront davantage. Au total, la réforme coûtera 6,6 milliards d’euros en allégements d’impôts, mais nous vous proposons un financement « clé en main » : rétablissez l’ISF et l’exit tax, et supprimez le prélèvement forfaitaire unique !
Mais cette proposition de loi n’est qu’une étape. Il faudra ensuite rendre l’impôt plus lisible en supprimant de nombreuses niches fiscales. Il faudra aussi le rendre encore plus progressif. Rendre l’impôt plus progressif, c’est commencer immédiatement la baisse de la CSG tout en garantissant les ressources de la sécurité sociale. Rendre l’impôt plus progressif, c’est s’attaquer à la TVA et faire de l’électricité, du gaz et de l’eau des produits de première nécessité taxés à 0 %. Rendre l’impôt plus progressif, c’est s’attaquer à la flambée des patrimoines des très riches, qui mine l’égalité. Rendre l’impôt plus progressif, c’est encore inscrire dans la Constitution la notion de justice fiscale pour renforcer la notion de consentement à l’impôt.
Vous le voyez, le chantier est encore très vaste. Il est donc urgent de l’ouvrir sans tarder. C’est pourquoi nous vous demandons de soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
Discussions générales
Rétablissement de l’ISF (Niche GDR)
Publié le 7 mars 2019
Fabien
Roussel
Député
du
Nord (20ème circonscription)