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Restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

Les objets dont nous parlons ce soir sont des passeurs de mémoire, ils témoignent du passé du continent africain, mais aussi de notre passé, avec ses ombres. Bien que nécessaire, ce projet de loi n’est pas qu’un acte de réparation ; il doit inaugurer une coopération enrichie, car d’égal à égal, entre nos États. En remettant ces biens à la République du Sénégal et à la République du Bénin, la France accomplit plus qu’un geste symbolique.

En 1892, les troupes de l’armée française prennent la ville royale d’Abomey sur le territoire du Dahomey, dans l’actuel Bénin. Dans l’incendie du palais du roi Béhanzin, plusieurs objets sont pillés par les troupes françaises, sous les ordres du général Dodds. Celui-ci fera ensuite don des pièces appartenant au trésor de Béhanzin au musée ethnologique du Trocadéro. Le sabre et son fourreau appartenant à El Hadj Omar Tall ont été récupérés en 1893, à la suite de la chute de l’empire toucouleur, lors d’une bataille militaire opposant les troupes françaises à son fils Ahmadou Tall. Entreposés au musée de l’Armée à Paris, ces objets ont déjà été remis symboliquement au président Macky Sall en novembre 2019. Ils sont exposés au musée des civilisations noires de Dakar, sous la forme d’un prêt de cinq ans, dans l’attente du transfert de propriété de la France vers le Sénégal.

Ainsi, nous pouvons parler de réparation, car les biens que nous évoquons ont été pillés pendant les guerres coloniales. J’espère surtout que cette restitution sera un prélude à la fin de la Françafrique, au profit de relations fondées sur la collaboration de chacun des pays. La restitution de ces objets doit s’inscrire dans une volonté de partenariat et de coopération renforcée entre pays souverains.

Les demandes de restitution de biens culturels par le Sénégal et le Bénin sont légitimes. Tout peuple doit avoir accès à son patrimoine historique. À travers cette démarche, il n’est pas question de réécrire l’histoire, ni de nier le passé colonial de la France, évoqué ce soir dans un beau documentaire diffusé par France 2, mais de reconnaître que ces biens, acquis dans un contexte militaire, doivent être remis à leur pays d’origine. Ces objets ont une portée mémorielle immense ; cette mémoire est une richesse pour nos deux continents.

Le musée du Quai Branly-Jacques Chirac et le musée de l’Armée ont réalisé un extraordinaire travail de conservation et d’étude de ces objets ; je salue leur apport précieux. Les connaissances et les expertises acquises seront indispensables à la République du Sénégal et à la République du Bénin pour conserver et exposer ces biens. Ces restitutions peuvent nous permettre d’aller plus loin dans la collaboration, en transmettant nos compétences en matière de muséographie et de conservation. Sans cet échange de savoirs, ces restitutions ne seraient pas complètes. Portons loin notre ambition de musée universel, que vous avez évoquée, monsieur le ministre délégué. Toutefois, on peut s’inquiéter pour le nouveau musée d’Abomey, qui peine à sortir de terre. Ce projet, soutenu par l’Agence française de développement et répondant aux normes de conservation internationales, est important pour les Béninois. Il s’inscrit dans un programme plus large, intitulé « Bénin révélé », qui vise à élargir le rayonnement des atouts touristiques du pays. Il doit donc rapidement aboutir.

La visibilité des œuvres et biens culturels doit être assurée, que ce soit sur le continent africain ou sur les autres continents, dans le cadre d’expositions temporaires et d’échanges entre les musées internationaux. La protection et l’exposition des œuvres à toutes et tous sont des conditions importantes à la remise de ces biens. En effet, le trésor de Béhanzin et le sabre et le fourreau d’El Hadj Omar Tall ont un caractère universel ; ils appartiennent au patrimoine mondial de l’Humanité. C’est d’ailleurs parce que ces biens conservent toute leur portée historique qu’ils ne peuvent être déclassés des collections françaises et que nous devons aujourd’hui voter un projet de loi de circonstance, dérogeant au principe d’inaliénabilité.

La question de la circulation des œuvres culturelles est primordiale et je regrette qu’aucun projet de loi n’ait réussi à mieux réguler le marché de l’art privé, dont la plupart des œuvres échappent totalement au grand public. Malgré cette réserve, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

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