Interventions

Discussions générales

Restaurer l’autorité de l’État - PPL

Au cours de cette niche du groupe Horizons & indépendants, nous entamons l’examen d’un second texte qui aura pour conséquence principale une aggravation de la situation catastrophique des prisons françaises, sans rien régler à la délinquance ni contribuer à la restauration de l’autorité de l’État. Il est d’ailleurs assez triste de constater qu’aux yeux de votre groupe, on ne peut restaurer l’autorité de l’État qu’en refermant les portes d’une prison, alors même que nous devrions nous battre pour développer les services publics et disposer d’un État fort capable de planifier et d’assumer une telle planification.
Cette proposition de loi aura des conséquences désastreuses non seulement pour les prisons françaises, je l’ai dit, mais aussi pour les agents pénitentiaires et pour les détenus. Elle sera même contre-productive pour notre société car, non contentes de porter atteinte au principe d’individualisation de la peine, les peines planchers sont inefficaces en matière de lutte contre la récidive. La question de la récidive devrait être abordée à la lumière des situations individuelles, non à l’aune de l’automaticité des peines d’emprisonnement. Cela nécessite de mettre au centre de la réflexion l’utilité et le sens de la peine pour la personne condamnée, pour la société et pour les professionnels.
Je relève d’ailleurs une incohérence : pour défendre la possibilité de prononcer de courtes peines d’emprisonnement, le rapporteur Loïc Kervran n’a cessé d’invoquer la liberté du juge ; or l’instauration de peines planchers va à l’encontre de cette vision. Nous rappelons que des dispositions légales permettent déjà de tenir compte de l’état de récidive dans le prononcé de la peine. Les magistrats doivent conserver la libre appréciation de la peine adaptée.
L’introduction des peines planchers en 2007 s’est soldée par un échec en matière de la dissuasion de la récidive. Les statistiques du ministère de la justice indiquent qu’en 2005, 2,6 % des condamnés pour crime et 6,6 % des condamnés pour délit étaient récidivistes ; or, trois ans après l’entrée en vigueur de la loi de 2007, ces proportions atteignaient respectivement 5,6 % et 11 %.
Par ailleurs, d’après un bulletin statistique publié en 2012 par le même ministère, sur l’ensemble des condamnations en récidive légale prononcées en 2010 en matière correctionnelle et en matière criminelle, les peines planchers ont été prononcées seulement dans 38 % des cas où elles pouvaient l’être. Autrement dit, six fois sur dix, les juges n’ont pas hésité à faire usage de leur possibilité de déroger au dispositif.
Ils l’ont fait à raison, car notre arsenal législatif est suffisamment riche pour lutter contre les réitérations de violence. Le code pénal et le code de procédure pénale prévoient déjà l’aggravation de la situation de la personne condamnée lorsqu’est constaté un état de récidive. Cela ne veut pas dire que nous avons là toutes les solutions. En revanche, je ne crois pas du tout que les peines planchers, déjà expérimentées, soient la bonne réponse. Une telle mesure ne fera que renforcer la politique du tout-carcéral ; elle accrédite l’idée selon laquelle, je l’ai dit, tous les maux de la société pourraient être réglés simplement en fermant la porte d’une cellule.
Dans un rapport remis en 2006, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommandait d’étendre l’exécution des peines alternatives aux cas de récidive, considérant que celle-ci n’est que le symptôme d’une mauvaise réinsertion et qu’il convient d’accompagner les personnes. Le code pénal prévoit un éventail de peines alternatives à la prison qui peuvent intervenir avant la sentence du juge.
Les sorties sèches représentent encore 80 % des sorties de prison. Les personnes sont alors livrées à elles-mêmes : la prison les a marginalisées et désocialisées ; elles se retrouvent souvent sans ressources ni soutien. Elles sont 61 % à récidiver. Ces chiffres devraient nous inciter à approfondir notre réflexion, si notre objectif est bel et bien la réinsertion et la lutte contre la récidive.
Pour finir, cette proposition de loi ne permet pas d’engager le travail de déflation carcérale qui serait nécessaire pour réduire la surpopulation dans les établissements pénitentiaires. L’exposé des motifs ne mentionne qu’une seule fois, de manière allusive, le fait que la surpopulation carcérale est l’une des origines de la récidive. Alors que nous devons tendre vers la sortie du tout-carcéral, ce texte s’oppose en tout point à ce mouvement.
Au cours de cette journée de niche, j’ai le sentiment que vous manifestez une forme de déni de la situation. Je rappelle donc les chiffres du ministère de la justice que j’ai cités lors de la discussion du texte de M. Kervran : au 1er mars, il y avait dans les prisons françaises 82 152 détenus pour 62 539 places opérationnelles. Quant aux 15 000 places prévues pour 2027, personne ici ne peut prétendre qu’elles seront terminées à temps. Quoi qu’il en soit, plus on ouvre de places dans les prisons, plus on les remplit. Or la France continue de figurer parmi les très mauvais élèves en Europe pour ce qui est de la surpopulation carcérale.
Vous l’aurez compris, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’opposera à ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. –⁠ Mme Sandra Regol applaudit également.)

Imprimer cet article

Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)
Voir le site Contacter par E-mail Suivre sur Facebook Suivre sur Twitter Voir la chaîne Youtube

Thématiques :

Affaires européennes Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques