Nous arrivons au terme de la discussion d’un texte, dont l’examen a donné lieu à une bataille médiatique entre la grande distribution et l’industrie agroalimentaire, sur fond de flambée des prix alimentaires.
L’inflation des produits alimentaires a dépassé les 14 % en février, et la situation ne devrait pas s’améliorer à court terme. Les négociations commerciales entre distributeurs et industriels se sont achevées sur de nouvelles hausses de prix – 10 % en moyenne. Cette situation est particulièrement préoccupante : d’une part, cette hausse des prix étrangle nos concitoyens, qui limitent drastiquement leurs achats, se privent de produits frais et descendent en gamme, quand ils ne sont pas contraints de se tourner vers les banques alimentaires ; d’autre part, les fournisseurs font face à l’envolée des prix des matières premières agricoles et des factures d’énergie – en un an, le coût d’électricité a été multiplié par cinq ou six, et celui des matières premières a progressé de 40 % en moyenne.
Certes, le Gouvernement multiplie les initiatives : négociation d’un panier anti-inflation avec la grande distribution – panier qui, au passage, participera à l’étouffement des petits commerçants et des petits producteurs –, instauration d’un chèque alimentaire, ou encore aides aux entreprises en matière d’énergie.
Cependant, toutes ces mesures demeureront insuffisantes tant que nous ne nous attaquerons pas à la racine des problèmes, c’est-à-dire à l’absence de mesures fortes en faveur des salaires, des prestations et des pensions, et à l’absence de reprise en main de la tarification de l’énergie pour l’aligner sur les coûts de production.
L’amélioration du cadre des négociations commerciales constitue aussi un levier d’action. Cela étant, si nous souhaitons réellement rééquilibrer les relations commerciales, il faut tout d’abord nous affranchir des limites inhérentes à votre approche libérale reposant sur les principes de liberté contractuelle et de liberté du commerce. En effet, ces principes ne permettent pas de mettre un terme au déséquilibre du marché, qui voit s’opposer six acheteurs à une myriade de fournisseurs, ni de trouver un point d’équilibre qui ne soit pas profondément instable, faute de renverser le rapport de force.
Ce constat ne nous interdit pas de saluer les avancées du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire en matière d’encadrement des promotions, de lutte contre l’évasion juridique, ou encore de plafonnement et d’encadrement des pénalités logistiques. Toutes ces mesures de protection des fournisseurs vont dans le bon sens et constituent un indéniable progrès en vue d’établir des relations commerciales moins outrageusement favorables à la grande distribution.
Nous continuons néanmoins de penser que pour optimiser la chaîne de valeur au bénéfice des producteurs et des consommateurs, nous avons besoin, monsieur le ministre, d’outils plus contraignants, afin d’encadrer les marges de la distribution, de garantir un juste partage de la valeur, et de sécuriser la chaîne de valeur.
Je pense en particulier au coefficient multiplicateur visant à bloquer certaines pratiques des distributeurs, ou à la transformation de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPMPA) en véritable régie publique d’intervention et de contrôle.
Cette dernière remarque me conduit à commenter la décision de suspendre plutôt que de prolonger l’expérimentation du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte. J’entends que le but de ce dispositif, qui était de faire en sorte que la grande distribution utilise les profits supplémentaires réalisés pour mieux rémunérer les agriculteurs, n’a pas été atteint et que le ruissellement attendu n’a pas eu lieu, la grande distribution prenant donc quelque 600 millions d’euros par an dans la poche des consommateurs. Mais il nous faut aussi entendre la demande de prolongation du dispositif par certains responsables agricoles, ceux-ci craignant en particulier que la suspension du SRP n’entraîne un durcissement des relations commerciales.
Nous nous rangerons néanmoins à la rédaction trouvée en CMP, qui permettra aux interprofessions qui en feront la demande de se voir de nouveau appliquer le relèvement du seuil de revente à perte si sa suspension leur est préjudiciable. Il n’en demeure pas moins, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que le fond du sujet réside dans la capacité d’intervention publique et dans la présence d’un vrai gendarme de terrain tout au long de la chaîne de valeur.
Considérant que, malgré les insuffisances que j’ai pointées, cette proposition de loi traduit la volonté d’œuvrer à améliorer pas à pas le cadre des négociations commerciales, nous voterons ce texte. Nous sommes convaincus que la lutte contre les pratiques toujours aussi carnassières des acteurs de la grande distribution doit demeurer pour nous tous – je dis bien pour nous tous – un objectif prioritaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem, SOC, HOR et Écolo-NUPES, ainsi que sur les bancs des commissions.)