Présentée par le groupe Les Républicains, cosignée par des sénateurs de droite et du centre, adoptée par le Sénat et désormais défendue par un ministre favorable à la privatisation du rail, la proposition de loi que nous examinons soulève de sérieuses préoccupations, tant sur la forme que sur le fond. Elle n’a fait l’objet ni d’une étude d’impact ni d’un avis du Conseil d’État, deux instruments pourtant essentiels pour évaluer les conséquences juridiques et pratiques des nombreuses dispositions qu’elle contient. De plus, elle ne repose sur aucune évaluation approfondie des mesures existantes. Et le recours à la procédure accélérée, initialement justifié par l’échéance des Jeux olympiques, apparaît désormais totalement infondé.
Sur le fond, ainsi que M. le rapporteur l’a rappelé, la proposition de loi s’inscrit dans la lignée de la loi Savary-Le Roux de 2016 et de la loi pour une sécurité globale du 25 mai 2021. Ces textes ont contribué à un désengagement progressif mais continu de l’État en matière de sécurité publique et abouti au transfert de responsabilités cruciales à des acteurs non étatiques. Cette évolution, que la proposition de loi renforce, fragilise le principe de souveraineté étatique en matière de sécurité, lequel repose sur le monopole de l’État en matière de violence légitime.
Selon nous, il s’agit d’une orientation inquiétante. Toutes celles et tous ceux qui, dans l’hémicycle, ne cessent d’en appeler à plus de sécurité et de sûreté devraient s’inquiéter de ce transfert de compétences et d’une situation où l’État n’est plus en première ligne sur ces questions.
M. Julien Odoul
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C’est inquiétant, la sécurité ?
Mme Elsa Faucillon
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Oui, cette orientation est inquiétante car elle repose sur la notion de continuum de sécurité développée dans le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020, qui actait explicitement le dessaisissement de l’État dans ce domaine en soulignant que « les forces de sécurité intérieure ne peuvent pas répondre seules à l’ensemble des problèmes » et qu’il convient de « donner des moyens à d’autres acteurs [du secteur] en étendant leurs compétences ». Il faudrait alors aborder la question de la formation des personnels, mais vous vous y refusez.
La proposition de loi vise à renforcer les prérogatives des agents de la sûreté des transports – ceux de la Suge pour la SNCF et ceux du GPSR pour la RATP –, notamment pour prévenir le risque terroriste, pour lutter contre les incivilités et la fraude, et pour approfondir la coordination entre les différents acteurs. Ces objectifs sont imprécis et trop larges, ce qui risque d’entraîner de la confusion autour des missions de ces agents. L’élargissement de leurs pouvoirs et la création de nouvelles infractions pénales risquent de dénaturer leur rôle initial et d’entraîner une dérive vers des missions de maintien de l’ordre, ce qui devrait tous nous inquiéter.
L’extension des attributions des agents de sûreté de la SNCF et de la RATP remet en question l’équilibre entre, d’une part, les exigences de sécurité et de sûreté, et, d’autre part, le respect des libertés. Par ailleurs, quand des agents de sécurité privée finissent par avoir les mêmes prérogatives que les membres de la police nationale, ces derniers voient diminuer leur autorité et le respect dont ils devraient bénéficier.
M. Julien Odoul
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N’importe quoi !
Mme Elsa Faucillon
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La loi en vigueur confère déjà des compétences particulières aux agents de la Suge et du GPSR. Elle leur accorde, au sein du continuum de sécurité, une place différente de celle des autres agents privés. Prévus par la proposition de loi, l’élargissement de leurs prérogatives – notamment la faculté de procéder à des palpations préventives ou d’interdire l’accès aux gares – et la pérennisation de l’usage des caméras-piétons suscitent des inquiétudes concernant l’évolution de leurs missions. Ces mesures risquent de dénaturer leur profession, d’aggraver les tensions entre agents et usagers et de perturber l’équilibre entre l’impératif de sécurité et la garantie des droits et libertés. Mais il est vrai que la préservation des droits et des libertés semble désormais ennuyer tout le monde dans cet hémicycle…
M. Christophe Bentz
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Oh ! Quelle morgue !
Mme Elsa Faucillon
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Certes, la commission des lois a supprimé certaines dispositions préoccupantes, comme l’autorisation de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour traiter des données non biométriques ou la peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports en commun. En revanche, elle a adopté un nouveau dispositif permettant au représentant de l’État dans le département d’autoriser les agents de la Suge et du GPSR à exercer, sur la voie publique, des missions de surveillance contre les vols, les dégradations, les effractions et les actes de terrorisme.
Les mesures proposées ne permettront pas d’atteindre l’objectif affiché et, à coup sûr, elles ne fonctionneront pas contre les agressions sexuelles dans les transports. La proposition de loi omet la question centrale de la dégradation du service public des transports. En tant qu’usagère en Île-de-France, je peux attester que les politiques, en vigueur depuis plusieurs années, de réduction du personnel et de privatisation progressive de la SNCF et de la RATP fragilisent le service public et nuisent aux passagers. Elles font aussi gravement augmenter les tensions et les violences. Il est primordial de garantir aux usagers des conditions de transport décentes. Mais là n’est pas la priorité des auteurs de ce texte, contre lequel nous voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandra Regol et M. Sébastien Saint-Pasteur applaudissent également.)