Quelle prise avons-nous actuellement sur le conflit en Ukraine si ce n’est au travers de notre responsabilité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ? Cette responsabilité nous oblige, face à la résurgence de l’impérialisme russe et face à cette guerre de conquête, guerre réactionnaire par essence.
Notre responsabilité collective nous oblige à lutter contre cette fuite en avant de Poutine. Ensemble, nous devons arrêter ce torrent de violations du droit international, de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité. Référendums dans les régions occupées et annexion de quatre régions ukrainiennes, menace d’une nucléarisation de la guerre, mobilisation partielle : l’escalade se confirme jour après jour et elle s’accompagne du sentiment que la diplomatie internationale est impuissante. En effet, le désordre des relations internationales met en cause notre capacité d’action ainsi que la crédibilité des États dits occidentaux et des alliés de l’Otan – organisation sortie elle aussi d’un autre âge – au sein de la communauté internationale.
Comment entraîner une vague de solidarité et de condamnations contre la Russie lorsque les États-Unis, la France et d’autres ont mis à feu et à sang le Moyen-Orient et l’Afrique pendant trente ans, en prenant tant de libertés avec le droit international ?
La Libye, la Palestine, l’Afghanistan, l’Irak, le Sahel, mais aussi le Fonds monétaire international et la Banque mondiale : les peuples n’oublient pas les attaques, les reniements, et les trahisons.
La géométrie variable des engagements des pays riches est le poison qui a détruit la confiance des peuples dans les Nations unies et dans le droit international. C’est la raison pour laquelle on ne peut s’étonner de la tiédeur du soutien international, notamment des pays les plus fragiles, aux résolutions proposées par les États-Unis et leurs alliés sur l’Ukraine.
Les pays du Sud n’acceptent plus de s’aligner systématiquement sur ceux qui les observent du haut des remparts de la Bastille. Le Président français ne semble pas l’avoir compris, lui qui a préféré accuser à la tribune des Nations unies, le 20 septembre, des partenaires indispensables à la recherche de la paix, en affirmant que « ceux qui se taisent aujourd’hui servent malgré eux ou secrètement avec une certaine complicité la cause d’un nouvel impérialisme, d’un cynisme contemporain qui désagrège notre ordre international sans lequel la paix n’est possible. »
Ces discours accusateurs font que les mots ont perdu leur sens. Pour beaucoup, « démocratie », « aide humanitaire » ou « droits de l’homme » invoqués par le camp occidental ne veulent plus rien dire. Ces termes ont trop souvent été synonymes d’interventions militaires et financières.
Mais ne nous y trompons pas. Vladimir Poutine a compris cette faiblesse et tente de créer un contrepoids en construisant une hégémonie qui repose sur un nationalisme exacerbé et sur la force brute. Son ordre mondial est fondé sur des valeurs de haine de la démocratie, de mépris des peuples et de violation des libertés élémentaires comme le droit du travail, la liberté d’expression, la liberté de manifestation et celle de la presse.
Ces deux camps sont détestés par tous les États qui observent ce triste spectacle pendant que chez eux les famines se multiplient, la montée des eaux menace et les guerres nourries par l’appétit du capital font rage en silence. En effet, n’oublions pas les autres guerres actuelles, au Sahel, en Arménie, au Congo-Kinshasa, au Sahara occidental, en Éthiopie – et j’en passe ! Les autorités et les médias les ignorent, car elles ne perturbent pas la vie quotidienne des Européens, en particulier celle des Français. A-t-on déjà tenu d’autres débats dans cet hémicycle à propos de guerres sans que nous soyons directement belligérants – à moins que nous le soyons ?
Cette guerre nous conduit à interroger la mondialisation, la souveraineté de l’Europe et de la France à travers l’énergie, l’alimentation et l’industrie. Le choc qu’elle crée dans notre société est terrible. Il sera particulièrement violent pour les plus précaires si nous n’agissons pas, ce que nous pouvons faire grâce au levier des politiques publiques. Le groupe Gauche démocrate et républicaine-Nupes et la Nupes dans son ensemble proposeront des amendements visant à améliorer le projet de loi de finances en ce sens.
Toutefois, si nous n’obtenons pas la paix en Ukraine, rien ne sera possible. Pour l’obtenir, que peut faire un pays membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies comme l’est la France ? Il faut prouver la volonté de notre État de soutenir le camp de la paix coûte que coûte. Voilà l’urgence.
Pour cela, madame la Première ministre, changez radicalement de diplomatie. Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne cessent de le dire.
Pour rallier les États membres des Nations unies contre la guerre en Russie, il faut retrouver l’humilité. Nous ne devons plus être ce pays qui vend des armes aux tortionnaires et aux belligérants pour des milliards d’euros par an ; ce pays, disposant de l’arme nucléaire, qui refuse, comme les autres, de la démanteler définitivement ; ce pays qui donne des leçons à tous alors qu’il n’est pas capable de respecter le droit international sur son sol. Pensons à l’île de Mayotte que la France a arrachée des Comores pour son propre intérêt en violation de la Charte des Nations unies.
La France doit encore accomplir un très grand travail pour changer, pour abandonner la course aux intérêts économiques en prenant le chemin de l’universalité du droit, le seul chemin qui nous permette de retrouver une crédibilité et une légitimité au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et de gagner la paix. Il nous faut devenir ce pays qui se tient aux côtés de tous les peuples qui souffrent et qui combattent pour l’application de leur droit légitime à leur souveraineté territoriale.
Le peuple ukrainien lutte par les armes pour sa liberté et pour préserver la souveraineté. Cette lutte est autorisée par l’article 51 de la Charte des Nations unies qui affirme : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. »
Pour trouver la paix, le courage n’est donc pas militaire : il doit être diplomatique. L’important est de poser les jalons d’un dialogue, comme pour l’initiative céréalière de la mer Noire. En effet, grâce aux Nations unies, depuis le 1er août, un couloir a été aménagé dans la mer Noire, après des négociations entre les belligérants.
Plus d’une centaine de navires battant pavillon onusien, qui transportent des millions de tonnes de blé ukrainien, sont escortés par la marine russe pour être déchargés notamment en Afrique de l’Est, où la famine menace des dizaines de millions de personnes. Cet exemple d’optimisme réaliste a été cité lors du discours d’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies par son secrétaire général, qui voulait ainsi démontrer que, si les diplomaties discutent, des solutions existent, même contre vents et marées.
Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée ukrainienne par la Russie, le parti communiste français appelle à une conférence européenne pour la paix et la sécurité, sous l’égide des Nations unies. Cette étape serait essentielle pour repenser et apaiser les relations internationales à l’est de l’Union européenne, et pour prendre en compte les aspirations des peuples, tant ukrainien que polonais, biélorusse ou russe.
L’Ukraine devra retrouver son territoire souverain et inviolé, tandis que les responsables russes, au premier rang desquels Vladimir Poutine, devront payer pour leurs crimes. Aucun peuple ne devra payer l’addition de la victoire ou de la défaite : seuls les profits de guerre, où qu’ils soient, devront être réquisitionnés pour financer la reconstruction.
Cette paix juste respectera la résistance héroïque du peuple ukrainien, qui meurt et souffre au quotidien. Cette paix respectera le peuple russe, lui permettant d’en finir avec la conscription et la terrible répression du Kremlin.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine exprime toute sa solidarité avec les femmes et les hommes qui, de part et d’autre de la frontière ukrainienne, luttent, au péril de leur vie, pour mettre fin à cette situation : par leur bravoure, ils tiennent tête au Kremlin. En Ukraine comme en Russie, de nombreux militants de la paix risquent leur vie pour témoigner de ce qu’ils vivent : ce sont eux qui permettront une réconciliation entre les peuples, anéantissant le risque d’un éternel recommencement – les Français et les Allemands peuvent en témoigner.
Comme le dit le responsable du mouvement pacifiste ukrainien, que vous avez peut-être rencontré à l’occasion de vos voyages, madame la Première ministre : « Mettre fin à la guerre passe par la réconciliation, mettre en avant des valeurs de paix et de justice. Un mouvement mondial pour la paix pourrait changer cela en préconisant un cessez-le-feu, des pourparlers entre l’Est et l’Ouest, ainsi qu’entre la Russie et l’Ukraine. Le discours de paix est souillé aujourd’hui, les militants antiguerre et les objecteurs de conscience au service militaire sont persécutés, mais aucun appétit pour la gloire et les profits tirés de l’effusion de sang ne changera le fait que la paix, et non la guerre, est une norme de la vie humaine. » Il eut été bon de donner la parole aux pacifistes ukrainiens. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-Nupes et LFI-Nupes ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC et Écolo-Nupes. – Mme Stella Dupont applaudit également.)
Discussions générales
Déclaration du gouvernement relative à la guerre en Ukraine
Publié le 3 octobre 2022
Jean-Paul
Lecoq
Député
de
Seine-Maritime (8ème circonscription)