La présente proposition de loi d’Alexandre Le Maire, ou de Bruno Holroyd, je ne sais plus, n’a rien d’une initiative parlementaire émanant du groupe majoritaire.
Une fois de plus, il s’agit d’un texte rédigé directement par Bercy : le rapporteur l’a en partie reconnu et c’est d’ailleurs Bruno Le Maire lui-même qui l’avait annoncé en janvier dernier.
Cette manœuvre permet au Gouvernement d’éviter de rédiger une étude d’impact, mais aussi de se soustraire à l’avis du Conseil d’État. Quel mépris du Parlement !
Eu égard au caractère technique des dispositions, nous regrettons une telle manœuvre, qui ne permet pas aux députés de légiférer avec une pleine connaissance des enjeux. Monsieur le rapporteur, vous êtes un porte-voix de mauvais aloi !
Ce qui est certain, c’est que ce texte s’inscrit pleinement dans les canons macronistes. À l’instar de sa grande sœur, la loi Pacte (loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises), cette proposition de loi dérégule, financiarise, ne s’adresse qu’à une infime partie des entreprises et participe à la compétition internationale entre les différentes places financières. Elle se révèle donc très éloignée des enjeux du monde économique, que vous semblez bien mal connaître.
Je fais référence à celui des TPE-PME, qui sont davantage alertées par le montant de leurs factures d’énergie ou d’assurance, et par les difficultés d’accès au crédit bancaire, que par les modalités de cotation de leurs titres.
Votre proposition de loi ne parle qu’à un petit monde, composée d’une poignée de start-up, que vous allez néanmoins fragiliser avec les dispositions qu’elle contient.
Même si nous percevons les avantages que peuvent procurer les actions de préférence pour les fondateurs d’une entreprise (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe RE), nous constatons aussi les menaces qu’un tel outil fera peser s’il se trouve entre les mains d’investisseurs voraces. À ce jeu, c’est le rapport de force qui déterminera qui détient ces actions, et il n’est pas certain que celui-ci soit favorable aux entreprises.
S’agissant des promesses d’action et des dérogations à la souscription préférentielle, force est de constater que ces deux mesures conduiront les entreprises à croître rapidement – sans doute trop rapidement –, tout en fragilisant leur gouvernance. Les risques sont parfaitement identifiables. Comment une entreprise en croissance peut-elle établir une stratégie de développement de long terme lorsque le capital veut un rendement toujours plus important et toujours plus rapide ?
Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie que vous connaissez, la financiarisation signifie que les financiers président aux décisions des directions d’entreprise, donc de l’ensemble de l’économie. Et vous en êtes fiers ! En favorisant la financiarisation de nouvelles entreprises, vous soumettez encore un peu plus l’économie réelle aux règles de la finance : une finance déconnectée des territoires, des secteurs économiques, mais aussi des enjeux écologiques, et qui, par le jeu de la concurrence, crée des vides de financement dans de nombreux domaines jugés insuffisamment lucratifs.
Comment accepter que les entreprises du CAC40 aient versé 97 milliards d’euros de dividendes et de rachats d’actions en 2023 ?
Progressivement, le capital productif est étouffé par la position dominante de la finance au sein des entreprises non financières. Et lorsqu’à la fin du processus, la rentabilité n’est plus au rendez-vous, la variable d’ajustement est presque toujours l’emploi.
Le capitalisme financier n’a pas d’avenir, à plus forte raison dans un contexte où l’enjeu écologique nous oblige à planifier, à appréhender le temps long et à accepter une rentabilité faible, incertaine ou lointaine. À ce titre, l’exercice d’attractivité auquel vous vous livrez pour consolider le premier rang de Paris, depuis le Brexit, au classement des places financières d’Europe semble dénué de toute utilité pour notre économie.
Il satisfera bien sûr l’ensemble des professionnels du secteur, qui ont d’ailleurs été plus que consultés pour la rédaction du texte : je pense aux banquiers d’affaires, aux gérants d’actifs, aux investisseurs institutionnels, à l’opérateur boursier Euronext, aux nombreuses associations professionnelles ou encore à la présidente de l’AMF, qui s’est réjouie de l’arrivée massive de banquiers d’affaires. En revanche, la commission des finances a été laissée de côté alors que, je le répète, elle aurait dû se saisir d’un texte déposé par le Gouvernement.
J’y insiste, la proposition de loi ne permettra en rien d’accroître l’attractivité réelle de notre territoire, qui se fonde sur des éléments plus concrets et palpables, c’est-à-dire sur des travailleurs qualifiés, des infrastructures de qualité et un système de protection sociale développé.
Faire de Paris une grande place financière ne constitue pas, selon nous, un objectif de politique publique utile économiquement et socialement. La financiarisation sur laquelle vous vous appuyez pour atteindre cet objectif fait, au contraire, peser un risque sur nos entreprises et, de manière plus générale, sur l’économie réelle. En agissant de la sorte, vous participez à la déshumanisation des relations économiques et financières.
Vous vous trompez, monsieur le rapporteur, madame la ministre ! Et je vous invite toutes et tous à vous plonger dans L’Orgie capitaliste, le formidable livre d’entretiens entre Adrien Rivierre et Marc Dugain. (M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit.)
Oui, il est temps de changer de modèle. Le groupe GDR-NUPES s’opposera fermement à ce texte et défendra des amendements visant à supprimer ses dispositions les plus néfastes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR-NUPES.)