Interventions

Discussions générales

Pt Accélaration de la production d’énergies renouvelables

Nous aurions dû défendre une motion de procédure mais les services ont commis une erreur – je ne leur en veux pas, du reste, eu égard à leur charge de travail. Je n’ai donc pas fait modifier l’organisation de la séance publique : je me concentrerai sur mon intervention dans la discussion générale.

Allons-nous passer l’hiver ? « Pas de panique ! », nous rassure-t-on au palais de l’Élysée : il n’y aura pas de coupure si le temps est bon, s’il n’y a pas trop de vent, s’il ne pleut pas et s’il fait beau, bref : si nous avons de la chance… « Tous responsables et pas de panique ! » : voilà un slogan qu’aurait pu lancer le capitaine du Titanic en plein naufrage. Car l’iceberg est devant nous, la coque du navire s’en approche à pleine vitesse et, à défaut d’une véritable stratégie pour s’en détourner et éviter ainsi des mesures de délestage humiliantes et aux conséquences difficiles à prévoir pour nos entreprises et les ménages, le Gouvernement nous a dégoté un nouvel outil, aussi gadget que dérisoire : Ecowatt, le nouveau Bison futé des délestages, qui nous permet de savoir dans quel état se trouve le réseau électrique, quand il risque d’être coupé et, surtout, à quelle heure.

Cet outil a pour vocation de gérer la peur et la panique plutôt que la crise, puisque nous ne savons pas quelles sont les mesures concrètes qui vont nous permettre de passer l’hiver. Doit-on encore une fois, comme lors de la crise du covid, constater l’impuissance de l’État et s’en remettre à soi-même ? Est-ce devenu ça, l’État : un gestionnaire d’applications de crise et de pénurie ?

Ce matin, le président de RTE a parlé de mesures de délestage au conditionnel, preuve que la stratégie de communication, probablement orchestrée par McKinsey ou autre, est bien huilée. Les seconds couteaux font le tour des plateaux de télévision et de radio pour préparer l’opinion à une éventuelle crise, puis deux scénarios se dessinent : soit il y a des délestages et vous pourrez dire : « Nous l’avions prévu, tout va bien se passer » ; soit il n’y a pas de délestages et vous pourrez dire : « Nous l’avions prévu, tout s’est bien passé. »

En vérité, nous sommes, nous, aveugles et démunis. La multiplication des menaces pesant sur la sécurité de notre approvisionnement et la vague de froid qui s’abat sur notre pays, conjuguées aux dysfonctionnements chroniques du marché de l’énergie, empêchent le Parlement et les Français de savoir qui est responsable et comment cette situation a pu se produire.

Aussi allons-nous examiner le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables : un beau prétexte pour ignorer la situation en cours. Écoutez plutôt le président André Chassaigne, qui propose d’organiser de toute urgence un débat au Parlement sur la question des délestages.

Il est nécessaire que la transparence soit faite au moment même où nous traversons cette crise. Nous avons besoin de savoir pourquoi, depuis six ans que le Président de la République est aux responsabilités, ni lui ni sa majorité n’ont rien fait pour stabiliser la production électrique du pays ; pourquoi ce projet de loi et celui relatif à l’accélération du nucléaire interviennent maintenant alors que, depuis le début de son premier mandat, Emmanuel Macron connaissait l’état vieillissant de nos centrales.

Plutôt que de débattre sur un projet de loi qui ne résoudra pas la crise de l’hiver qui vient, nous exigeons un nouveau débat sur la question des délestages auquel les élus locaux, les acteurs des collectivités du quotidien soient associés.

Les députés communistes du groupe GDR-NUPES vous alertent depuis des années sur le risque que fait peser le marché de l’énergie sur notre indépendance énergétique. À présent, ces alertes sont devenues concrètes. Nous aurions besoin de revoir en urgence l’organisation de ce marché. Il ne fallait donc pas inverser le calendrier législatif : nous devons discuter le plus rapidement possible de notre PPE afin d’adapter nos moyens aux besoins. En effet, cette crise n’est pas celle d’un moment, d’une conjoncture, elle est bien plus profonde, plus structurelle.

La situation que nous connaissons depuis des mois n’est pas le fruit du hasard ou seulement de la guerre en Ukraine démarrée en février 2022 : les prix de l’énergie ont explosé bien avant l’invasion russe. Le Gouvernement a été obligé d’intervenir dès octobre 2021 pour faire face à l’augmentation majeure des prix, à savoir plus 50 % depuis la libéralisation complète du marché du gaz et de l’électricité en 2007. Cette hausse frénétique ne semble pas vouloir s’arrêter, ce qui vous a contraints à dégainer le bouclier tarifaire en forme de passoire sur le dos d’EDF.

Pourquoi ? Parce que vous avez confié le soin au marché de régler le problème de gestion d’un bien commun comme l’énergie.

Engagée par une gauche qui avait renoncé et par une droite libérale, la dérégulation a été ce grand mouvement de destruction du service public national que constituait EDF et GDF, un modèle envié par tous qui a permis tous les grands investissements et les grands projets par le passé.

Mais le vent mauvais, le vent du marché, est passé par là, et la dérégulation nous expose désormais à toutes les spéculations, telles que l’indexation du prix de l’électricité sur le prix du gaz – la question n’est pas encore réglée à l’échelle européenne –, la libéralisation des prix, la fin programmée des tarifs réglementés de vente pour les clients résidentiels, d’ores et déjà actée aussi pour les collectivités locales et des milliers d’entreprises qui en subissent les effets. À ce sujet, je veux insister sur l’absence d’efficacité du filet de sécurité institué pour les collectivités et sur l’usine à gaz que continuent de représenter les mécanismes d’aide pour les entreprises dont la compétitivité est sérieusement en danger.

Ce système, que beaucoup d’entre vous ont contribué à ériger depuis vingt-cinq ans, a méticuleusement détruit les fondements sur lesquels repose l’équilibre européen : il a multiplié les mécanismes de marché et de soutien à la concurrence sans développer de politique structurante au plan industriel. Ce détricotage a si bien fonctionné que sont arrivés sur le marché de l’énergie des marchands de savonnettes, comme on dit chez moi, les TotalEnergies et compagnie qui n’ont pas développé de nouvelles capacités de production mais qui, au détriment des opérateurs publics, ont profité des fruits des investissements publics notamment grâce au mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) pour faire du low-cost, du démarchage abusif, de la concurrence bas de gamme, là où il n’y en avait pas besoin.

Un beau résultat, puisque douze ans après la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, la loi Nome, nous avons perdu des moyens de productions pilotables, ce qu’illustre la fermeture de Fessenheim en 2018. Un beau résultat puisque EDF a été siphonnée par la concurrence et malmené par des stop and go dans tous les domaines : aussi bien en ce qui concerne les salaires que la recherche et développement ou les compétences, à tel point qu’aujourd’hui, en France, pour faire face au grand carénage, aux corrosions sous contraintes, pour les réacteurs pressurisés européens (EPR), notamment à Penly, dans ma circonscription, nous manquons cruellement de soudeurs. Ainsi, empêtrée dans la mise à mort de son service public et le soutien à la concurrence libre et non faussée, notre pays s’est aussi embourbé dans un retard considérable pour décarboner notre mix énergétique.

La France est encore très largement dépendante des hydrocarbures et n’a pas réussi à enclencher une montée en puissance de l’électrification de la consommation énergétique afin de faire baisser la part des énergies fossiles. Notre pays avait pourtant des atouts pour réaliser ce défi et cette transition : des salariés de très haut niveau, un réseau électrique sûr au maillage complet sur le territoire, une forte synergie entre EDF et GDF, un programme nucléaire qui a fait ses preuves, une indépendance qui nous a d’ailleurs permis de participer à la solidarité européenne en exportant de l’électricité vers les pays qui en avaient besoin.

Cependant, ce modèle est fragilisé, vous le savez. Le déficit de production d’électricité d’origine nucléaire que nous connaissons, alors que vingt-trois des cinquante-six réacteurs nucléaires sont actuellement à l’arrêt, s’il est le fait de besoins de carénage, est aussi le fruit d’un sous-investissement chronique et de renoncements.

Que faire dans ce contexte ? Le Gouvernement nous propose d’inverser les sujets et les débats. Au lieu de discuter du plan, nous travaillons d’abord à ses détails avec le projet de loi visant à accélérer le déploiement des énergies renouvelables. Autrement dit, alors que nous manquons de sécurité en ce qui concerne l’approvisionnement pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande, nous cherchons à développer des moyens non pilotables, en urgence, sans plan, sans stratégie et, surtout, sans maîtrise publique.

Si nous savons qu’il est essentiel de développer un mix énergétique équilibré, diversifié, qui rattrape le retard pris par le pays sur ce point ; nous avons besoin d’un développement public, planifié, exemplaire, concerté, intégrant les conflits d’usage en mer comme à terre – nous formulons là une préoccupation majeure.

Or, depuis de nombreuses années, la montée en puissance des énergies renouvelables s’est faite au détriment de l’emploi local, de l’industrie made in France et de la maîtrise publique que nous appelons de nos vœux.

Nourries et appuyées par l’obligation d’achat et le complément de rémunération, les énergies renouvelables ont ainsi pu largement bénéficier d’un soutien public sans que jamais la Commission européenne n’y trouve rien à redire. Des dizaines de milliards d’euros ont ainsi permis à tous les porteurs de projets privés d’investir nos paysages. La montée en puissance des énergies renouvelables s’est faite sans planification. Leur développement anarchique a répondu à la seule logique de marché. Les porteurs de projets ont développé ainsi le plus rentable et le plus facile, par exemple l’éolien plutôt que la géothermie. Ils ont également fait le choix de concentrer les installations là où la rentabilité des projets est la plus immédiate, aussi ils les ont concentrés chez les pauvres, dans les Hauts-de-France, le Grand Est ou le nord de la Seine-Maritime, où la saturation commence à être patente.

L’éolien en mer a suivi la même logique : l’exemple parfait de ce que le marché peut faire à nos écosystèmes marins au mépris total de la volonté des élus et des pécheurs est le projet de parc au large du Tréport.
Emmanuel Macron semblait partager ce constat : il a déclaré le 14 janvier 2020 à Pau, lors d’une table ronde, que « la capacité à développer massivement l’éolien est réduite », insistant sur le fait que « le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays ».

La Première ministre, alors ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, déclarait une semaine plus tard : « Le développement de l’éolien est très mal réparti en France. […] Cela s’est fait de façon anarchique, et on a des territoires dans lesquels il y a une saturation, y compris visuelle. » Il existait alors un consensus pour dire que ce développement s’était fait sans maîtrise publique, ni structuration de filières françaises, au détriment de nos paysages, de notre patrimoine, et surtout de notre économie, puisque la majorité des producteurs d’éoliennes sont situés outre-Rhin et que l’essentiel des produits du marché du photovoltaïque sont fabriqués en Chine.

Une accélération, oui, mais laquelle ? Sans véritable plan ni moyens, l’État ne va pas accélérer grand-chose. Il ne fera que mettre une fois de plus les mêmes territoires à contribution, au mépris des procédures de concertation du public, de notre indépendance et de la biodiversité, comme l’ont dénoncé des dizaines d’institutions et d’organisations non gouvernementales.

L’accélération n’est pas ce qui motive réellement ce projet de loi. Il vise à envoyer un signal au marché : en France, c’est désormais open bar au développement sans contraintes des énergies renouvelables. Rien ne saura entraver les VRP d’éoliennes ou des panneaux solaires, car rien n’existe dans ce projet – ou pas grand-chose, devrais-je dire – pour empêcher le développement des énergies renouvelables hors des zones définies comme prioritaires par les maires.

Ce projet de loi ne revient sur rien et propose au contraire d’accélérer la mise en miettes de la péréquation tarifaire – toutefois, j’ai cru comprendre qu’un amendement vise à corriger cela ; nous l’examinerons avec attention.

Nous alertons les députés de gauche comme de droite qui sont attachés à l’unicité d’EDF, car ce projet de loi peut constituer le premier levier, la première marche, pour faire entrer le cheval de Troie où se cache Hercule 2.0, ce projet que vous attendez tant pour démanteler une fois pour toutes EDF. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Après avoir livré les énergies renouvelables au marché et à la rentabilité, vous allez investir dans les EPR et préparer la découpe de notre fleuron.

Et si nous passons l’hiver, au travers de votre impréparation, vous concoctez un plan pour démontrer qu’EDF ne peut pas passer un hiver de plus.

Le groupe GDR-NUPES a déposé une centaine d’amendements qui visent à instituer des garde-fous, à corriger la copie. C’est dans cet état d’esprit que nous entamons ce débat passionnant. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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