L’article 75-1 de la Constitution qui, depuis 2008, précise que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », a été une rupture et une promesse. En forçant à peine le trait, on peut affirmer que beaucoup ont vu dans cette reconnaissance une sorte de traité de paix, tant la France a longtemps eu mal à sa diversité linguistique, qu’elle considérait plus comme une menace que comme une richesse.
Bien sûr, il y eut en 1951 la loi Deixonne relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui a autorisé l’apprentissage des langues régionales dans l’enseignement public pour faciliter l’étude du français, mais son application fut marquée par une grande prudence et il a fallu attendre 2017 pour qu’une circulaire ne l’étende officiellement aux langues régionales d’Alsace et de Mayotte. Reste que la France, pays d’Europe occidentale qui compte le plus de langues – cela a été dit –, est aussi l’un des derniers États à ne pas avoir ratifié la charte européenne des langues régionales ou minoritaires (M. Jean-Charles Larsonneur applaudit) : celles-ci ne bénéficient donc toujours pas des mesures de protection mais aussi de promotion prévues par ce texte.
Dans ce paradoxe se trouve sans doute une des raisons expliquant l’embarras qui se fait jour dès lors qu’il s’agit d’enseignement. L’examen du présent texte, proposé par notre collègue Paul Molac, en est une nouvelle illustration puisque, si les dispositions relatives à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur utilisation dans la signalétique et dans les actes d’état civil, sont à présent fixées, les articles qui restent à discuter en deuxième lecture portent exclusivement sur les aspects liés à l’école.
Loin de nous l’idée de méconnaître les avancées réalisées dans la législation comme dans la pratique républicaine, mais notre grande richesse linguistique requiert une vraie ambition politique. Il est désormais possible d’agir dans un climat d’autant plus apaisé que, nous le savons, promouvoir les langues régionales, leur diffusion et leur enseignement ne signifie pas s’opposer à la promotion, à la diffusion et à la maîtrise du français.
Les outre-mer, où sont parlés les deux tiers des langues régionales recensées en France, en sont particulièrement convaincus. Notre collègue Karine Lebon, qui aurait beaucoup aimé être parmi nous ce matin, souhaite montrer le chemin qui reste à parcourir. Ainsi, à La Réunion, où le créole est la langue maternelle de 80 % des habitants et structure le quotidien et les modes de pensée, les échanges et les créations culturelles, notamment le maloya, à peine 4 % des élèves seraient concernés par un dispositif prenant en considération la langue et la culture réunionnaises.
Pourtant, les linguistes, les pédagogues et les chercheurs convergent vers une école qui prenne toujours plus en considération le milieu de l’enfant, ce que l’on appelle le « déjà là ». Un enfant, un apprenant, n’est-ce pas cette boîte magique où l’on accumule des connaissances ? Ce n’est pas seulement cela, non ! Rempli d’affects, doué d’un cerveau structuré en connexions neuronales, il se construit de va-et-vient entre ce qu’il sait déjà et ce qu’il apprend, entre son univers proche et le monde. Plus on s’appuie sur son univers proche, plus on lui ouvre le monde. Il se trouve que, dans nos outre-mer, l’univers proche est un fait hybride, plurilingue, pluriculturel, et qu’il s’agit bel et bien là d’une chance extraordinaire.
Le vote conforme de la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion constituerait, selon nous, une avancée significative pour notre pays dans son rapport à la langue et à ses langues. Un tel vote serait en quelque sorte au rendez-vous de la déclaration du Président Macron le 21 juin 2018 : « Les langues régionales jouent leur rôle dans l’enracinement qui fait la force des régions. Nous allons pérenniser leur enseignement. » Ce « nous », tant décrié dans d’autres circonstances, doit prendre effet à travers l’adoption de la présente proposition de loi.
Je conclurai en disant que c’est un jacobin qui vous parle, non pas celui que certains se plaisent tant à caricaturer, mais celui qui, dans la pure tradition révolutionnaire, conjugue à la fois unité et diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur plusieurs bancs du groupe LR et sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.)