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Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026

Nous abordons ce budget au lendemain de la célébration du 80e anniversaire de la sécurité sociale. Chacun a pu dire, à cette occasion, son attachement à notre modèle de protection sociale. Certains ont même prétendu vouloir le sauver. Pour ma part, je constate que la sécurité sociale est grandement maltraitée et mise en difficulté, au détriment de ceux par qui et pour qui elle existe, à savoir chacun d’entre nous.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ressemble à tous les précédents, avec toutefois une portée austéritaire inédite. Il part du constat que le déficit s’aggrave ; c’est vrai, nous ne le nions pas, mais ce gouvernement, comme les précédents, n’interroge pas les causes du déficit. Le déficit serait forcément lié à un dérapage des dépenses et, partant de cette vision pour le moins simpliste, le seul levier serait de réduire les dépenses.

En conséquence, vous nous soumettez un budget inédit quant aux économies qu’il vise à réaliser –⁠ 7 milliards d’euros, principalement à la charge des assurés sociaux. Pour y parvenir, vous fixez une progression de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie à un niveau historiquement bas, à 1,6 % seulement. Cette progression est certes légèrement supérieure à l’inflation, mais elle est largement inférieure à l’augmentation naturelle de ces dépenses, estimée à 4,5 %, soit 10 milliards d’euros sans mesures de réduction.

Les cinq principales fédérations hospitalières ont d’ores et déjà dénoncé « la pire cure d’économies sur l’hôpital depuis les années 2010 » et ont annoncé qu’il leur manquera au moins 1 milliard pour fonctionner. Les Ehpad publics, déficitaires pour 70 % d’entre eux, resteront avec une dette d’au moins 500 millions d’euros.

Il n’est pas nécessaire d’être un grand comptable pour savoir que cet Ondam ne pourra pas être tenu et que, mécaniquement, il creusera le déficit de la sécurité sociale. Nous savons tous que ce budget aggravera le déficit de nos hôpitaux, qui culmine à plus de 2,8 milliards, ainsi que celui de nos Ehpad, et qu’il affectera lourdement la qualité de l’accès aux soins.

Il n’y aura pas moins de malades, pas moins de maladies professionnelles et d’accidents du travail parce que vous réduirez les droits relatifs aux arrêts de travail. Il n’y aura pas moins d’ALD parce que vous rognerez les droits des personnes en ALD non exonérante. La paupérisation de notre société ne va pas ralentir parce que vous gèlerez l’ensemble des prestations sociales et sous-indexerez durablement les pensions de retraite. De la même manière, ce n’est pas parce que vous allez décaler d’une génération l’application de la réforme des retraites que la population consentira à cette réforme injuste et que les travailleurs trouveront la force de pousser jusqu’à 64 ans et 43 annuités de travail.

Toutes vos propositions contournent les problèmes que sont la dégradation des conditions de travail et l’absence de politique publique de prévention et tentent de rendre invisibles ceux qui en souffrent, au premier rang desquels les travailleurs et les malades, ainsi que l’ensemble des professionnels de santé.

De ce point de vue, ce budget feint de méconnaître les voies alternatives qui existent pourtant. Les trois hauts conseils du champ social, mandatés en mars dernier par François Bayrou, ont affirmé qu’il était tout à fait possible de bâtir « une stratégie cohérente et juste, inscrite dans la durée » pour « rétablir progressivement les comptes sociaux », de « proposer des solutions répartissant équitablement […] la charge de l’effort », et ce sans « renoncer à la couverture des besoins, en particulier pour les populations les plus vulnérables ». Oui, il est tout à fait possible d’être financièrement responsables et socialement ambitieux.

Pour ce faire, il faut rompre avec une « vision court-termiste » –⁠ expression du conseil de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), qui a massivement rejeté le PLFSS. Il faut oser des « stratégies structurantes » –⁠ exigence formulée par le Conseil de l’âge du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), lui aussi peu convaincu par ce texte. Il faut nécessairement mettre un terme à la « tentative de dérive gestionnaire » dénoncée par le Conseil national de l’Ordre des médecins, qui considère que votre PLFSS réduit le patient « à un "coût" ou à une variable d’ajustement budgétaire ». Il faut le courage de la rupture avec les précédentes politiques budgétaires. Il faut urgemment revenir aux fondamentaux de la sécurité sociale, et le financement solidaire par la cotisation sociale constitue le premier d’entre eux.

Les députés communistes et des territoires dits d’outre-mer défendent cette position depuis de très longues années. Ils sont désormais soutenus par les trois Hauts Conseils, qui affirment clairement que « les recettes sont un élément constitutif de la sécurité sociale ». La Cour des comptes, dans sa communication à la commission des affaires sociales motivée par l’examen de ce projet de loi, souligne « un apport modéré des recettes nouvelles ». Pourtant ces recettes existent. Je ne citerai que les niches sociales : prises dans leur ensemble, exonérations et exemptions d’assiette ont atteint 91,3 milliards d’euros en 2024 et représenteront presque autant en 2025.
La participation et l’intéressement, dont il a été démontré qu’ils constituent des dispositifs de contournement du salaire, dépassent quant à eux les 26 milliards d’exemptions d’assiette. Vous ne vous y attaquez pas. Vous préférez vous en prendre au financement des activités sociales ou culturelles gérées par les comités sociaux et économiques (CSE) ! De même, vous laissez filer 2,9 milliards d’exonérations portant sur des heures supplémentaires qui, une fois de plus, ne seront pas compensées, et qui se substituent en partie à la création d’emplois. La réduction générale des allègements entamée l’an dernier, beaucoup trop timide, ne résout pas le problème de fond : il faut aider nos entreprises, mais au moyen d’aides publiques ciblées, mesurées, soumises à conditions, non d’exonérations à tout va qui ont fait la preuve de leur inefficacité en matière de qualité des emplois, de lutte contre le chômage de masse, et qui ont conduit à la smicardisation de notre pays.

Délibérément, je le crains, vous entretenez ce cercle vicieux au lieu de rétablir le cercle vertueux sur lequel a été fondée notre sécurité sociale : celui du travail salarié dans le cadre duquel employeur et employé cotisent en vue de l’acquisition de droits bénéficiant aux deux parties. En effet, des salariés qui peuvent se soigner sont des salariés qui produisent ; des patrons contraints par une cotisation concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles sont des patrons qui veillent un peu plus aux conditions de sécurité ; des salariés assurés d’une bonne retraite à un âge décent se montrent d’autant plus investis dans leur vie professionnelle. Un salaire qui protège contre les risques de la vie est un salaire qui participe du sens du travail. Favoriser l’emploi, le salaire, les évolutions salariales, assure donc la soutenabilité de la sécurité sociale et sa capacité de répondre durablement aux besoins. Dans votre obsession de réduire sans cesse le coût du travail, vous passez totalement à côté de ce lien étroit entre travail et sécurité sociale, nourrissant dès lors le moins-disant social et la désespérance des travailleurs.

D’ailleurs, à ce coût du travail qui est en fait le coût du travailleur fait désormais pendant le coût du malade, qu’il s’agirait également de réduire à rien. Dans ce but, vous agitez avec détermination la dette de la sécurité sociale, qui au fond sert votre projet politique. Cette dette, c’est d’abord et avant tout le résultat d’un manque criant de recettes, aggravé par un financement à des taux hors du commun sur les marchés financiers. Pourquoi ne pas revenir à ce qui fonctionnait très bien ? Jusqu’à la création de la Cades, lorsque la sécurité sociale connaissait des déficits, il existait deux stratégies principales : la hausse des taux de cotisation et l’emprunt auprès de la Caisse des dépôts et consignations, c’est-à-dire un crédit public, assuré par l’État, qui donnait de l’air à la sécurité sociale sans la mettre en danger.

Enfin, ce projet de budget semble ne tenir aucun compte des débats de l’année dernière, qui avaient abouti à un certain consensus concernant le fait que nous arrivions au bout de la pratique de l’Ondam et des lois de financement de la sécurité sociale. Des idées de solutions alternatives, notamment de lois de programmation pluriannuelle, ont fait leur chemin. La Fédération hospitalière de France (FHF) a transmis à vos prédécesseurs, au printemps dernier, le détail de ce que pourrait être une telle loi pour nos hôpitaux et établissements sociaux et médico-sociaux. Relayée par les trois Hauts Conseils, cette proposition reste pourtant lettre morte !

J’attendais un PLFSS qui ose enfin ouvrir les débats qui s’imposent lorsque l’on veut véritablement soutenir, ou sauver, notre modèle de protection sociale : le débat sur les recettes issues de la cotisation, le débat sur la financiarisation de la dette, le débat sur les impasses de l’Ondam au regard de la stabilité qu’apporterait la programmation en santé. Bien sûr, la responsabilité politique aurait commandé que ce budget soit soutenu par une loi de santé publique et sur le grand âge. En effet, les mesures budgétaires sans rapport avec une politique publique de santé n’ont finalement pas grand sens : elles sont en décalage parce qu’elles ne servent pas un projet politique, un projet de société. Les Français ont besoin de ces perspectives ; en l’état, ce texte les leur refuse et fragilise l’avenir de notre sécurité sociale.

Mesdames et monsieur les ministres, nous avons besoin de débattre des moyens que nous voulons mobiliser en faveur de notre système de protection sociale. Je crois profondément aux vertus du débat : il y a nécessité d’avancer, que chacun soit éclairé au sujet des positions des uns et des autres. En la matière, nos intentions sont claires. Nous, le groupe GDR, voulons maltraiter votre projet –⁠ le maltraiter à un tel point qu’il devienne un autre PLFSS et réponde enfin aux besoins grandissants de la population. Madame la ministre de l’action et des comptes publics, vous m’avez interrogé en commission sur notre positionnement, qui conduirait à des recettes sans cesse croissantes –⁠ selon vos termes, sur la soutenabilité du financement de la sécurité sociale par la cotisation. En fait, nous défendons simplement une idée de justice sociale : que les recettes qui permettent de protéger nos concitoyens contre les aléas de vies parfois difficiles soient indexées sur la création de richesses. C’est le principe de la cotisation. En d’autres termes, nous voulons que celles et ceux qui créent ces richesses, ou en ont créé, profitent justement et dignement des fruits de leur travail. (« Excellent ! » et applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Yannick
Monnet

Député de l' Allier (1ère circonscription)
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