RAPPORTEUR
Chaque année, le 8 mars, nous célébrons la Journée internationale des droits des femmes. Je me souviendrai longtemps de celle de l’an passé. Des femmes, atteintes d’un cancer du sein, nous ont interpellés, mon collègue Yannick Monnet et moi.
Elles étaient en colère. À leur souffrance, à leur détresse physique et morale, s’ajoutaient d’angoissantes difficultés financières. Nous leur avons promis d’agir et d’inscrire ce sujet à l’ordre du jour de nos travaux. C’est chose faite !
Le cancer du sein meurtrit profondément les femmes ; il les atteint dans leur chair, dans leur intimité, dans leur féminité, dans tous les rapports qu’elles ont avec la société, comme dans leur vie professionnelle. Une femme sur huit affronte l’épreuve au cours de sa vie. « Le 22 juin, j’étais seule quand l’oncologue m’a détaillé le protocole de soins à venir », nous a raconté Marie-Noëlle. Elle poursuit : « Début juillet, démarrage de la chimio, puis opération : mastectomie totale et curage axillaire. Pas de prothèse. Ça fait vide… »
Oui, le cancer du sein est le cancer des femmes, même si 1 % des diagnostics concernent les hommes.
Chaque année, 60 000 femmes de plus sont touchées par cette maladie, dont on guérit heureusement de plus en plus souvent, mais qui reste le cancer féminin le plus meurtrier, avec plus de 12 000 décès par an.
En 2023, la Caisse nationale d’assurance maladie recensait plus de 700 000 femmes vivant avec un cancer du sein dans notre pays. Parmi elles, beaucoup expriment des craintes de ne pas pouvoir assumer les dépenses non prises en charge, dont le niveau est variable, mais qui s’élèvent à plusieurs centaines d’euros, voire davantage – certains malades nous ont parlé de 1 300, voire 2 500 euros de restes à charge lors des auditions.
L’attente est donc immense pour venir à bout de telles injustices, des injustices en contradiction avec le statut protecteur des affections de longue durée (ALD). L’assurance maladie parle de prise en charge intégrale du traitement mais, en réalité, il reste de nombreux trous dans la raquette.
C’est à cela que s’attaque cette proposition de loi qui vise à la prise en charge par l’assurance maladie des soins liés au traitement du cancer du sein. L’article 1er, dans sa version adoptée à l’unanimité par la commission, garantit une meilleure prise en charge de nombreuses dépenses liées à ce cancer. Il s’agit de l’ensemble des participations forfaitaires, forfaits et franchises, souvent angoissantes pour les plus précaires. Ils ne seront plus applicables, ce qui représente au minimum une économie de 100 euros par an pour les patientes.
Il s’agit également de la prise en charge intégrale des prothèses capillaires, quels que soient leur catégorie et le tarif, et du remboursement du renouvellement des prothèses mammaires au bout de dix ans. Plus largement, l’ensemble des soins et des dispositifs prescrits, dont les soins de support, seront pris en charge intégralement par les organismes d’assurance maladie.
La liste sera définie par décret et nous vous proposons, par amendement, d’associer les associations de malades, d’aides aux victimes du cancer et les médecins à sa rédaction. C’est très important car de nombreux restes à charge proviennent d’achats de produits qui ne sont pas prévus dans le panier de soins, bien qu’ils soient prescrits et souvent indispensables. Désormais, quand ils seront prescrits, ils seront remboursés.
Il s’agit par exemple des brassières postopératoires ou compressives, des mousses mobilisatrices que l’on utilise en cas d’œdème du sein, du thorax, ou de lymphœdème au niveau du bras, des manchons pour le lymphœdème chronique qui peuvent coûter jusqu’à 100 euros, également non pris en charge alors qu’ils sont, je le répète, indispensables.
En cas de reconstruction, les soutiens-gorge postopératoires ne sont pas plus pris en charge. Or, ils peuvent coûter 70 euros le premier mois et la patiente doit les porter vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il en faut donc deux, ce qui représente une dépense de 140 euros.
Les patientes les plus précaires renoncent à certains soins ou produits qui s’avèrent trop onéreux. C’est le cas des soins de support, dont la liste est pourtant établie par l’Institut national du cancer : activité physique adaptée (APA), consultations de diététique, suivi psychologique ou encore soins de socio-esthétique, indispensables pour les patientes, mais non remboursés par l’assurance maladie.
Prenons l’exemple de l’APA dont nous parlons beaucoup tous les ans lors de l’examen du budget de la sécurité sociale : alors que son efficacité sur les risques de récidive est scientifiquement démontrée, elle n’est pas remboursée par la sécurité sociale, même lorsqu’elle est prescrite par un médecin !
Or il faut compter 40 euros par séance, pour une dizaine de séances au minimum, soit 400 euros supplémentaires à la charge de ces femmes. En l’absence de remboursement, les professionnels de l’APA sont parfois des charlatans – tout le monde peut proposer cette activité puisqu’elle n’est pas remboursée – qui exercent auprès de femmes déjà affaiblies par la maladie.
Elles ont exprimé leur colère lors des auditions : « Si on avait une pilule dont il est démontré qu’elle réduit le risque de cancer, serait-elle remboursée ? Bien sûr que oui ! Alors pourquoi on ne rembourse pas l’APA ? »
C’est tout cela que l’article 1er prévoit de prendre en charge, tant que les soins sont prescrits par un médecin.
Le signal envoyé aux malades et à toutes les associations qui se mobilisent à leurs côtés est donc très clair : nous allons réparer l’injustice que vous vivez ; nous allons vous accompagner et l’argent ne sera pas un frein à vos chances de guérison et de reconstruction après le cancer.
C’est un pas considérable, mais il en reste un à franchir, celui qui concerne les dépassements d’honoraires pour des soins réalisés dans le secteur privé, en l’absence d’offre accessible dans le secteur public. C’est par exemple le cas pour la chirurgie de reconstruction après l’ablation du sein, pour laquelle les dépassements d’honoraires atteignent 5 000 euros par sein – soit 10 000 euros pour un résultat symétrique. Il en est de même de la reconstruction de l’aréole, sur le mamelon, également considérée comme de la chirurgie esthétique. Elle coûte cher, et n’est pas prise en charge.
Devant de telles sommes, vécues comme une injustice flagrante, beaucoup de femmes renoncent aux soins. Ainsi, Marion, frappée par un cancer du sein à 38 ans, est dans l’incapacité de faire face aux dépenses de reconstruction mammaire : « Comment peut-on avancer dans la vie ? Comment tourner la page ? » s’indigne-t-elle légitimement. « On a associé mon opération de reconstruction à de la chirurgie esthétique. Or je veux juste me reconstruire, pas avoir une poitrine de bimbo ! J’ai 38 ans, je pense que j’ai le droit de bénéficier d’une reconstruction sans avoir à me battre ; j’ai assez donné pendant la maladie. »
Ces dépassements d’honoraires sont bien sûr le résultat de politiques de santé publique qui ont abouti à la création de déserts médicaux. Est-ce aux patientes de payer l’absence de régulation de l’offre médicale sur le territoire ? Non, bien sûr !
C’est pourquoi je regrette que la prise en charge intégrale des dépassements d’honoraires que nous avions prévue ait été supprimée en commission. Je comprends que c’est parce qu’il s’agit d’un poste de dépenses important. Il l’est pour les patientes atteintes du cancer du sein, mais aussi pour beaucoup de nos concitoyens atteints de maladies graves, qui ont besoin de spécialistes ou de chirurgiens.
C’est pourquoi j’appelle notre assemblée à trouver des réponses adaptées pour le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). La présidente de la commission, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, a proposé de lancer une mission d’information sur les dépassements d’honoraires et je l’en remercie. Je souhaite que la mission fasse des propositions et que nous puissions les étudier dans les prochains mois.
Malgré tout, dans la rédaction qui vous est soumise, cette proposition de loi est une avancée importante pour toutes les femmes atteintes de cancer du sein. J’espère que cette proposition de loi, humaine et juste, pourra être adoptée ce soir et poursuivre son chemin vers le Sénat, puis revenir à l’Assemblée pour y être adoptée définitivement.
J’espère que, d’ici quelques mois, nous pourrons faire connaître cette grande nouvelle aux 700 000 femmes concernées et inquiètes. J’espère, tout simplement, que nous n’aurons plus jamais à entendre ce que l’on nous a confié lors d’une audition : « entre se soigner ou se nourrir, il faut choisir ». Votons ce texte qu’attendent avec impatience les femmes atteintes d’un cancer du sein. (Les députés du groupe GDR-NUPES applaudissent debout. Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. Mme Caroline Abadie applaudit également.)