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Pn reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire

Le sujet que nous examinons peut paraître anecdotique à certains ; pourtant, il ne l’est pas aux yeux de nombre de nos concitoyens, pour lesquels c’est un vrai problème. Les discriminations fondées sur la nature et le style des cheveux sont de plus en plus reconnues dans les pays anglo-saxons. Ce sont bien souvent les cheveux afros qui font l’objet de remarques négatives et de demandes particulières, visant notamment à les lisser.
La stigmatisation des cheveux crépus trouve ses origines dans la période coloniale et esclavagiste. Depuis le XVe siècle, la texture des cheveux tout comme la couleur de peau ou les traits faciaux ont servi à catégoriser et à exclure des populations. Fondés sur des modèles physiques occidentaux, les cheveux lisses se sont imposés comme un critère hégémonique de beauté. Malgré le travail de revalorisation sociale de la coupe afro et des dreadlocks mené par les militants antiracistes et de libération noire en Afrique et en Amérique depuis les années 1960, les discriminations fondées sur l’esthétique capillaire persistent.
Aux États-Unis, les chiffres sont ahurissants : un quart des femmes afro-américaines considèrent ne pas avoir été embauchées à cause de leur style capillaire et deux tiers d’entre elles changent de coiffure avant leur entretien d’embauche. Par ailleurs, ces discriminations, qui poussent des hommes et des femmes à modifier le caractère de leurs cheveux, ont des conséquences insoupçonnées et particulièrement importantes sur la santé.
Selon une enquête menée aux États-Unis par les instituts nationaux de la santé (NIH), les femmes qui utilisent des produits capillaires pour défriser leurs cheveux ont un risque plus élevé de souffrir d’un cancer de l’utérus que celles qui n’en utilisent pas. Le député Olivier Serva, que je salue pour l’initiative de cette proposition de loi, a porté récemment à notre connaissance une étude stupéfiante, menée notamment par un néphrologue de l’hôpital de la Conception à Marseille et publiée le 21 mars 2024 dans The New England Journal of Medicine, qui démontre un lien de causalité entre l’usage de produits de lissage et le développement d’insuffisances rénales.
En France, le juge et le législateur ont déjà agi pour interdire et sanctionner toute discrimination fondée sur l’apparence physique, sans fournir toutefois un cadre juridique spécifique pour la discrimination capillaire. Dans un arrêt du 23 novembre 2022, la Cour de cassation a jugé que la compagnie Air France avait commis une discrimination fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe en interdisant à un steward de porter des tresses africaines nouées en chignon, alors que celles-ci étaient autorisées au sein du référentiel relatif au personnel navigant commercial féminin. Si cette interdiction pouvait être considérée comme relevant de la discrimination capillaire, le juge a considéré qu’il s’agissait en l’espèce d’une différence de traitement entre les hommes et les femmes.
La loi reconnaît et sanctionne déjà les discriminations liées à l’apparence physique puisqu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son apparence physique. Nous pourrions donc considérer que le cadre légal reconnaissant les discriminations fondées sur l’apparence physique, l’origine ou encore l’appartenance à une ethnie, permet au juge de sanctionner toute discrimination fondée sur l’esthétique ou la texture capillaire d’un individu. Pourtant, selon l’auteur de la proposition de loi, la législation en vigueur n’apporte aucune précision sur l’élément significatif que représentent les cheveux d’un individu.
L’article unique de la présente proposition de loi intègre ainsi toute forme de discrimination capillaire au sein de la répression pénale des discriminations. Il est légitime de déterminer si le cadre législatif existant suffit à répondre à ces discriminations particulières et s’il est nécessaire de l’approfondir. Pour autant, nous reconnaissons et soutenons la dimension symbolique de ce texte, car il s’agit d’un véritable problème pour nombre de femmes et d’hommes dans notre pays. Le groupe Gauche démocrate et républicaine votera bien sûr en faveur de cette proposition de loi.

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Soumya
Bourouaha

Députée de Seine-Saint-Denis (4e circonscription)
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