Il y a un an, dans un contexte de forte inflation, notre assemblée a choisi de prolonger la possibilité d’utiliser les titres-restaurant pour l’achat de denrées alimentaires non directement consommables. Cette dérogation a été inscrite en 2022 dans la loi sur le pouvoir d’achat. Nous avons pleinement soutenu cette mesure et la soutiendrons encore, car en deux ans, la situation sociale n’a malheureusement guère changé.
L’UFC-Que choisir a dressé un constat implacable : non seulement l’inflation des prix des produits de grande consommation est bien supérieure aux données officielles, mais elle ne s’explique pas complètement par la conjoncture économique. Depuis janvier 2022, toujours selon l’UFC-Que choisir, les prix de la viande ont augmenté de plus de 20 %, ceux du poisson de plus de 10 % et ceux des produits laitiers de plus de 26 %. Globalement, les prix des produits non directement consommables visés par la proposition de loi ont augmenté de plus de 24 %.
Cette hausse des prix, conjuguée à la stagnation des salaires, contraint aujourd’hui près du tiers de nos concitoyens à ne pas toujours faire trois repas par jour. Plus de la moitié déclarent avoir accès à une nourriture suffisante mais pas toujours aussi saine qu’ils le souhaiteraient.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que l’immense majorité des salariés bénéficiaires des titres-restaurant souhaitent pouvoir continuer de les utiliser pour leurs achats alimentaires. Il va donc de soi que nous voterons le texte proposé.
Il n’en reste pas moins que le système des titres-restaurant est discutable à plusieurs égards. Si 5,4 millions de Français bénéficient quotidiennement de cet avantage social, il ne profite pas à l’ensemble des salariés. Il ne devrait pas non plus se substituer à la nécessaire augmentation des salaires. Depuis 2019, le salaire minimum a progressé de 33 % au Royaume-Uni, de 31 % en Allemagne, de 20 % en Espagne mais seulement de 15 % en France – une hausse très loin de compenser l’inflation.
Alors que des études récentes ont montré que l’inflation a contribué à dégrader la qualité des denrées alimentaires consommées par les Français et donc leur santé, nous ne pouvons nous satisfaire d’un bricolage législatif. Pérenniser la dérogation mise en place en 2022 n’est pas suffisant : nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur une alimentation de qualité accessible à tous. Surtout, il ne faut pas laisser le dispositif actuel dériver vers un système de bons alimentaires.
Enfin, nous ne pouvons ignorer que les conditions d’émission des titres-restaurant soulèvent des questions, ce que la rapporteure a rappelé. Quatre prestataires se partagent un marché qui pèse quelque 9 milliards d’euros. Ils se rémunèrent sur le dos des salariés, des employeurs et des établissements qui acceptent ces titres, en touchant une commission. L’Autorité de la concurrence leur a d’ailleurs infligé une amende de 415 millions d’euros en 2019 pour sanctionner des pratiques anticoncurrentielles, qui relevaient de la collusion.
De toute évidence, le dispositif des titres-restaurant doit être réformé en profondeur. Nous saluons à cet égard l’adoption en commission de l’amendement du groupe Écologiste et social : le gouvernement doit se saisir de cet enjeu et proposer une réforme structurelle du dispositif. La pérennisation, en l’état, ne peut être que provisoire.
Sous le bénéfice de ces observations, et dans l’attente de la présentation d’un texte plus ambitieux, nous voterons en faveur de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – Mme Annaïg Le Meur applaudit également.)