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Pn Const. constitutionnaliser la sécurité sociale

« Jamais nous ne tolérerons que soit renié un seul des avantages de la sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir, et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès[…]. » Ce sont les mots, tenus à cette même tribune en octobre 1950, peu avant sa disparition, par Ambroise Croizat, qui fut ministre du travail et de la sécurité sociale. Son combat était celui de la solidarité et de la dignité. Son but était de libérer nos concitoyens de l’angoisse du lendemain.

Près de trois quarts de siècle plus tard, nous voici réunis dans le cadre de la niche de notre groupe pour débattre de la proposition de loi constitutionnelle dont notre collègue Pierre Dharréville est le rapporteur, qui vise à inscrire la sécurité sociale dans notre Constitution.

Il est frappant, voire paradoxal, de constater l’absence, dans ce texte fondamental, de l’institution qui incarne le mieux la république sociale. La sécurité sociale constitue l’une des matérialisations quotidiennes les plus tangibles et puissantes de notre promesse républicaine. Ce modèle est un précieux acquis – ou plutôt conquis – du Conseil national de la Résistance. Il est reconnu, et parfois envié, à travers le monde. Il nous revient d’en reconnaître la profondeur historique.

Rappelons également que la sécurité sociale est conçue pour être financée par le salaire socialisé, et qu’elle était, à l’origine, gérée directement et majoritairement par les salariés. Car, oui, ce sont les salariés qui financent la protection sociale de notre pays puisque ce sont eux qui produisent ses richesses. Ce rappel des faits est plus que jamais utile à l’heure où vous avez choisi de faire les poches de l’assurance chômage, et donc celles des salariés.

Dès 1967, ces derniers ne disposent plus des trois quarts des postes d’administrateurs des caisses de sécurité sociale, et les élections à ces postes sont supprimées. En 1991, la contribution sociale généralisée (CSG) bouleverse le financement par la cotisation. Parallèlement, des politiques d’allègements des cotisations sociales se succèdent depuis trente ans, sans que personne ne s’interroge sur leur pertinence. Pire, l’an dernier, l’opposition de tous les conseils des caisses à la loi de financement de la sécurité sociale n’a eu aucun effet. Ce processus de dépossession – de désappropriation – ne peut pas continuer.

C’est pourquoi nous souhaitons réaffirmer notre attachement, et surtout celui des Françaises et Français que nous représentons, à la belle et grande sécurité sociale. Cet attachement n’a rien d’une nostalgie car cette institution fait pleinement partie de notre quotidien et de celui de nos concitoyens, en particulier dans les moments les plus difficiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

Cet attachement relève d’une espérance commune. Il suppose de protéger la sécurité sociale des marchés qui profitent de ses démantèlements pour spéculer et se développer au détriment de notre protection sociale. Les attaques successives contre notre modèle aboutissent à la moins bonne protection de nos concitoyens contre des risques sociaux pourtant bien identifiés.

Aucune branche n’est épargnée par ces attaques – reports de l’âge de la retraite, baisses des remboursements des soins et des médicaments, réductions de l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. La sécurité sociale est attaquée et nous devons la protéger. C’est notre objectif, et le constat devrait sauter aux yeux de tous.

Pourtant, lors de l’examen de ce texte en commission des lois, plusieurs dizaines d’amendements ont été déposés par le groupe Renaissance, dont près de la moitié n’ont pas le moindre lien avec la sécurité sociale. C’est également le cas en séance, comme si la sécurité sociale ne vous intéressait pas. Avec gravité, nous nous interrogeons sur l’utilisation de telles méthodes lors de l’espace réservé à un groupe d’opposition.

Quant aux amendements de l’extrême droite, d’une autre nature, ils sont tout aussi révélateurs : ils illustrent bien à quel point le RN ne porte strictement aucun intérêt à la question sociale.

Ses votes successifs dans l’hémicycle l’ont démontré depuis longtemps mais, dorénavant, il ne s’en cache plus. Pour les députés du groupe RN, la seule question qui vaille la peine d’être soulevée, c’est de savoir si celui qui bénéficie de la sécurité sociale est né sur le sol français.

Heureusement qu’en 1945, personne ne s’est demandé si la maladie ou la vieillesse avait une nationalité.

Aujourd’hui, comme hier, les risques sociaux n’en ont pas – et ils n’en auront jamais. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Réaffirmons donc haut et fort la vocation universelle de la sécurité sociale. C’est le principe qui a présidé à sa naissance, puis à son développement et, désormais, grâce à ce texte, à son avenir. Refuser d’inscrire la sécurité sociale dans la Constitution dès aujourd’hui, c’est permettre, demain, d’entraver cette vocation comme beaucoup le veulent déjà, y compris sur ces bancs.

À l’extrême droite, certains osent même citer l’existence de l’aide médicale d’État – qu’ils pourtant veulent la supprimer ! – comme argument pour ne pas constitutionnaliser la sécurité sociale ! Ils ne seront jamais les défenseurs de la sécurité sociale puisqu’ils en sont les fossoyeurs ! (Applaudissements quelques bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES. – Mme Edwige Diaz s’exclame.)

Ils l’attaquent sur un flanc qui, jusqu’ici, ne faisait que peu l’objet d’attaques de la part du capital et du patronat. Mais pour combien de temps encore ?

Nous regrettons que la majorité ait usé d’explications alambiquées pour justifier le rejet de ce texte. Elle a, de fait, associé sa voix à celle du Rassemblement national pour refuser d’inscrire cette institution dans notre texte suprême. Je forme donc le vœu qu’elle se ressaisisse en séance et adopte cette proposition de loi, utile tant sur le fond que sur la forme.

Vous l’aurez compris, la sécurité sociale n’est pas un acquis tombé du ciel ; elle est le fruit d’un rapport de forces, tout comme le sont ses démantèlements successifs que nous continuerons à combattre. Il faut donc intervenir.

La Constitution est le sommet de notre ordre juridique. Elle a vocation à assurer la garantie des droits, comme en atteste la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais les jurisprudences successives ne donnent qu’une faible portée aux principes inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946, comme celui « d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Dès lors, un tel acquis ne peut se satisfaire de dispositions qui sont du ressort de la technique budgétaire – comme celles relatives aux lois de finances ou de financement de la sécurité sociale – ou de principes généraux abstraits. Ainsi, la jurisprudence administrative considère notamment que le principe posé au dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 « ne s’impose au pouvoir réglementaire, en l’absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français ».

Ceux qui prétendent qu’en l’état du droit, la Constitution protège déjà notre modèle et son ambition sont dans l’erreur – ou ils mentent.

Lors de son audition, le professeur Alain Supiot a montré que l’inscription des principes de la république sociale au rang constitutionnel avait permis de freiner la remise en cause de notre modèle.

Alors, allons plus loin ! Il nous revient, en tant que constituants, de proposer une solution, d’apporter cette précision nécessaire. Sinon, qui le fera ?

Cette proposition de loi constitutionnelle pourrait aussi permettre au Conseil constitutionnel de faire valoir l’identité constitutionnelle de la France en la matière, faisant ainsi primer certaines règles nationales sur des règles européennes. Nous donnerions ainsi à la sécurité sociale la force qu’elle mérite.

L’année prochaine, nous fêterons le quatre-vingtième anniversaire de cette institution. Célébronse dignement la naissance d’une forme poussée de protection sociale ! Soyons à la hauteur de ce moment historique, de ce débat essentiel pour l’avenir de toutes et tous ; votons ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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