M. le président. J’ai reçu de M. Roland Muzeau et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement sur le projet de loi autorisant la ratification du traité instituant un mécanisme européen de stabilité.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour une durée qui ne pourra en aucun cas excéder trente minutes.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, M. Lequiller vient de terminer son intervention en prétendant dire la vérité. Or, comme Nicolas Sarkozy, c’est La vérité si je mens. Et qu’il s’agisse du ministre ou des orateurs précédents, nous venons d’entendre les adorateurs du veau d’or, qui se perdent dans des approximations pour nous enfumer.
En conclusion de son discours, M. Lequiller a parlé de solidarité. Certes, mais en fait il s’agit de solidarité à l’égard de Warren Buffett, George Soros,…
M. Marc Dolez. À l’égard des capitalistes !
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. Non, à l’égard du peuple grec !
M. Jean-Pierre Brard. …la Deutsche Bank, la BNP, la Société générale, bref des capitalistes, que vous remplumez davantage, comme s’ils en avaient besoin !
(M. Louis Giscard d’Estaing remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing,
vice-président
M. Jean-Pierre Brard. L’exercice auquel je vais me livrer, au nom des députés du Front de gauche, est un exercice de pédagogie politique qui n’est pas destiné à vous convaincre, monsieur le ministre, puisque le Président de la République ne vous a pas fourni de sonotone, mais qui vise à expliquer aux personnes qui sont dans les tribunes et à celles qui nous regardent sur Internet ce que vous dissimulez.
Plusieurs députés du groupe UMP. C’est de la politique-spectacle !
M. Jean-Pierre Brard. Il faut que nos concitoyens comprennent bien quels sont les enjeux de ces deux textes. Ils doivent connaître la vérité que le Gouvernement veut imposer aux parlementaires dans le cadre d’une procédure accélérée.
Il faut que nos concitoyens puissent se déterminer en toute connaissance de cause lors des choix qu’ils auront à faire ces trois prochains mois.
Il faut qu’ils sachent que seuls les députés du Front de gauche ont demandé que ces deux projets de loi se concluent par des votes solennels pour qu’ils puissent apprécier le vote de chaque parlementaire sur ces textes qui remettent en cause la souveraineté de nos États et engagent l’Europe dans la voie d’un fédéralisme caporalisé.
L’absence de débat public et les silences coupables des médias sur ces questions nous interrogent sur l’état de notre démocratie. Les Français, eux, ne sont pas dupes. Ils savent qu’aujourd’hui c’est mardi gras. Ils savent qu’après les masques, après le carnaval, viennent toujours le mercredi des cendres, le jeûne, le Carême et l’abstinence (« Ho ! » sur les bancs du groupe UMP), abstinence à laquelle vous voulez soumettre les Français.
M. Michel Herbillon. Et vous, vous devriez faire pénitence !
M. Jean-Pierre Brard. Les dizaines et les dizaines de courriels que nous avons tous reçus le prouvent. Nos concitoyens sont inquiets : inquiets du manque de débat citoyen, inquiets des prises de position peu claires de certains élus de gauche, inquiets de ce putsch « austéritaire » qui se joue, comme dirait notre ami Pierre Laurent, secrétaire national du PCF.
M. Patrice Martin-Lalande. Quelle référence !
M. François de Rugy. Même nous, nous sommes surpris !
M. Jean-Pierre Brard. Et nous ne pouvons, hélas ! que leur donner raison et relayer leurs inquiétudes.
Mais, avant de faire la lumière sur les projets funestes de M. Sarkozy et de Mme Merkel pour l’Europe, j’aimerais procéder à un petit rappel, qui remette nos débats d’aujourd’hui dans la perspective historique de notre nation.
Je veux rendre hommage à Spartaco Fontano, ajusteur italien, à Joseph Boczov, ingénieur chimiste hongrois, à Marcel Rajman, ouvrier polonais, à Celestino Alfonso, républicain espagnol, et à Missak Manouchian, poète arménien qui, il y a soixante-huit ans jour pour jour, le 21 février 1944, sont morts pour que vive la France où ils avaient choisi de vivre.
Ils voulaient fonder, comme le préciserait un an plus tard le programme du Conseil national de la Résistance, « une République nouvelle qui rende aux institutions démocratiques et populaires l’efficacité que leur avaient fait perdre les entreprises de corruption et de trahison qui précédèrent la capitulation ».
Soixante-huit ans plus tard, le sens de leur combat est foulé aux pieds, leur mémoire est de nouveau trahie.
On savait depuis le mois d’octobre 2007, grâce à l’ancien numéro deux du MEDEF, Denis Kessler, qui s’était laissé aller à la confidence dans la revue Challenges, que le gouvernement français s’employait à « sortir de 1945, et à défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». Nous savons désormais, grâce à ces deux projets de loi que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, que cette stratégie du gouvernement français est en fait une stratégie européenne concertée.
Le Président de la République l’a d’ailleurs formulée clairement le 1er décembre dernier lors de son second discours de Toulon : « Chacun doit comprendre qu’il n’y a pas de différence entre la politique intérieure et la politique extérieure, entre la politique nationale et européenne. » Voilà, mes chers collèges, qui fait froid dans le dos !
M. Roland Muzeau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Brard. Car la stratégie retenue par les gouvernements européens afin de – je le cite encore – « préserver la stabilité financière » en Europe, est celle de la « gouvernance » contre la démocratie, celle, comme dirait Angela Merkel, de la Disziplin et du Kontroll contre la solidarité et la libre association.
M. Jean Leonetti, ministre. Ce n’est pas bien, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Comment, ce n’est pas bien ? Qui parle de discipline, qui dit qu’il faut faire rentrer les peuples du Sud dans le rang ? Qui demande au peuple grec de vendre ses îles ? Le gouvernement allemand.
M. Charles de Courson. C’est du racisme anti-allemand !
M. Michel Herbillon. Ce sont des connotations germanophobes inacceptables !
M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez nous faire taire, monsieur de Courson, mais vous n’y parviendrez pas, pas plus que les contre-révolutionnaires n’ont réussi à faire taire votre aïeul Lepeletier de Saint-Fargeau !
Monsieur le ministre, vous voulez vous attacher, dites-vous, à prévenir les déséquilibres, à surveiller les politiques nationales pour favoriser des politiques budgétaires « saines ». Avec Mme Merkel et M. Sarkozy, « surveiller et punir » devient la nouvelle devise de l’Union européenne. Les peuples n’ont que faire de votre hygiénisme économique et de votre orthopédie financière. Ils n’ont que faire d’un système carcéral transposé aux finances publiques. Ils veulent reprendre en main leur destin confisqué par la finance et que des technocrates européens s’apprêtent, sous la houlette d’un directoire franco-allemand, à sanctuariser. Les peuples refusent de payer pour une crise qui n’est pas la leur.
Avec votre projet de fonds monétaire européen, l’austérité pratiquée ces dix dernières en Allemagne et les mesures de régression sociale de ces cinq dernières années en France vont devenir le modèle de développement unique des États européens, leur seul horizon. Le carcan de la rigueur budgétaire va peser ad vitam æternam sur les épaules de chacun des peuples de l’Union européenne.
Pourtant, ce modèle allemand qu’à droite vous portez aux nues et dont le Président de la République se sert comme alibi pour casser notre modèle social, l’immense majorité des citoyens allemands eux-mêmes le détestent. Ils sont 73 % à le considérer comme injuste.
Quel est ce pays modèle où, en dix ans, l’espérance de vie des plus pauvres a reculé de deux ans ? Quel est ce pays modèle que vous idolâtrez dans lequel 660 000 retraités de soixante-cinq à soixante-quatorze ans sont obligés de chercher des emplois non qualifiés, à temps partiel et sans protection sociale pour survivre ? Quel est ce pays modèle dans lequel 20 % des travailleurs sont des travailleurs pauvres ?
L’Allemagne, c’est le pays d’Europe où l’on a créé le moins d’emplois depuis vingt ans, celui où la hausse des inégalités de revenus a été la plus forte, celui où la part des salaires dans la richesse créée a le plus baissé, celui où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus fortement chuté, celui où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 17 %, contre 13 % en France, celui où 10 % de la population est obligée de fréquenter régulièrement les soupes populaires pour se nourrir.
Michel Vaxès. L’Allemagne, c’est le contre-exemple !
M. Lionnel Luca. Qu’il fait bon vivre en France !
M. Jean-Pierre Brard. Un emploi sur trois n’y est ni à temps plein ni à durée indéterminée, un emploi sur dix y est payé moins de 400 euros par mois. Le pourcentage des emplois à bas salaire a augmenté de six points et 2,5 millions de personnes travaillent aujourd’hui, en l’absence de salaire minimum, pour moins de cinq euros de l’heure.
M. Michel Herbillon. Ça, c’était l’Allemagne de l’Est !
M. Daniel Mach. La Stasi !
M. Jean-Pierre Brard. Voilà votre modèle, à droite. Et à chaque fois que vous prenez l’Allemagne pour modèle, c’est dans la mauvaise direction !
Nos références, ce n’est pas Sainte Angèle de Germanie,…
M. Michel Herbillon. C’est le modèle d’Erich Honeker !
M. Jean-Pierre Brard. …c’est Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, qui vous font encore froid dans le dos aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Voilà les résultats de la discipline pour les finances publiques et de la dérégulation du code du travail pour les salariés, les chômeurs et les retraités.
M. Michel Herbillon. C’était mieux en Allemagne de l’Est !
M. Jean-Pierre Brard. Si vous le dites, monsieur Herbillon, vous avez sûrement raison !
Voilà votre Allemagne, classée neuvième au rang des paradis fiscaux en octobre 2011 selon le Financial secrecy index. Cette Allemagne que vous idéalisez, c’est le jardin d’Éden pour le patronat et la descente aux enfers pour une majorité d’Allemands. Votre modèle, c’est un village Potemkine que vous construisez de toutes pièces pour casser le code du travail et imposer, partout en Europe, la loi des financiers.
Après le modèle américain et ses subprimes en 2007, voilà que le président Sarkozy essaie de nous vendre la prétendue vertu allemande et son efficacité. On le sait depuis la Révolution de 1789, la droite a toujours eu besoin de s’appuyer sur des modèles venus de l’étranger pour imposer ses choix politiques réactionnaires.
M. Michel Herbillon. Vous parlez en expert !
M. Jean-Pierre Brard. Je n’ai jamais été coblançard, mon cher collègue ! Et, quand il s’agit de l’intérêt national et du patriotisme, je n’ai jamais été du mauvais côté ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Michel Herbillon. C’est la nouvelle de la journée !
M. Jean-Pierre Brard. Ce qui est en préparation actuellement dépasse tout ce qui a pu être fait jusqu’à présent.
La situation en Grèce, transformée en laboratoire du capitalisme européen, devrait pourtant vous convaincre, monsieur de Courson, vous qui ne jurez que par l’ancienne Union soviétique, que les propositions que vous portez, les solutions que vous imposez ne sont pas les bonnes. Vous refusez de voir la réalité en face. Et votre aveuglement idéologique, votre idolâtrie « austéritaire », la haine de l’État social pour certains d’entre vous, condamnent les peuples à la misère et au dénuement.
À Athènes, la situation sociale est devenue dramatique. La population est à bout. Comme l’écrit Pierre Salignon dans le rapport 2011 de Médecins du monde : « En Grèce pour les plus précaires, il n’est plus question d’austérité, mais de survie. »
En Grèce, les conventions collectives ont été supprimées, le salaire minimum a baissé de 22 %, les retraites ont été amputées de 15 %. La malnutrition fait des ravages dans les écoles primaires, où les manuels scolaires n’ont pas été distribués cette année. La faim a fait son apparition dans les grandes villes du pays, où l’on voit désormais des SDF par milliers se presser dans les soupes populaires. Désormais, sur 11 millions d’habitants, la Grèce compte officiellement 3 millions de pauvres, soit près de 30 % de la population. Le chômage touche plus de 20 % des actifs et 40 % des jeunes entre quinze et vingt-quatre ans. Les Grecs en sont réduits à abattre les arbres de leurs forêts pour se chauffer, incapables de payer le mazout ou l’électricité dont les prix se sont envolés, augmentant respectivement de 100 % et 50 % en un an.
Au moment où le peuple grec en a le plus besoin, sous la pression de la Troïka, c’est-à-dire la Banque centrale, le FMI et l’Union européenne, le chef du gouvernement grec, non élu et donc illégitime, coupe à la hache dans les aides sociales et les structures d’accueil. C’est la condition sine qua non imposée par Bruxelles pour le déblocage de l’aide de l’Union européenne. Cette aide n’est pourtant pas destinée au développement social dont la Grèce a un besoin vital, mais à garantir le remboursement des dettes de l’État grec, aux banques françaises et allemandes notamment.
À cause d’une saignée de 40 % dans le budget du secteur hospitalier, les soins ne peuvent plus être assurés partout. Certains laboratoires pharmaceutiques refusent de livrer des médicaments aux centres de soins et aux pharmacies, de peur qu’ils ne puissent pas payer. Les hôpitaux sont contraints de décliner les admissions pour les cas les « moins graves ». De 25 à 30 % des personnes qui se présentent dans les hôpitaux grecs sont refusées. Plusieurs hôpitaux ont ainsi refoulé des femmes enceintes incapables de payer les 900 euros qui leur étaient demandés. L’usage des drogues explose – la consommation d’héroïne a crû de 20 % – de même que la prostitution, les cas de contamination au VIH ont augmenté de 54 % depuis 2010 et les suicides de 40 % en deux ans.
Après huit plans successifs d’austérité, la Grèce est à genoux et certains voudraient la voir ramper à plat ventre. C’est mal connaître le peuple grec, sa fierté, sa dignité ! Chaque jour ou presque de nouvelles conditions toujours plus drastiques et antidémocratiques sont infligées ou tentent de l’être au peuple grec : mise sous tutelle du pays en le plaçant sous l’administration d’un commissaire européen, création d’un compte bloqué dans les finances publiques consacré au versement des intérêts de la dette, garantie des nouvelles obligations grecques par des biens publics privatisables, impôts directement collectés par les banques... Cela nous rappelle, monsieur le ministre, les fermiers généraux auxquels on a coupé le cou au moment de la Révolution.
M. Jean Leonetti, ministre. N’importe quoi !
M. Jean-Pierre Brard. Le mépris affiché des gouvernements européens en général et du gouvernement allemand en particulier pour le malheur grec est devenu insoutenable.
Que croyez-vous que les Grecs ressentent quand Wolfgang Schäuble, ministre allemand de l’économie, déclare que leur pays est « un puits sans fond », que les Européens « ne savent plus apprécier ce qu’ils ont », et « que l’Europe grandit avec les crises » ?
Que devons-nous penser lorsque Guido Westerwelle, ministre allemand des affaires étrangères, déclare que « les pays qui doivent être placés de manière prolongée sous la protection du fonds de secours de la zone euro doivent aussi être prêts à renoncer – écoutez bien, mes chers collègues – à certains pans de leur souveraineté, notamment pour que l’on puisse intervenir dans leurs budgets nationaux » ?
M. Jean-Claude Sandrier. Scandaleux !
M. Jean-Pierre Brard. De la même façon, les « sacrifices de souveraineté » auxquels appelait, le 30 novembre dernier, le Président du Conseil de l’Europe et vers lesquels Nicolas Sarkozy souhaite nous conduire « à marche forcée », selon les termes de sa conférence de presse du 5 décembre 2011, sont inadmissibles.
M. Jean Leonetti, ministre. Vous suivez les conférences de presse du Président de la République, c’est bien !
M. Jean-Pierre Brard. Il faut en effet toujours écouter l’adversaire pour le critiquer à bon escient, et si vous-même le faites, monsieur le ministre, le Président, lui, ne le fait pas car il est autiste.
Comme le proclame l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». L’en dessaisir, c’est le trahir. C’est trahir notre pacte républicain.
Mes chers collègues, comme le disent nos camarades grecs, nous ne prospérerons pas au milieu des ruines des sociétés européennes. Notre impératif catégorique, c’est la solidarité désintéressée et inconditionnelle pour bâtir avec les Grecs, les Allemands, les Portugais et tous les autres une Europe démocratique, prospère et pacifique, digne de son histoire et fière de ses luttes et non de ses capitulations.
Le président français, la chancelière allemande et ceux de Goldman Sachs veulent faire de la Grèce un exemple pour nous faire peur, pour que nous votions sans les regarder de trop près ces textes qui, sous couvert de solidarité, cherchent à constitutionnaliser l’austérité et à placer nos États sous tutelle. Ils écrasent de leur « talon de fer », comme aurait dit Jack London, la patrie de Solon et de Périclès pour que nous acceptions leur chantage odieux qui conditionne la carotte au bâton et l’assistance à la punition.
Monsieur le ministre, ce mécanisme européen de stabilité – que par abus de langage vous présentez comme un mécanisme européen de « solidarité » – n’est rien de moins qu’une attaque contre la démocratie, une remise en cause de notre Constitution et, plus largement, une remise en cause de la souveraineté des peuples d’Europe, et de la nôtre en particulier.
M. Marc Dolez. Absolument !
M. Jean-Pierre Brard. Et tout cela se passe dans un secret et un silence politique et médiatique assourdissant. Comme l’a rappelé mon camarade Jean-Luc Mélenchon, même pour les députés européens, il a été quasiment impossible de savoir comment se déroulaient les négociations.
En 1814 déjà, monsieur le ministre…
M. Jean Leonetti, ministre. Je n’étais pas né ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Moi non plus.
En 1814, disais-je, dans un ouvrage intitulé De la réorganisation de la société européenne, le citoyen Saint-Simon avertissait pourtant ses contemporains – écoutez bien : il y a matière à réflexion pour vous – que « des obscurités de la politique naissent les troubles de l’ordre social ». La situation quasi insurrectionnelle en Grèce devrait inciter nos chefs d’État à un peu de prudence et à une plus grande transparence à défaut du respect démocratique dont ils n’ont que faire.
Avant de me pencher sur ce mécanisme de stabilité que vous nous présentez, j’aimerais dire deux mots de l’autre texte que nous discutons aujourd’hui, celui ratifiant la décision du Conseil européen de réviser l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Pour la clarté de nos débats, je rappellerai que cette révision est un préalable indispensable à la création du MES.
Ce texte permet en effet de contourner l’article 125 du traité de Lisbonne, qui interdit à l’Europe de renflouer un État qui connaît de graves difficultés financières. C’est la fameuse clause du no bail out, ou « non-renflouement », selon laquelle l’Union européenne « ne répond pas des engagements [...] des autorités publiques [...] d’un État membre, ni ne les prend à sa charge ».
Pour dépasser ce blocage institutionnel, vous nous demandez d’approuvez l’ajout du paragraphe suivant – et je demande à ceux qui nous regardent, en particulier sur internet, de bien écouter, surtout la dernière phrase : « Les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité. »
M. Marc Dolez. Et voilà !
M. Roland Muzeau. Et vous acceptez cela, vous, parlementaires ?
M. Jean-Pierre Brard. D’abord l’acceptation de l’esclavage et puis une louche dans la gamelle… Eh bien, nous, nous ne sommes pas pour cette relation entre les peuples ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Cette décision a été adoptée conformément à la procédure de révision simplifiée visée à l’article 48, paragraphe 6, du traité sur l’Union européenne, dit « traité de Lisbonne », signé contre l’avis du peuple français le 13 décembre 2007, procédure qui autorise le Conseil européen à adopter une décision modifiant tout ou partie des dispositions de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l’Union. Cette décision ne peut pas accroître les compétences attribuées à l’Union dans les traités et son entrée en vigueur est subordonnée à son approbation ultérieure par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.
Cette procédure allégée permet donc au Conseil européen de ne pas ouvrir la boîte de Pandore d’une renégociation du traité de Lisbonne, auquel les Français ont déjà dit « non » par référendum en 2005 – volonté populaire violée par Nicolas Sarkozy. L’absence formelle de transfert de nouvelles compétences à l’Union européenne permet enfin, et l’exposé des motifs de votre projet de loi est très clair sur ce point, d’éviter les fourches caudines des procédures nationales de ratification par voie référendaire, ce qui vous effraie.
Pour les défenseurs du MES, il n’y aurait pas, de façon formelle, accroissement des compétences de l’Union puisque le MES ne serait pas une institution de l’Union mais une organisation internationale dont le siège sera... au Luxembourg, tout juste sorti de la liste grise des paradis fiscaux en juillet 2009 !
Or, mes chers collègues, le traité créant le MES indique très clairement que, via la participation au mécanisme de la Commission européenne, de la Banque centrale et de la Cour de justice, l’Union accroîtra très sensiblement ses compétences au détriment de la souveraineté des États membres.
Monsieur le ministre chargé des affaires européennes, pouvez-vous répondre très clairement aux Français qui nous regardent et nous écoutent, et qui s’interrogent…
M. Christian Jacob. Ils ont décroché depuis tout le temps que vous parlez !
M. Roland Muzeau. En 2005, en tout cas, ils n’ont pas décroché !
M. Jean-Pierre Brard. Vous voudriez bien qu’ils décrochent, monsieur Jacob, et qu’ils ne nous écoutent plus, pour que vous puissiez faire vos coups tordus dans l’ombre. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Mais les Français ont la fibre patriotique qui leur tient les yeux ouverts, et surtout les oreilles ouvertes, ce que vous ne voulez pas voir ou subir !
M. Roland Muzeau. Vous commencez à avoir la pétoche, c’est ça, la réalité !
M. Jean-Pierre Brard. Pouvez-vous donc répondre à cette question, monsieur le ministre : la modification de l’article 136 par la voie de la procédure de révision simplifiée est-elle légale ou ne l’est-elle pas ?
J’en viens maintenant à votre second projet de loi, celui qui nous propose de valider la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité, signé le 2 février dernier à Bruxelles par les États membres de la zone euro.
Avant d’aller plus loin, et toujours dans un souci de clarté – ne vous en déplaise –, il faut rappeler à ceux qui nous écoutent que le MES et l’assistance financière conditionnée qui va avec ne pourront être mis en place que dans les États qui signeront le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire. Il s’agit du traité qui devrait être signé dans dix jours, le 1er mars – tout ça à la va-vite, à l’esbroufe –, et qui prévoit, entre autres réjouissances, une règle d’or…
M. Jean-Claude Sandrier. Une chape de plomb !
M. Jean-Pierre Brard. …limitant le déficit à 0,5 % du PIB, un budget des administrations publiques obligatoirement en équilibre, des mécanismes de sanctions financières automatiques, un examen préalable à Bruxelles des projets de lois de finances, et tout cela sous la forme de « dispositions contraignantes et permanentes s’imposant pleinement aux lois de finances nationales ».
M. Guy Geoffroy. C’est la moindre des choses !
M. Jean-Pierre Brard. Voilà ce que vous faites de la souveraineté nationale !
M. Marc Dolez. Ils la piétinent !
M. Jean-Pierre Brard. Vous la vendez aux représentants du grand capital ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Roland Muzeau. Liquidateurs !
M. Jean-Claude Sandrier. Fossoyeurs !
M. Guénhaël Huet. Modérez donc votre langage !
M. Jean-Pierre Brard. Que devient l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – c’est notre héritage révolutionnaire que nous devrions avoir en partage et que vous piétinez –, qui dispose que « les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » ?
M. Marc Dolez. Ils l’ignorent !
M. Jean-Pierre Brard. Que devient l’article 3 de la Constitution, qui proclame (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)… Vous ne voulez pas qu’on relise les textes fondamentaux parce que vous êtes en train de les trahir et que vous craignez qu’on le dise au peuple ! (Protestations sur les mêmes bancs.)
M. Guy Geoffroy. Vous avez toujours combattu la construction européenne !
M. Jean-Pierre Brard. Selon l’article 3 de la Constitution, disais-je, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
M. Patrick Balkany. Et nous allons y recourir !
M. Jean-Pierre Brard. Que devient l’article 39 de la Constitution, qui dispose que « les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale » – et non pas soumis en premier lieu aux représentants étrangers qui piétinent les droits de notre peuple ?
M. Marc Dolez. Ils l’ignorent !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, la procédure de ratification de ces textes est peut-être légale, mais leur contenu est inconstitutionnel.
M. Patrick Balkany. Tout ça dans la bouche d’un communiste !
M. Jean-Pierre Brard. Avant de conclure, monsieur le président, je souhaite revenir à ce mécanisme européen de stabilité, dont l’entrée en vigueur était initialement prévue pour la mi-2013 et qui, bizarrement, à quelques semaines de l’élection présidentielle en France, a été avancée au mois de juillet 2012.
Ce dispositif va au-delà de tout ce qu’on a connu jusqu’à présent au niveau européen en matière d’abandon de souveraineté, d’opacité et de recul démocratique. Loin, très loin des peuples, l’Europe, sous la direction du condominium franco-allemand, est en train de mettre en place une mécanique implacable de contrôle et de corsetage des finances publiques.
M. Guénhaël Huet. C’est toujours mieux qu’en Corée du Nord !
M. Jean-Pierre Brard. Société anonyme basée au Luxembourg, le MES n’aura de comptes à rendre à personne, ni au Parlement européen, ni aux parlements nationaux, et encore moins aux citoyens des États membres. À l’article 35 de ce traité-mécanisme, on peut lire ainsi que « dans l’intérêt du MES, le président du conseil de surveillance, les gouverneurs, les gouverneurs suppléants, les administrateurs, les administrateurs suppléants ainsi que le directeur général et les autres agents du MES – écoutez bien – ne peuvent faire l’objet de poursuites [...] et bénéficient de l’inviolabilité de leurs papiers et documents officiels ».
Il s’agit d’un secret professionnel visant à protéger ces gens qui pourront perpétrer contre nos peuples tous les mauvais coups et qui n’auront de comptes à rendre à personne. Vous votez déjà leur immunité, comme dans les dictatures arabes où certains chefs d’État se font voter l’immunité avant de prendre l’avion ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Guy Geoffroy. En matière de dictature, vous parlez en orfèvre !
M. Jean-Pierre Brard. Vos hurlements et les décibels ne remplacent pas la qualité de l’argumentation ! Vous trahissez l’intérêt national, c’est cela que vous ne voulez pas entendre !
Pour terminer (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), c’est une Europe à deux vitesses, à trois vitesses même, qui est en train de se mettre en place, sous le haut patronage de la vertueuse Allemagne. Une Europe de la discipline économique, des sanctions financières et de la rigueur libérale. Comme l’écrivait, début avril 2010, l’ancien ministre des affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, « Madame Europe s’est transformée en Frau Germania ». Tout est dit et il fallait que cela fût dit !
M. Michel Herbillon. C’est de la germanophobie !
M. Jean-Pierre Brard. La Chancelière Merkel déclarait, le 5 décembre dernier, que « l’Europe ne pourrait se faire sur de mauvais compromis », et elle avait raison. Les mauvais compromis d’aujourd’hui nourriront les heures sombres de demain. Antidémocratique, focalisé sur l’austérité, ne proposant aucune stratégie de soutien à la croissance, ce projet de traité ne pourra jamais renforcer la solidarité entre les États membres. Ce n’est d’ailleurs pas son but. Il organise simplement la mise sous tutelle des faibles par les forts et acte la domination germano-française sur l’Europe, au bénéfice de la grande finance.
M. Pierre Lequiller. Arrêtez la germanophobie !
M. Jean-Pierre Brard. Nous ne voulons pas de cette Europe-là, qui menace la paix pour demain. Nous, nous voulons la paix, le développement et le droit au bonheur pour chaque citoyen d’Europe, comme le promettait déjà Saint-Just. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.) .)
Discussions générales
MRP - Traité sur le mécanisme européen de stabilité
Publié le 21 février 2012
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale