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Mise en place d’un revenu étudiant

La semaine dernière, les bénévoles du Resto du cœur de Stains m’alertaient, au-delà d’un contexte général extrêmement inquiétant, sur la forte hausse du nombre d’étudiants, notamment des universités de Saint-Denis et Villetaneuse, venant demander de l’aide alimentaire, alors que des collectes solidaires sont déjà organisées au sein même des établissements. Ce sont ainsi des milliers de jeunes qui partout en France contactent les associations ou comptent sur les repas gratuits du CROUS – centre régional des œuvres universitaires et scolaires – pour se nourrir.

Le Gouvernement a débloqué au début de la crise 10 millions de crédits d’urgence et a ce mois-ci débuté le versement d’une aide de 200 euros pour celles et ceux qui ont perdu leur emploi ou leur stage gratifié ainsi que pour les étudiants ultramarins qui se trouvent en métropole, loin de leur famille. Cette aide d’urgence est la bienvenue, mais elle reste ponctuelle et d’un montant très modeste. Je rappelle que les jeunes de moins de 25 ans n’ont pas droit au RSA – revenu de solidarité active – et ne disposent pas des filets de sécurité qui protègent d’autres catégories de la population. Faute de s’être montrés capables de bâtir un système de solidarité efficace en amont, les pouvoirs publics ont besoin des associations pour permettre aux étudiants de vivre correctement.

C’est une lumière crue qui est ainsi jetée sur la précarité dans laquelle vivent celles et ceux qui sont l’avenir de notre pays. Elle souligne l’importance d’une réponse structurelle.

Apporter une réponse structurelle, c’est l’ambition de la présente proposition de résolution. Elle se veut le point de départ d’un travail associant le Parlement, le Gouvernement et les associations et syndicats de jeunesse, et visant l’instauration d’un revenu étudiant attaché à la situation propre de chaque jeune.

Deux axes principaux guident ce travail sur le revenu étudiant, parfois appelé « salaire étudiant » : premièrement, répondre à une urgence matérielle ; deuxièmement, reconnaître sur le plan social et salarial le travail de l’étudiant et sa production future.

Il s’agit donc d’abord de répondre à une urgence matérielle. La précarité étudiante était insupportable avant même la crise actuelle, et celle-ci l’accentue – cette proposition de résolution a d’ailleurs été rédigée avant le confinement. Parmi les étudiant, 20,8 % vivent sous le seuil de pauvreté. Leur revenu moyen est de 837 euros – 737 euros s’ils sont issus de la classe ouvrière. Trente pour cent des étudiants renoncent à des soins ou à des examens médicaux. Ils sont 46 % à travailler à côté – dont 19 % plus d’un mi-temps – et parmi eux 54 % déclarent ne pas avoir d’autre choix pour subvenir à leurs besoins. L’incidence sur leurs études est incontestable. Dans son étude sur l’impact du travail salarié sur la réussite et la poursuite des études, l’INSEE – Institut national de la statistique et des études économies – l’énonce clairement : s’ils ne travaillaient pas, la probabilité pour les étudiants salariés de réussir leur année serait plus élevée de 43 points.

Le système d’aides actuel, en particulier les bourses du CROUS, n’apporte pas de solutions pérennes à tous ces jeunes. Si 38 % d’entre eux touchent une bourse, la faiblesse des montants, les effets de seuil et une mauvaise prise en compte des situations particulières ne permettent pas à ces bourses d’être pleinement efficaces. La solidarité familiale ne peut seule combler ces lacunes, 31 % des étudiants ne recevant pas d’aide de leur famille.

Si l’emploi étudiant, qui fait souvent concurrence aux études, était déjà un problème avant la crise, il l’est d’autant plus aujourd’hui où l’on mesure la précarité de ces jobs dits étudiants. Ne pas lutter contre le salariat contraint, c’est accepter, chers collègues, la situation de ces jeunes qui, ayant perdu leur emploi du fait du confinement, se tournent aujourd’hui vers les associations caritatives. Le versement, conditionné au respect des obligations scolaires, d’une somme fixe permettant à chaque étudiant de vivre dignement et de se consacrer à ses études est incontournable.

Ce versement répondrait à une autre logique que celle des bourses : il reconnaîtrait le travail fourni par l’étudiant. Un statut social de l’étudiant est à définir, même s’il ne relève pas du salariat classique, au sein des mécanismes de production. Je propose donc de reconnaître formellement le travail étudiant comme processus de qualification tant technique que sociale, ouvrant droit à rémunération. Loin d’être nouvelle, cette idée est constitutive du syndicalisme étudiant. La charte de Grenoble de 1946, qui en est la base, reconnaît explicitement la qualité de travailleur au jeune en études. Son article 4 dispose qu’en tant que travailleur, l’étudiant a droit au travail et au repos dans les meilleures conditions et dans l’indépendance matérielle.

Depuis, l’affirmation du fait que l’étudiant est un travailleur continue d’irriguer les revendications de nombre d’organisations de jeunesse, qui réclament une allocation d’autonomie ou un revenu ou salaire étudiant. L’étudiant qui fournit un travail produisant une valeur présente et future le fait sans pour autant que cela lui procure une rémunération. Certains vont toucher des aides selon leur situation familiale, d’autres n’auront pas droit aux bourses, mais aucun ne touchera de l’argent au titre de sa qualité d’étudiant. De surcroît, quand l’étudiant travaille contre rémunération dans le cadre de ses études, que cela soit en stage ou en alternance, il touche la plupart du temps une rémunération bien au-dessous du SMIC, ce qui est une forme de double peine puisqu’il ne lui est jamais reconnu un statut plein et entier du fait de son travail.

La question du revenu est aussi une porte d’entrée dans une réflexion plus large sur la valorisation du travail effectué en-dehors des schémas classiques de production. Cet enjeu est connu depuis longtemps s’agissant des taches domestiques et de la double journée des femmes ou encore des aidants familiaux.

Ce sont des questions dont nous débattons dans cet hémicycle : comment mieux reconnaître et accompagner les différentes formes de travail ? Pour les jeunes en études, le revenu étudiant est une solution d’avenir.

En effet, au-delà du statut, un revenu lié à la situation individuelle des étudiants, indépendant des revenus de leur famille, permettrait d’améliorer l’égalité des chances et d’atténuer le déterminisme lié aux différences de capital économique et culturel, qui a été maintes fois démontré. Le revenu étudiant ne mettra pas tous les étudiants sur un pied d’égalité, c’est évident, mais il assurera à chacun les marges financières nécessaires pour subvenir de manière indépendante à ses besoins et se consacrer à son travail, c’est-à-dire à ses études.

Si la présente résolution concerne spécifiquement les étudiants, c’est la jeunesse toute entière qui doit être notre priorité et faire l’objet de mesures fortes et innovantes.

Les moins de 25 ans, qu’ils soient en apprentissage, en formation, en emploi ou en recherche d’emploi, ont des besoins spécifiques, mais aspirent tous à l’émancipation : voilà à quoi nous devons mobiliser notre énergie. Le présent texte y participe. C’est dans ce même esprit que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a proposé de créer une commission d’enquête parlementaire relative aux conséquences de la crise actuelle pour la jeunesse, et que, aux côtés des organisations de jeunesse, nous attendons les orientations qui seront prises concernant le revenu universel d’activité – RUA.

Certains collègues se référeront d’ailleurs sans doute au RUA pour défendre notre proposition ! L’année dernière, durant la journée réservée à notre groupe, alors que je défendais la fin de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés, on m’a rétorqué que l’arrivée prochaine du RUA résoudrait la situation. Le RUA n’était pourtant pas la solution. Le texte en question a d’ailleurs fini par être voté, y compris par la majorité, quelque temps plus tard ! Gardez-vous de croire que le RUA, simple fusion d’aides préexistantes, permettra d’accompagner les étudiants. Surtout, il répond à une logique différente de celle que nous proposons.

Le revenu étudiant n’est pas une utopie budgétaire : alors qu’on consacre environ 6 milliards d’euros par an aux bourses, il demanderait un budget supplémentaire de 10 milliards. Il ne revient ni à moi, ni à mon groupe politique de décider de son montant, de ses modalités de versement, de son financement et de son articulation avec les autres revenus des étudiants : cela incombe à tous les groupes politiques, avec le Gouvernement, les syndicats étudiants, les organisations de jeunesse, les CROUS et les universités. Nous devons ouvrir ce chantier important.

Si vous partagez le constat que le système actuel est incapable de répondre à la précarité étudiante, si vous pensez que les étudiants produisent de la valeur, présente et future, par le travail qu’ils fournissent, alors, votez notre proposition de résolution ! Nous vous lançons une invitation collective à travailler sur une mesure forte, ambitieuse, qui n’a rien d’irréaliste mais demande simplement de la volonté politique. Le contexte est propice pour innover, repenser les modèles de solidarité et redéfinir nos priorités. La jeunesse en est une. Rendons-la autonome ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)
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