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Maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité

Nombreux sont ceux qui ont évoqué le drame vécu par Philippine et par sa famille. Ce type d’événement devrait nous inviter à légiférer en faisant preuve de détermination et de prudence plutôt que d’empressement et de démagogie. En l’occurrence, la présente proposition de loi est un exemple –⁠ un mauvais exemple – de ce que peut être l’exploitation d’un crime abject ; elle constitue une solution à la fois indigne et inefficace.
Elle contribue à une forme de brutalisation de notre État de droit : nos débats montrent bien qu’il s’agit d’abord de montrer du doigt ceux qui seraient, selon vos termes, les « très méchants » –⁠ cette expression a par exemple été utilisée pendant l’examen de la dernière loi « immigration » –, afin de traiter leur cas en dehors de tout cadre judiciaire, comme pour se débarrasser de nuisibles. Ce sont des termes que nous avons souvent entendus ; ils servent à justifier des dérogations qui finiront par s’appliquer à tous.
En réalité, le texte que nous examinons ne cherche pas à répondre à des drames : c’est un texte idéologique dont l’objectif premier est de faire de l’immigré un délinquant voire un terroriste –⁠ j’y reviendrai, mais la durée choisie pour allonger le maintien en rétention en témoigne. Je veux dire à quel point cela doit résonner comme une alerte pour nous toutes et tous, car lorsqu’on s’en prend ainsi à celui qui est jugé comme l’autre, comme l’étranger par nature délinquant ou criminel, c’est la volonté de restreindre les droits de toutes et tous qui fait son chemin.
C’est précisément l’objet de cette proposition de loi populiste qui est, comme nombre des lois d’affichage proposées ces dernières années, mensongère, dangereuse et inutile. Elle renforce, je le disais, un amalgame entre immigration et délinquance, faisant de l’irrégularité du séjour un crime en soi –⁠ ce qui, je le rappelle, n’est pas le cas.
Je veux aussi rappeler que la très grande majorité des OQTF qui sont délivrées dans notre pays sont prononcées envers des personnes qui n’entretiennent aucun lien avec la criminalité, mais qui sont simplement déboutées d’une demande d’asile ou de séjour. La France est responsable d’un tiers des OQTF à l’échelle européenne.
Cette mesure est donc d’abord inefficace ; d’ailleurs, aucune évaluation n’a été menée par l’État sur les effets de la loi de 2018, qui avait déjà doublé la durée maximale de rétention en la faisant passer de 45 à 90 jours. Pourtant, les associations présentes dans les centres de rétention en mesurent les conséquences concrètes dans leurs rapports annuels. Les visites que nous faisons dans ces centres, au cours desquelles nous interrogeons les personnels qui y sont présents, le prouvent : alors que la durée moyenne de rétention n’a jamais été aussi élevée, la proportion d’éloignements a diminué.
La durée moyenne d’enfermement atteint près de 33 jours en 2024, soit près de deux fois et demie plus qu’il y a sept ans. Les éloignements ont lieu dans les premiers jours de rétention : moins de 20 % d’entre eux ont lieu après 45 jours et moins de 8 % après 60 jours.
En fait, l’augmentation du nombre de jours de rétention n’a aucun rapport avec la décision d’éloigner ou pas, et je crois que vous le savez. En revanche, l’absence de vol vers des pays à risque, l’absence de reconnaissance consulaire ou encore des relations diplomatiques perturbées sont autant de raisons qui peuvent conduire à ne pas éloigner un individu ; augmenter le nombre de jours de rétention n’y change rien.
Ensuite, cette mesure dévoie l’objet légal de la rétention. La rétention est en principe un éloignement à brève échéance et non un outil de prolongation de la détention pour des personnes ayant déjà purgé une peine –⁠ ou n’ayant jamais été condamnées, d’ailleurs. En d’autres termes, un centre de rétention administrative n’est pas une prison : les personnes ne sont pas enfermées pour des crimes ou des délits ; elles le sont pour la simple raison qu’elles se trouvent sur le territoire en situation irrégulière et que l’administration souhaite –⁠ et peut – mettre en œuvre leur expulsion.
Pourtant, les lois successives qui ont été votées sur l’immigration, tout comme l’article 1er de la présente proposition de loi, conditionnent davantage la rétention à la menace potentielle que représente la personne concernée pour l’ordre public, selon l’administration, qu’aux perspectives d’éloignement à bref délai de ladite personne.
Pour résumer –⁠ je crois que vous l’avez compris –, l’allongement de la durée de rétention n’a aucun effet sur les objectifs que vous affichez ; en revanche, elle détériore profondément les conditions de la rétention. C’est vrai, monsieur le ministre, à la fois pour les personnes retenues, mais aussi pour les personnels des centres de rétention, dont vous semblez n’avoir absolument que faire. Nous voterons évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)
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