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Lutte contre les individus violents lors de manifestations

C’est avec un certain étonnement que nous avons pris connaissance de la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe UDI-I, car nous trouvions étrange d’entamer une réflexion pertinente sur les manières de lutter contre les discriminations lors des contrôles d’identité, même si la proposition a finalement été retirée de la niche UDI-I, et de défendre, en même temps, un texte visant à instaurer l’interdiction administrative de manifester. Quel besoin avez-vous donc de venir ainsi au secours de M. Retailleau, le promoteur de cette très mauvaise idée que vous reprenez à votre compte ? C’est un mystère que vous éclaircirez peut-être : quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que la présente proposition de loi est rigoureusement incompatible avec les valeurs que défendent les députés communistes.

En effet, nous refusons qu’une décision de nature judiciaire soit confiée au pouvoir administratif. Aujourd’hui, l’interdiction individuelle de manifester est possible, mais elle ne peut être décidée que par le juge pénal à l’encontre de personnes coupables de violences, de destructions, de dégradations ou de détériorations. Si la proposition de loi devait être adoptée, l’interdiction de manifester deviendrait une mesure administrative préventive, prise sur le fondement de suspicions et de manière parfaitement discrétionnaire.

Il serait alors tout à fait loisible à un préfet de police de prononcer des arrêtés concernant des militants politiques ou syndicaux, et le comportement de Didier Lallement, le préfet de police de Paris, n’est pas pour nous rassurer sur ce point. À le voir interpeller une manifestante gilet jaune de soixante ans tout à fait pacifique pour lui dire qu’ils ne sont « pas dans le même camp », on se dit que sa conception de la République est inquiétante. Un tel comportement ne nous rassure pas quant aux pouvoirs que la proposition de loi, si elle devait être votée, donnerait aux préfets.

Nous nous opposons tout autant à une énième tentative d’inscription dans le droit commun d’une mesure d’exception – c’est une tendance lourde, dangereuse pour notre démocratie, et qui constituerait, dans le cas présent, une grave entrave à la liberté de manifester, droit fondamental consacré comme tel par la Constitution et la jurisprudence.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le Conseil constitutionnel, saisi à la demande des groupes GDR, Socialistes et apparentés et France insoumise, ainsi que par le Président de la République lui-même, à la suite de l’adoption de la proposition de loi de M. Retailleau visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, a retoqué le dispositif prévu dans son article 3, parce qu’il portait « au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée. » Ce constat vaut également pour la discussion qui nous occupe aujourd’hui, et ce malgré les petits accommodements que vous avez bien voulu concéder s’agissant d’une mesure par nature incompatible avec notre régime démocratique.

En réalité, les moyens de lutter contre les black blocs et les groupuscules violents sont à chercher ailleurs : il faut que ce soit un communiste qui vous le dise, puisque, à l’évidence, ces fameux black blocs sont systématiquement épargnés, à croire qu’ils sont en réalité les meilleurs alliés d’un ordre social injuste.

Pourquoi ne donne-t-on pas aux policiers l’ordre de les arrêter, puisque ces groupuscules sont parfaitement connus des autorités ? On voudrait discréditer les mouvements sociaux et effrayer les citoyens pacifiques souhaitant se joindre aux cortèges paisibles des manifestants qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Quoi qu’il en soit, la police et les autorités compétentes disposent de tous les moyens nécessaires pour arrêter ces groupes violents. La présente proposition de loi, en sus d’être dangereuse pour nos libertés, n’est donc d’aucune utilité. S’il convient de réformer profondément notre gestion du maintien de l’ordre, c’est que le temps où notre pays pouvait se targuer d’un certain savoir-faire en la matière est désormais loin derrière nous. La gestion des manifestations de gilets jaunes illustre ainsi une rupture de la doctrine du maintien de l’ordre qui a conduit à de nombreux dérapages, à des violences et à des blessés graves, exacerbant semaine après semaine la tension au lieu de l’atténuer, situation que le recours systématique à des effectifs de policiers non formés a bien évidemment encore aggravée.

Mes chers collègues, le maintien de l’ordre doit redevenir ce qu’il était et permettre l’exercice des libertés publiques dans le respect de l’ordre public, constitutif de la démocratie. Il nécessite un strict équilibre entre ces deux exigences, afin que le droit de manifester puisse s’exercer convenablement. C’est ainsi que les violents seront marginalisés et que les principales victimes des violences, qui sont – ne l’oubliez jamais – les manifestants eux-mêmes, pourront exercer leur droit légitime.

La présente proposition de loi, porteuse de mesures arbitraires et discrétionnaires, ne permet nullement de garantir de nouveau cette liberté : c’est pourquoi nous voterons contre.

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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