Dans notre monde devenu interconnecté à l’extrême, le déploiement du cinquième standard de télécommunication mobile focalise l’attention d’un très grand nombre d’acteurs internationaux, tant les enjeux financiers, économiques, sociaux et écologiques sont colossaux.
Si cette future technologie ne risque pas de bouleverser notre manière d’utiliser nos téléphones portables, même si elle nous fera gagner quelques secondes lors du téléchargement de fichiers volumineux en données, elle va changer en profondeur la manière dont les industries vont se servir de l’internet mobile.
La 5G permettrait – parlons à ce stade au conditionnel, puisque la technologie n’est pas encore opérationnelle à 100 % – d’accélérer si fortement les échanges de données que l’usage des voitures autonomes, de la e-santé, de la robotique ou de ce que l’on appelle l’internet des objets explosera.
Pour cela, il faudra en passer par plusieurs étapes fondamentales, c’est-à-dire répondre successivement à la question des fréquences utilisées par cette nouvelle technologie, à la question du déploiement du réseau et à celle de la diplomatie.
La clé de cette nouvelle technologie se situe dans l’utilisation des fréquences les plus élevées du spectre des ondes radio, car elles permettent de transporter beaucoup plus de données qu’avec la 4G.
L’utilisation de ces plages de fréquences pose cependant de gros problèmes. Tout d’abord, il semblerait que les hautes fréquences soient utilisées par l’armée française.
Les députés communistes souhaitent savoir si l’État n’a pas discrètement grignoté les fréquences militaires pour se faire de l’argent en vendant ces fréquences dans le cadre de la mise en place de la 5G.
Nous avons en tête le discours de la ministre des armées, Mme Parly, à Saclay.
Il semble que cette question soit cruciale tant pour notre souveraineté que pour l’efficacité de nos forces armées.
La deuxième inquiétude suscitée par la hauteur de la fréquence porte évidemment sur le brouillard électromagnétique. Cette question de santé publique nous semble trop souvent prise à la légère et éclipsée par des considérations de gros sous.
Il faut quand même rappeler ici qu’en 2017, plus de 160 scientifiques du monde entier ont demandé un moratoire sur la technologie 5G, estimant qu’elle pourrait être à l’origine de troubles physiques importants.
Tout comme en matière de perturbateurs endocriniens, s’il est prouvé qu’une onde ou un pesticide à faible dose ne tue pas, c’est bien la question de la dangerosité de l’effet cocktail et du temps d’exposition – que les scientifiques sont incapables aujourd’hui de déterminer précisément – qui se pose.
Il serait utile, en la matière, d’appliquer le principe de précaution.
Le fait de se précipiter pour rester dans la course mondiale à la connexion pose une question qui, me semble-t-il, n’a pas fait l’objet d’un débat de société aussi approfondi qu’elle le mérite.
Pourtant, nous le voyons avec les compteurs Linky, la population française reste inquiète à ce sujet.
Ce risque est d’autant plus important qu’avec la faible portée des fréquences 5G, le nombre d’antennes nécessaire sera très important, tout comme la densité de leur répartition sur le territoire.
Cela va donc ajouter du brouillard à ce qui est déjà – entre la 3G, la 4G, le Wifi, le bluetooth, ou encore les nouveaux compteurs d’eau, de gaz et d’électricité qui, comme Linky, échangent des données très régulièrement avec leurs infrastructures centralisées via des ondes radio – une purée de pois.
Il faut imaginer, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, que l’espace dans lequel nous vivons s’apparente à un micro-ondes. Pour cuire ou pour réchauffer une viande, il suffit de la soumettre pendant un temps très court à une forte dose d’ondes.
Mais qu’est-ce que cela donne lorsqu’on est soumis pendant un temps très long à une petite dose d’ondes ? Peut-être est-ce aussi un moyen de cuire ladite viande. Je ne vous donnerai pas la recette du gigot de sept heures mais je ne voudrais pas être le morceau de viande qui sera, avec le micro-ondes que vous nous inventez, cuit au bout de quarante années. (M. Alain Bruneel applaudit.)
L’autre problème tient à la densité d’un tel réseau : c’est l’augmentation de sa vulnérabilité.
Non seulement ce réseau sera dense en termes physiques, car il comportera un très grand nombre d’antennes, mais il le sera aussi en termes virtuels.
L’architecture des réseaux 5G sera fragile, car extrêmement décentralisée : elle permettra la mise en place d’une virtualisation accrue des cœurs de réseau, en lien avec les entreprises qui hébergeront ces données sensibles.
La puissance de ces entreprises va par conséquent s’accroître et renforcer la dimension géopolitique de cette bataille.
Qu’en sera-t-il de l’attaque d’un réseau à l’heure d’une virtualisation, d’une décentralisation des logiciels et des données d’entreprises, de l’internet des objets, des voitures autonomes ou, demain, des opérations chirurgicales à distance ?
Elle pourrait avoir des conséquences bien plus graves que l’arrêt du téléchargement du film que nous avions envie de regarder dans le train.
Évidemment, le problème majeur qui se pose à court terme est celui des entreprises qui construiront ce réseau.
C’est là que nous entrons dans le cœur de la proposition de loi. Cinq acteurs majeurs seulement – Ericsson, Nokia, Alcatel, Huawei et Qualcomm – se partagent le marché actuel de la 5G.
La peur actuelle, savamment alimentée par les États-Unis, porte évidemment sur l’entreprise Huawei qui, par obligation légale, doit collaborer avec les services de renseignement chinois comme toute entreprise ayant son siège social en République populaire de Chine.
Avec le déploiement de la 5G par cette entreprise, c’est potentiellement toute l’Europe qui pourrait être écoutée par la Chine.
Ne soyons cependant pas dupes : cette psychose américaine sert aussi de diversion.
N’oublions pas que les entreprises américaines ont déjà collaboré avec l’agence de sécurité nationale américaine, la NSA : cela a été le cas en 2015, lorsque nous avons appris que les téléphones portables d’Angela Merkel, de François Hollande et de plusieurs de leurs ministres avaient été mis sur écoutes par les États-Unis.
Je tiens d’ailleurs à rappeler que les deux entreprises qui fournissent le cœur de réseau 4G, Cisco et IBM, sont américaines.
Le spectacle offert par les acteurs de ce nouveau monde ressemble tristement à un vieux film de la Guerre froide : les Chinois ou les Russes nous espionnent pour notre plus grand malheur, tandis que les Américains nous espionnent pour notre plus grand bonheur.
Cela pourrait nous faire rire si l’Europe tout entière n’était pas le dindon de la farce.
L’Union européenne n’a pas pu, ou n’a pas su, maintenir une industrie d’équipementiers et d’entreprises de télécommunication de pointe.
Nous nous retrouvons aujourd’hui entre le marteau chinois et l’enclume américaine, ou l’inverse.
C’est là où le bât blesse : de l’avis de beaucoup de spécialistes comme de certains opérateurs français, Huawei est l’une des seules entreprises au monde à pouvoir proposer une technologie 5G mûre et abordable financièrement.
Nous voilà donc pris au piège en raison de l’absence d’ambition politique en matière de lutte contre la désindustrialisation des pays européens. Les communistes vous avaient prévenus.
Alors que la France a laissé Alcatel se faire racheter par Nokia en 2015 sans vraiment se battre, puis n’a rien dit quand l’entreprise a annoncé la suppression de 2 000 postes en Europe, dont 1 000 en France, vous vous rendez enfin compte de la valeur des emplois que vous avez laissé détruire.
Dommage : c’est trop tard.
Pour rappel, Nokia bénéficie des largesses du CICE et a reversé près de 1,8 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires l’an dernier.
L’une des questions de fond est donc bien celle de la volonté politique de construire une souveraineté industrielle, particulièrement dans ces secteurs d’avenir.
Peut-être qu’avec des outils – que nous, députés communistes, réclamons depuis très longtemps – comme la nationalisation temporaire des entreprises nécessaires à notre souveraineté lorsqu’elles font l’objet d’un projet de rachat, nous ne serions pas en train de pleurer en essayant de nous protéger tant bien que mal de Pékin et de Washington.
En attendant, nous voilà obligés soit de coopérer avec une entreprise chinoise, au risque d’être la cible d’attaques économiques de M. Trump et d’être espionnés à une échelle gigantesque par Pékin, soit de mettre de côté cette entreprise en nous exposant à la colère de cette dernière et en prenant un retard considérable.
Ce retard aura deux conséquences.
Premièrement, sans Huawei, nos opérateurs ne pourront pas déployer la 5G sur notre territoire avant 2020 comme cela a été annoncé.
Deuxièmement, beaucoup d’industries françaises et européennes vont prendre un retard conséquent par rapport à leurs concurrents qui auront accès à cette technologie.
Mais cette course à la 5G pose aussi la très cruciale question écologique. Soyons directs : « l’internet vert » n’est qu’un fantasme. La 5G accroîtra les besoins en électricité, corrélés aux échanges de données qui iront eux-mêmes croissant, et le renouvellement des téléphones portables compatibles avec la 5G sera nécessaire, sans compter l’internet des objets, qui fera exploser les besoins en matériaux rares et polluants dans les batteries et les microprocesseurs intégrés.
La question de la souveraineté énergétique, actuellement posée avec la programmation pluriannuelle de l’énergie que le ministre d’État de Rugy a présentée il y a quelques jours, et la question du consumérisme capitaliste, qui nous mène droit dans le mur, se recoupent donc.
Les éléments que nous avons recueillis depuis l’examen en commission, les témoignages de scientifiques, les doutes et les incertitudes qui entourent le sujet ne permettent plus aux députés communistes de soutenir cette proposition de loi comme ils l’ont fait en commission.
De plus, en l’absence d’étude d’impact, nous sommes conduits à légiférer à l’aveugle, ce qui n’est pas acceptable.
Enfin, ce texte contribue à paver la route de la 5G qui, comme je l’ai dit, expérimente à l’échelle planétaire un réseau de communication qui semble aujourd’hui fragile, met en place des fréquences d’ondes sur l’innocuité desquelles nous n’avons aucune preuve, et, surtout, provoquera un véritable carnage écologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Discussions générales
Intérêts de la défense et sécurité nationale dans l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles
Publié le 10 avril 2019
Jean-Paul
Lecoq
Député
de
Seine-Maritime (8ème circonscription)